Chapitre 16 : L'ermite

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Lev

Quelle tragédie… en Orania les effets de la guerre se font d’ores et déjà sentir. Les humains quittent leur champ et leur famille pour un conflit auquel ils n’entendent rien. Ce ne sont même pas les plus à plaindre car ceux qui restent servent souvent de souffre-douleur à chaque mauvaise nouvelle venant du front. Elles semblent de plus en plus nombreuses si j’en juge par le nombre de billots que je vois sur les routes. A moins que ce ne soit là que les coutumes ensauvagées des vampires du nord d’Orania.

A chaque fois que je pars servir Valass et Himka de pars le monde il me semble que les humains sont plus asservis et violentés que la fois précédente mais peut-être n’est-ce dû qu’aux décennies séparant chacun de ces périples et troublant ma mémoire. Il existe malgré tout nombre de vampires ne maltraitant que fort peu les hommes dont ils ont la charge mais à chaque discussion avec ces derniers je vois bien vite que c’est là davantage un calcul économique qu’un début de prise de conscience quant au véritable lien qui les unit à leurs serviteurs.

Heureusement que je suis bon guerrier et que j’ai acquis une certaine renommée durant le dernier siècle sans quoi mes tentatives de conversions m’auraient probablement déjà couté la vie. Mes convictions finissent par être connues, pour nombre de mes semblables je suis le « Chevalier noir, protecteur des hommes ». Ce sobriquet, bien que généralement dit sur le ton de la rigolade, n’en demeure pas moins évocateur quant au respect et à la désapprobation que je représente aux yeux de ceux de ma race.

Parfois je me demande s’il ne serait pas plus sage d’utiliser tout l’argent que j’ai amassé durant mes victoires aux tournois pour m’acheter un petit titre et épouser une dame convenable et moins éloignée de mes idées que les autres vampires. Ensemble nous pourrions élever et éduquer des enfants dans la vérité et en faire ainsi le point de départ d’une nouvelle compagnie des semblables. Hélas je crains que ce ne serait prendre trop de risques pour moi comme pour eux. Il est déjà difficile pour le culte officiel de tolérer qu’un chevalier émette des doutes quant à la supériorité innée des vampires et prenne ponctuellement la défense d’humains. Alors si ce dernier devenait baron, père de famille et capitaine d’une troupe de mercenaires où régnerait l’égalité entre les races, je ne doute pas que nombre de seigneurs se ligueraient contre nous et nous traqueraient à jamais.

Je ne dois mon salut qu’à mes capacités martiales et à l’aura de mystère qui m’entoure et que je prends soin de conserver. Si je venais à perdre ne serait-ce que l’une des deux mon sort et, à travers moi, celui des hommes seraient scellés. Je ne le permettrai pas ! Ma destinée est d’être l’exécuteur du testament d’Himka et Valass et j’y parviendrai !

Pour l’instant mon voyage à travers les tristes contrées d’Orania continue et rien de nouveau n’est à signaler. La constante souffrance des hommes et la perpétuelle dépravation des vampires semblent régner en maître.

Durant mon trajet il m’arrive de voir quelques troupes de mercenaires, des chevaliers errants ici et là ou encore des prêtres de Valass parcourant le pays pour y propager leur sinistre message, comme si cela était nécessaire. Hier, tandis que je me reposais dans une grotte, j’ai même rencontré un ermite. Rares spécimens que ces prêtres ascètes prônant l’exploitation des hommes mais la refusant pour eux-mêmes à cause de l’impureté immanente à toute chose matérielle selon eux. Ils sont de de plus en plus rares et c’était la première fois que j’en voyais un. Il m’accueillit dans sa grotte et nous commençâmes à discuter. Il avait une barbe immensément longue, des oripeaux en guise d’habits et une épée qui dénotait avec l’état de crasse du personnage tant cette dernière était belle et soigneusement entretenue. Il me parla de sa foi et je ne pus me retenir très longtemps avant de lui exposer mes opinions. Peut-être qu’un homme d’esprit serait plus réceptif à mon message me dis-je. Il n’en fut rien :

« Quelle hérésie prône-tu là étranger ? J’en suis sûr désormais ! Si Valass a guidé tes pas jusqu’ici c’est pour que je t’occise ! En garde suppôt des hommes ! »

Pour ne jamais avoir entendu parler du « chevalier noir, protecteur des hommes » et me défier ainsi d’une manière aussi inconsidérée il devait s’être retiré du monde il y a fort longtemps. Tuer ainsi pareil sauvage me procura une joie qui m’avait délaissé depuis une éternité. Il n’y avait toutefois pas beaucoup d’honneur à cela tant sa retraite l’avait visiblement affaibli. Il avait laissé derrière lui quelques parchemins dans lesquels j’appris qu’il se prénommait Anatoli, qu’il était jadis baron mais avait eu une vision un beau jour après avoir péché en couchant avec l’épouse de son suzerain. Néanmoins le plus surprenant fut la date de son départ : 4067 après la guerre des sangs. Je venais probablement de tuer le doyen de notre race dans une grotte perdue au milieu d’Orania. Cette découverte atténua quelque peu la joie que j’avais éprouvé en l’entendant expirer et je me décidai à emporter ses écrits ainsi que sa mystérieuse épée. Malgré les siècles il n’y avait qu’une trentaine de parchemins, certes assez gros, mais qui me laissaient penser qu’ils ne contenaient que des choses qui avaient dû revêtir une importance particulière pour lui. Il écrivait sans doute avec encore plus de parcimonie que moi.

J’ai de toute façon tout un voyage pour le découvrir et je ne laisserai pas ces bouts de papiers me ralentir dans ma quête ! Je me chargerai néanmoins d’indiquer le lieu de sa dépouille dans le premier temple que je trouverai afin que les sanguinolentes s’occupent de ses sépultures. Voilà un des rares aspects de la vraie foi à ne pas avoir été dénaturé, autant en profiter et puisse-t-il reposer en paix malgré son égarement.

Pierre

La bataille aura lieu demain et, de ma vie, jamais je n’ai vu pareille armée. Des milliers de vampires et des dizaines de milliers d’hommes se sont amassés face à nous toute la journée. La seule raison les ayant empêchés de nous assaillir aujourd’hui même fut le temps qu’il leur fallut patienter entre l’arrivée de leur premier et dernier soldat.

Heures après heures nous avons vu ces humains en armure s’attrouper face à nous, entourés de cohortes de cavaliers agissant avec eux comme les chiens avec les moutons. Le nombre est toutefois leur seul avantage. Nous nous sommes entrainés, nous avons prié, notre position est forte et nul doute que chacun des hommes qui nous fait face aspire au fond de lui à la délivrance. Leurs assauts manqueront de mordant et la cavalerie sera bien incapable d’emporter les barricades que j’ai faites s’ériger des semaines durant.

Nous entonnâmes en cette soirée les ultimes chants et incantations pour nous assurer la victoire. Nous avons également déposé des torches partout autour de la ville afin d’éviter toute intrusion vampirique. Toutes les préparations possibles ont été faites et, à la minuit, Rolland tint son ultime discours avant la grande bataille :

« Mes frères ! Demain coulera le sang des hommes et des vampires ! Nous pourrons y arracher notre liberté ou bien retrouver nos chaines. Chacun d’entre vous en est conscient et c’est pour cela que nous vaincrons ! Les humains qui nous attaqueront demain ne se battent que par obligation. Ils sont affamés par les privations que nous leur avons fait subir, ils sont épuisés par la marche qu’ils viennent d’effectuer et nulle ardeur n’habite leur cœur. En retour nulle haine ne devra résider dans les nôtres. Nous serons certes forcés d’en tuer certains mais ce sera pour en libérer la majorité ! Renaud sait combien de nos semblables attendent, sans même le savoir, notre victoire ! Le destin de chacun de ces humains est désormais entre nos mains ! J’ai d’ores et déjà reçu des renseignements comme quoi des déserteurs cherchaient à rejoindre nos forces, sans succès pour l’instant, mais croyez bien que chacun de ceux que vous affronterez demain n’attend qu’un prétexte pour se rendre et nous rejoindre ! Encaissons le premier choc, démontrons-leur que jamais ils ne perceront nos rangs et la victoire tombera comme un fruit mur avec les redditions qui s’en suivront. Soyez prêts à les accueillir en nos murs afin de les protéger de la vengeance des vampires et demain soir nous serons trois fois plus nombreux que nous ne l’étions ce matin et l’ennemi dix fois moins. Puisse Renaud bénir nos armes ! »

Chacun répéta cette dernière incantation et tous allèrent se coucher à l’exception des sentinelles. Pour ma part je m’approchai de Rolland afin de converser avec lui. J’avais beau avoir la foi la peur étreignait mon cœur en cette veillée de bataille. J’arrivai et lui demandai d’un ton le plus assuré possible :

« Des humains ont-ils réellement cherché à nous rejoindre ? »

Rolland sourit et me répondit :

« - Rien de certains mais une sentinelle croit avoir vu un humain courir au loin dans notre direction avant de se faire rattraper par un chevalier. De toute façon tout ce qui peut affermir notre confiance est bon à prendre Je ne sais pas ce qu’il en est pour toi mais les soldats que j’ai vus jurent en chaque instant qu’ils ne connaissent pas la peur. Pourtant je suis persuadé que chacun appréhende la journée de demain… La bataille sera un fait nouveau pour eux. Pour moi aussi d’ailleurs…

- Et vous, avez-vous peur ?

- Oui, un peu, mais je sais que nous vaincrons ! Renaud est avec nous ! Qu’ont-ils eux ? Valass ? De ce que je sais il ne bénira que les vampires et encore s’il s’en donne la peine. Je suis de toute façon persuadé qu’il ne conférera pas le pouvoir aux chevaux d’enjamber les fortifications que tu as faites construire. Renaud lui fut comme nous ! Il ne nous abandonnera pas. Notre cœur est pur et demain nous allons récolter le premier fruit de l’arbre planté il y a des générations de cela par les premiers adeptes du Dieu-Roi. Des décennies à courber l’échine et à subir la tyrannie vampirique. Mon père et le père de mon père ont souffert et sont morts sans rien tenter pour que nous puissions l’emporter. Il m’est inconcevable que tout cela soit vain ! Dort tant que tu le peux. Nous aurons besoin de toutes les énergies demain… Et je ferai bien de faire de même. »

A ces mots il me sourit et partit se coucher. Je fis de même. Pourtant j’ai beau essayer je ne parviens pas à fermer l’œil. La nuit de demain sera meilleure et le sommeil plus aisé à trouver après la victoire.

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