Chapitre 15 : La guerre sans bataille

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Andrei

30 mai 5131

La guerre n’est pas qu’affaire de soldats et de batailles. Si nous l’avions oublié Valentyn nous l’a brillamment rappelé. En deux jours à peine nous avons essuyé une offensive comme rarement nous en avions connu. Il ne s’agissait ni d’un assaut ni d’une charge mais d’un habile mélange de propagande, de sournoiserie et de zizanie.

Le siège d’Iljkalmar se mettait doucement en place lorsqu’un matin le corps du comte de Gamar fut retrouvé sans vie, les veines autour de son cœur noircies et le visage figé dans une expression de douleur intense. A côté du cadavre se trouvait une lettre écrite avec le sang du défunt :

« Valass punit les parjures ! »

La nouvelle fit à elle seule l’effet d’une grande défaite mais la manœuvre de Valentyn ne s’arrêtait pas là. Le jour même chaque seigneur de notre royaume reçu un message venant d’Isgar :

« Chevaliers d’Orania, en ce jour Valass a puni le comte de Gamar ! Ce prétendu vampire servait un roi félon et s’était enorgueilli d’avoir formé des humains à la guerre, allant en cela contre l’ordre naturel voulu par le seul vrai Dieu ! Il n’est hélas point le seul et aujourd’hui votre royaume subit en chaque instant les conséquences des péchés mortels de votre prétendu roi ! Les humains se révoltent avec succès dans vos campagnes, votre armée peine à avancer en Isgar malgré le différentiel de force, la maladie frappe vos soldats et vous avez été abandonné par vos alliés d’Ishka. Seul l’aveugle prétendrait que de tels évènements n’ont rien à voir avec le divin. Comment pourrait-il en être autrement ? Vous marchez dans les pas d’un souverain hérétiques qui donne mille armes et armures à ses humains tandis qu’il revêt ses propres vassaux de haillons. Ce tyran ne gouverne que dans l’intérêt de sa propre gloire et méprise tant ses sujets que Valass. Mais rassurez-vous, le parvenu qui vous dirige n’a aucune légitimité ! Le trône n’est pas affaire de choix mais de sang et tandis que Stanislas se revendique d’une lignée par deux fois brisée, la dynastie millénaire et ininterrompue des grands-ducs d’Ortov en est réduite à servir un maître dont le sang qui coule dans ses veines ne vaut pas la moitié du sien. Depuis quand fils de roi s’agenouille-t-il devant fils de comte ? La lignée de Nikolaj II le conquérant, devant lequel Jaroslaw roi d’Ortov s’était agenouillé et avait juré fidélité, n’est plus. A ce titre ce serment n’a plus lieu d’être et ce depuis plus de mille ans. Depuis que Stanislas III le parvenu brisa la seule lignée légitime des rois d’Orania en en usurpant le titre. Ainsi la seule et véritable famille royale, de par son sang, est celle des grands-ducs d’Ortov. Valass ne reconnaît que cette dernière et tant que vous, chevaliers d’Orania, ne ferez pas de même, les calamités continueront à s’abattre sur votre royaume. Mes seigneurs, qui servirez-vous ? Un roi d’un âge humain, sans légitimité ni compétence ou bien le descendant d’une des plus prestigieuses lignées de ce monde dont l’honneur le dispute à la valeur ? Serez-vous du côté de Valass ou de ses ennemis ?

Valentyn, grand-duc de Sussmar et roi d’Isgar »

Je ne sais pas quel effet pareille missive a eu sur les vampires du royaume, tout particulièrement sur ceux ayant refusé de se joindre à notre campagne, mais il est évident qu’elle créa une certaine suspicion chez le roi. Bien qu’en public il prétendit avoir confiance en chacun de ses seigneurs, il m’ordonna en privé de les garder à l’œil et tout particulièrement le grand-duc en personne. Il semble pour l’instant fidèle mais qui sait quelles idées ont germé dans son esprit à la lecture de cette lettre. Qui sait combien de temps il continuera à suivre Stanislas si les revers venaient à s’accumuler ?

Et ils ne s’arrêtèrent pas là. Rapidement il fut confirmé que les humains s’étant révoltés sur nos arrières avaient coupé notre ravitaillement et il fut donc impossible de prolonger le siège. Il fallait à tout prix rétablir nos lignes de communication sous peine de mourir de faim, prisonniers de nos conquêtes. L’armée se mit donc en branle en direction d’Orania. Toutefois, alors que la situation semblait d’ores et déjà compromise, une épidémie se déclara dans nos rangs. Je ne sais comment Valentyn a fait mais il l’avait annoncé dans sa lettre avant même qu’elle ne se déclenche. Peut-être s’était-elle en fait manifestée plus tôt mais notre désintérêt pour le sort des hommes ne nous la fit pas voir avant qu’elle ne soit trop importante. En tout cas bien peu de vampires s’étaient intéressés à ce genre de tourment qui ne concernent que nos esclaves et nul ne savait comment gérer pareil phénomène. Il apparut bien vite qu’en plus de tuer nos soldats par centaines, la maladie incitait à la désertion. Stanislas, dans un élan de fureur, ordonna qu’on brûle l’ensemble des humains potentiellement infectés. En pleine retraite un immense bucher fut alors érigé et il fut bientôt alimenté par quatre mille hommes dont les infectés présents et passés étaient issus. Ils furent accompagnés par leurs tentes et tous leurs effets dont on soupçonnait l’insalubrité d’être source de propagation.

Si l’épidémie fut ainsi endiguée cela créa d’autres problèmes. Les deux comtes à qui appartenaient majoritairement ces humains furent si furieux de cette exécution qu’ils quittèrent l’armée sur le champ non sans vociférer quelques menaces à l’encontre de leur souverain :

« Sire, nous vous avons soutenu quand bien d’autres se sont défilés. Nous avons lutté à vos côtés et voilà comment vous nous remerciez ! Vous brûles nos humains, sources de notre richesse et de notre puissance sur un coup de tête sans même nous en informer. Après cela vous nous donnez deux sous comme à la plus vulgaire des catins en guise de dédommagement. Il ne s’agit pas là en effet du comportement d’un roi. Si ce sont nos hommes que vous avez tués, croyez bien que chacun de vos vassaux a ressenti l’affront que vous nous avait fait en ce jour ! La fidélité n’est pas acquise pour toujours, elle s’entretient. Parfois, lorsqu’elle vient à être piétinée et jetée au feu, il arrive que, loin de se voir détruite, elle ne se tourne simplement vers autrui ! »

Si Anastasia ne l’avait pas retenu Stanislas aurait fait se rejoindre ces deux seigneurs et leurs hommes sur le bûcher. Le tempérament sanguin et impulsif du roi ne fut pas bon conseiller ce jour-ci. Il eut beau ensuite, sur les suggestions de sa sœur, donner deux des hommes de son propre domaine pour chacun des calcinés, cela ne calma que partiellement la colère des comtes tant l’insulte avait été grande. On ne les verra sans doute plus chevaucher aux côtés du roi pendant cette guerre mais peut-être au moins ne se révolteront-ils pas.

Dans tous les cas notre retraite continue. Nous avons laissé hier deux mille hommes et une centaine de vampires dans la forteresse de Rutor, partiellement rebâtie, tandis que les vingt-mille soldats restants ainsi que nos chevaliers se dirigent actuellement vers le col d’Ilpelev pour écraser ces maudits humains.

Pour ma part je ne cesse d’essayer de connaître les sentiments de nos seigneurs vis-à-vis de notre roi et, hélas, je crains que jamais ils ne furent plus mauvais. Même le baron de Fulminmar s’en émeut dans ses rapports et il craint que quelques ligues ne se forment pour peu que le grand-duc se décide à en prendre la tête.

Piotyr

Quel succès ! Mes prières n’ont pas été vaines et le sort des armes en semble changé sans pour autant qu’il n’y eut un seul combat ! Natacha a parfaitement réussi à s’immiscer dans le camp oranien, à séduire leur général à l’insu de tous et à verser dans son breuvage quelques gouttes de noire veine. Selon son rapport il a été relativement facile pour elle de demeurer invisible aux yeux des autres vampires tant le comte de Gamar avait peur qu’on le découvre avec une autre et que son honneur soit ainsi bafoué. La fausse vertu, voilà un bien grand péché ! Il l’a vite payé et la souffrance qu’il a enduré en buvant son ultime coupe de sang était en ce sens entièrement méritée. Le côté impressionnant du cadavre qui en résulta a dû choquer les esprits, d’autant plus que rares sont les poisons capables de nous atteindre. Parmi ceux-ci, la noire veine est, et de loin, le plus efficace, le plus impressionnant et le plus rare de tous !

Je m’étais tout de même interrogé sur le bienfondé de tuer leur général et non leur roi mais Valentyn m’avait fort bien expliqué que :

« Le roi Stanislas est jeune et inexpérimenté, il ne représente qu’une faible menace tandis que le porteur de Buve-Sang est un habile commandant à la tête de troupes fort bien formées ! De plus en l’absence d’héritier mâle, sa fille deviendra comtesse de Gamar et ne prendra pas part, du moins personnellement, au conflit actuel. Enfin l’assassinat du roi pourrait galvaniser les Oraniens tandis que celui de leur général suivi de quelques revers pourrait ébranler leur confiance envers leur souverain. Pour peu que nous réussissions à en tirer parti, il se pourrait bien que la plus grande préoccupation de Stanislas devienne rapidement de conserver son trône et non d’en donner un à Yegor. »

Non content d’empoisonner le comte, nous empoisonnâmes également leur armée et leurs relations. Sachant que certains seigneurs projetaient de rejoindre les forces oranienne dès leur arrivée, j’ai envoyé quelques humains porteurs d’une étrange maladie dans leur rang. Ainsi, croyant faire don de leurs forces au « roi » Yegor, ils se chargèrent bien malgré eux d’affaiblir ses troupes.

Valentyn et moi avions beaucoup étudié les humains durant nos études de théologie et, parmi les innombrables preuves de l’infériorité des hommes, la maladie est l’une des plus éloquente. Pour peu que ces derniers se retrouvent dans un endroit où règne la saleté, qu’ils mangent de la viande de piètre qualité ou qu’ils se retrouvent dans quelque autre situation d’apparence inoffensive, leur corp se détruit de lui-même. Nous avons passé bien des décennies à en étudier les causes et conséquences considérant ce moyen comme fort pratique pour réguler les populations à peu de frais, bien qu’extrêmement risqué. Il est déjà arrivé que des villages entiers se vident de toute vie humaine à cause d’un seul malade. Toutefois il apparut également bien vite qu’il pouvait s’agir d’une arme extraordinairement efficace d’autant plus qu’elle était connue de fort peu de monde, la plupart des nôtres sachant davantage s’occuper des chevaux et des maux qui les accablent que des humains.

Il me suffit de laisser quelques rats en compagnie de soldats avant de les laisser rejoindre les troupes de barons renégats en faisant mine qu’il s’agissait de renforts pour les aider à défendre notre territoire. Ces derniers n’en firent naturellement rien et rejoignirent les forces oraniennes dès que l’occasion leur fut donnée. Jamais désertion ne fut plus profitable à notre cause.

La lettre qu’a faite envoyer Valentyn devait être le clou de la défaite oranienne. Qu’importe que cette dernière ne persuade personne de se révolter contre Stanislas, son principal but est d’insinuer le doute dans leur cœur. Plus le temps passera, plus les défaites s’accumuleront, plus chacun soupçonnera une trahison et doutera de la loyauté de son voisin créant ainsi un cercle vicieux qui sonnera leur glas. Qui sait, il se pourrait même que de véritables trahisons finissent par se produire ce qui serait des plus intéressants.

En tout cas cette victoire devrait au moins permettre à nos forces de monter en puissance, les armées ennemies sont rentrées dans leur pays pour écraser une révolte humaine interrompant ainsi leur série de victoires sur nos terres. Il est heureux que ces vils êtres aient eu l’idée de leur couper le ravitaillement de leurs maîtres. Valass les a bien conseillés ! Le comte d’Or a immédiatement envoyé une partie de son armée bloquer le col d’Ilpelev pour que jamais l’armée ennemie ne remette pied sur nos terres tandis que le siège de la forteresse de Rutor se met actuellement en place. Nos forces ne sont pas aptes à mener un assaut comme l’ont fait celles d’Orania mais qu’importe, nous avons tout notre temps. Le col est bloqué, jamais ils ne recevront de renforts et nous allons pouvoir détruire l’ensemble de la garnison presque sans perte.

Pour parachever ce beau tableau j’ai appris il y a deux jours que Javor a enfin passé le fleuve de la lune et attaque désormais notre ennemi ouvrant ainsi un nouveau front ! Valentyn a dû percevoir l’état dans lequel j’étais car il m’a ordonné de ne pas me relâcher et de ne pas céder à l’ivresse de la victoire, mère de bien des défaites. Il me faut désormais attiser les velléités de révoltes des seigneurs oraniens les plus mécontents par quelques promesses tant financières que foncières. Le réseau d’espions mis en place par l’usurpatrice est pour cela fort pratique et Valentyn a parfaitement compris comment s’en servir. Il semble que nous soyons en passe de l’emporter sur le terrain de la propagande et, une fois cela accompli, la victoire militaire ne sera plus qu’une question de temps. Quant à Natacha et bien je ne serai pas fâché qu’elle n’ait plus à croquer dans ma chère jusqu’à la fin de la guerre.

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