21) C'est du gâteau !

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Perrine déballa le petit sac hermétique qu'elle emportait toujours à la morgue. Une nappe de pique-nique balancée innocemment sur l'une des tables d'autopsie, le tupperware bombé où gigotait sa généreuse salade composée, des couverts – des vrais ! Pas de cette camelote en plastique – et une bouteille de vin : un bon cru conseillé par un caviste de renom. Les vieilles habitudes trouvant toujours leur biais, Charlène examina son modeste réfrigérateur et piocha une grosse boîte au milieu des organes soigneusement empaquetés, des prélèvements sanguins et autres mixtures toxiques destinées aux macchabées. Elle déposa la cloche opaque sur leur table dressée, le coin de la lèvre piqué par la jubilation, et, ôtant le couvercle, elle dévoila fièrement la dernière de ses expériences pâtissières. Une sorte de fraisier garni de fruits rouges en tout genre, à l'exception des fraises. Un glaçage si brillant qu'elle risquait par mégarde d'y croiser son reflet. Une pâte voluptueuse qui aurait engagé n'importe qui, moins consciencieux que Perrine, à passer directement au dessert.

Elles soutinrent le regard l'une de l'autre, gonflées moitié d’orgueil, moitié d'admiration. Chacune exultait de son incontestable succès, soulagée toutefois que l'autre ne joue pas exactement dans la même catégorie. Victorieuses, galvanisées de fait, elles partagèrent le repas, leur désir relevé d'un soupçon d'émulation. Puis, comme pour se soustraire, gênée, au regard dévorant de sa fiancée, Charlène rappela à l'aide son professionnalisme.

— Pourquoi tu ne veux pas croire que Vanessa s'est trompée ? Elle n'est pas infaillible. Si tu veux mon avis, elle oublie même souvent de garder la tête froide.

— Tu sais, Alpha, il y a quelque chose que j'admire profondément chez Ness : c'est sa facilité à faire la part des choses. Elle ne prend pas toujours notre job au sérieux, mais elle comprend d'emblée ce qui doit être relevé ou ce qu'il faut conclure. Elle se fie trop à son instinct, mais le fait est qu'elle en a un, et pas des moindres. C'est la même chose avec le sexe. Elle n'en fait pas toute une affaire. Le jour où on a tout arrêté, elle et moi, ça ne lui a fait ni chaud ni froid. De même pour toutes les filles qu'elle a collé en taule. Quand elle te baise, au fond, le vrai plaisir de Ness, c'est de t'analyser. Je ne sais pas si tu me suis...

— J'avoue que non, Alpha.

— Pour la faire courte, il y a deux solutions. Que Ness se soit trompée, ce n'est pas une option. Au moment où elle nous a soutenu que Nelly était notre coupable, je savais que l'affaire était bouclée. Dans le meilleur des cas, Ness prend son pied. Elle compte vraiment jouer à la petite-amie parfaite, jusqu'à ce que l'autre lui serve ses aveux sur un plateau. Dans le pire des cas, elle a le béguin pour une criminelle et elle a décidé de nous mener en bateau.

— Dans un cas comme dans l'autre, elle a choisi de te mentir. Dans un cas comme dans l'autre, elle aurait vite fait d'être rétrogradée.

Perrine serra les dents en éventrant son gâteau à grands coups de fourchette.

— Pas question de laisser cette idiote partir en vrille...

— Parce qu'elle est compétente ? Ou parce que toi aussi t'es sous le charme ?

— Arrête de te faire des films, Alpha. Ness est une flic hors-paire, et ma meilleure amie.

Charlène soupira, le corps rejeté contre le dossier de sa chaise. Le pied métallique crissa sur le carrelage.

— J'imagine que t'as déjà une idée en tête. Je l'ai su dès l'instant où t'as appelé cette fille Kelly. Moi, je sais que tu n'es pas du genre à t'emmêler les pinceaux.

— Il n'y a pas trente-six solutions...

Le major se leva et Charlène décela une expression qu'elle n'avait plus lue sur son visage depuis longtemps : les yeux affûtés et les lèvres pincées. Perrine se préparait pour une joute acharnée, un duel qu'elle n'avait visiblement nulle intention de perdre. Cette idée la troublait et, en vérité, lui causait une peine qu'elle s'avouait risible. La jalousie, voilà bien un sentiment qui ne l'avait jamais assaillie. Et pour cause, de mémoire, elle avait toujours eu toute l'attention de Perrine. Elle avait toujours été une rivale suffisante. Vanessa venait-elle de rebattre les cartes ? Alors qu'à ce stade de leur relation tout aurait dû se dérouler pour le mieux, un dilemme pitoyable gangrenait l'âme de la compétitrice. Accroc, devrait-on dire, à la compétition. Façonnée par un indémêlable conditionnement. Plutôt que de jouer dans la même équipe, plutôt que de lui témoigner son soutien à toute épreuve, Charlène tremblait d'envie de contrarier celle qu'elle aimait.

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