Livre Quinzième : Harmonie, la Peur et les Prisons Chimiques
15:1 Tandis que Victor noyait sa chute dans le brouillard des comptoirs, Harmonie, elle, s’avançait dans un désert sans sable mais rempli d’échos d’elle-même. 15:2 La fuite avait éloigné le bourreau, mais n’avait pas effacé la blessure. Car la plus perfide des ennemies, c’était la propre voix brisée d’Harmonie.
15:3 La confiance, jadis robe éclatante, était devenue haillon d’angoisse. 15:4 Elle doutait d’elle, de ses choix, de sa valeur, comme si le passé toxique l’avait tatouée de l’intérieur.
15:5 Son corps, symbole de beauté sociale, devint refuge d’effroi. 15:6 Elle esquivait les regards, les gestes, les possibles. 15:7 Chaque homme, chaque sourire devenait l’ombre d’un prédateur.
15:8 La peur n’était plus réaction : elle était atmosphère. 15:9 Harmonie ne vivait plus — elle se protégeait. Et cette protection était une solitude volontaire.
15:10 Alors vinrent les substances. 15:11 Petites capsules aux promesses silencieuses. 15:12 L’anxiolytique devint l’hostie du quotidien. 15:13 Une paix artificielle, un couvercle sur les braises.
15:14 Son appartement se transforma en bastion. 15:15 Les écrans devinrent fenêtres ; les notifications, bruits de fond. 15:16 Les serpents numériques, jadis tentateurs, ne furent plus que décor.
15:17 Harmonie se dématérialisait. Elle devenait ombre dans une forteresse éclairée par des pixels apaisants. 15:18 Et chaque cachet avalé était une abdication douce.
15:19 Saint-Bordel, du haut de Son trône tapissé de diagnostics, observait avec un soupir de volupté : 15:20 « Voici une chute silencieuse. Voici le chaos en cachette, déguisé en guérison. » 15:21 Car même les naufrages sans bruit ont leur beauté — celle des âmes dissoutes dans un flacon d’oubli.
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