Chapitre 27 : La reine d'Isgar

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Lazare

La campagne de l’an 5132 s’ouvrit enfin et je reçus une promotion à cette occasion ! Pas n’importe laquelle. Alors que l’armée s’apprêtait à se mouvoir je fus convoqué dans la tente royale. J’ignorais les raisons de cet insigne honneur mais ma joie n’avait pas de borne. La simple idée de recevoir des louanges du souverain suffisait à me combler. Je ne fus pas déçu.

Une fois entré j’aperçu Stanislas IV entouré de mon père, du grand-duc d’Ortov et de quelques seigneurs dont j’ignorai le nom. Je m’agenouillai aussitôt. Le roi s’adressa alors à moi :

« Relève-toi ! J’ai ouïe dire beaucoup de bien à ton sujet ! Si jeune et déjà couvert de gloire ! »

Il posa alors son regard sur la médaille que j’arborai toujours fièrement. Se souvenait-il seulement que c’était lui-même qui l’avait accroché à mon poitrail ?

« - De plus tu as accompagné le seigneur Igor dans sa quête de renforts avec succès. La plupart des autres équipes sont rentrées bredouille… lorsqu’elles sont rentrées. Tout cela sans compter que le général ton père ne tarit pas d’éloge à ton sujet.

- C’est trop d’honneur Majesté, répondis-je humblement.

- Point du tout. Après tout, comme le dit le poète, « Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années ». Nul doute que toi comme moi sommes de cette trempe ! Aussi je te nomme dès à présent général de l’armée de la rédemption et place quatre-mille hommes sous tes ordres ! Tu partiras avec eux dans l’après-midi sous le commandement du grand-duc d’Ortov afin de reprendre les terres qui m’ont été arrachées par son félon de fils. »

Tout mon corps tremblait. Jamais je n’aurai osé ne serait-ce que rêver pareille promotion et pourtant je venais de la vivre. En cet instant ma joie ne se put comparer qu’à celle des amants qui ont le cœur comblé. J’allais commander à la plus puissante force des hommes. Sur moi reposait l’immense responsabilité de racheter les fautes de mes semblables. Tout en me retenant de tressaillir d’allégresse, j’écoutais la conversation qui se tenait devant moi.

« Gueorgui, vous serez accompagné par cent chevaliers dont le seigneur Konstantin pour vous seconder. »

A ces mots je relevai la tête et vis un vampire à l’armure salie et tailladée de partout, comme si elle avait vécu mille combats sans n’avoir jamais été entretenue. La faible lumière qui éclairait le lieu me permit durant un court instant d’apercevoir le visage du seigneur en question. De toute évidence l’expression qu’il affichait à l’encontre du grand-duc était celle de la suspicion. Je l’avais déjà vue mille fois dans le regard des vampires qui s’était égaré sur moi, humain armé et entrainé. Il avait été envoyé aux côtés de ce seigneur non pas tant pour l’assister mais plutôt pour s’assurer qu’il ne rejoigne pas son fils. A ce moment il posa ses yeux sur moi et alors la rage s’ajouta à la méfiance qu’il arborait toujours. Je m’empressai de baisser les yeux. Je fus comme absent durant tout le reste de la conversation et en moi la terreur s’était jointe à mon bonheur.

Après cette réunion je sortis de la tente et m’en allai organiser mes troupes. Je n’eus pas le temps de fêter ma promotion avec mes camarades de régiment puisqu’en deux heures à peine nous fûmes prêts pour le départ et aussitôt sur les routes.

Me voilà donc entrain de guider les fantassins, la cape indigo de général sur les épaules, marchant à la tête des hommes et derrière les vampires. Je sens néanmoins que ce trajet ne sera pas plus agréable que celui qui m’amena à Ynichkmar. A chaque fois que je laisse apparaître sur mon visage la fierté due à mon nouveau rang un vampire se retourne et je sens de sous son casque le regard inquisiteur de ceux qui me méprisent et se méfient. Qu’importe, je ne risque sans doute rien et je leur prouverai, les armes à la main, que nous les humains et moi en particulier sommes dignes d’estime et de confiance !

Piotyr

Catastrophe ! Natacha n’est pas revenue et pour cause ! Non contente d’avoir échoué à assassiner le grand-duc elle s‘est faite attraper et exécuter… Si seulement ce n’était que cela mais voilà que nos ennemis font croire à tous que Yegor était la cible. Comment aurions-nous pu vouloir assassiner pareil incompétent ? Bien idiot est celui qui pense qu’il s’agissait du neveu de Valentyn mais nombre ont intérêt à y croire ce qui est sans doute encore plus dangereux.

Stanislas ne s’arrête plus de bafouer les lois des vampires et de Valass. Il est évident qu’il est responsable, si ce n’est coupable en personne, de la mort du fils de l’usurpatrice. Ce dernier avait beau être un traître, c’était avant tout un esprit faible manipulé par Orania. Quelle erreur de faire confiance à pareils vampires ! La mort est bien la seule leçon dont on ne tire aucun enseignement. Si Yegor avait perçu ne serait-ce qu’un brin de l’âme du monarque qui se prétendait son soutien il se serait sauvé à toute jambe. Voilà ce qu’il en coûte de suivre pareil hérétique. Pourtant on dirait que Stanislas cherche toujours de nouveaux moyens de finir damné.

A peine le faux roi mort que le souverain d’Orania s’empressa de proclamer une fausse reine à sa place. Cela était déjà scandaleux mais le pire était à suivre. Sans doute sous la pression de celui qui partage son sang, Anastasia a immédiatement abdiqué… en faveur de son frère Stanislas qui se prétendit dès lors roi d’Orania et d’Isgar ! Comme si le choix des monarques incombait à nous autres vampires !

« Valass seul choisit en les faisant naître

Les nobles têtes qui seront couronnées

Et de cette Terre en fera les maîtres

Pour qu’en son nom ils règnent à jamais ! »

Le parvenu qui souhaitait imposer aux autres royaumes ses semblables ne s’embarrassent même plus de pantins. Il est de la même trempe que le précédent duc de Kulmar à une échelle encore plus grande. Il n’a ni légitimité ni honneur. Pour l’avenir des vampires il doit être défait ! Il ne se cache même plus derrière un simulacre de vertu. Il a promis à tout vampire venant de pays étranger le rejoignant titres, richesses et honneurs. Infamie suprême il a promis à tout comte ou duc d’Aartov qui accepterait de marier sa fille avec lui d’en faire l’un des plus grands seigneurs des couronnes unies d’Isgar et d’Orania. Cela me ferait rire si j’étais persuadé qu’aucun arriviste ne serait susceptible de succomber à pareille sirène. Hélas l’histoire m’a prouvé que bien des vampires oublient toute fidélité lorsqu’il est question de pouvoir. Il va donc falloir que je veille au grain afin de m’assurer qu’aucun seigneur de notre coalition ne cède aux promesses de ce démon.

Aartov, seul royaume en guerre qui n’était pas affecté par les troubles internes, risque fort d’à son tour connaitre les affres de la trahison. Nous verrons si le pays des chevaliers mérite son surnom ou si, comme tous les autres, ses seigneurs sont corruptibles et détenteurs d’âmes faibles. Il n’empêche qu’avec de telles appâts et devant l’absence de victoires de notre part des désertions commencent à apparaître même chez nous. Quelques seigneurs ont déjà quitté leur suzerain pour rejoindre Stanislas. Les vampires sans titres s’avèrent aussi, pour beaucoup, être sans honneur. Qu’importe qu’ils servent au même rang que des humains ou que leur cause soit la plus répugnante à laquelle on puisse adhérer si cela peut leur rapporter.

La première cause de tous ces désordres est le manque de foi, engendré par des siècles d’abandon de la part de nos rois et reines. Sur les conseils de Valentyn et avec le concours du pontife Igor nous avons décidé d’armer les prêtres et tous les vampires ayant dévoué leur vie à Valass ! Ils ont désormais carte blanche pour traquer l’hérésie où qu’elle se trouve ! Ils ont toute autorité sur quiconque, du plus petit seigneur au plus grand des ducs. Nul ne pourra se soustraire à la justice de notre Dieu ! Et si nos félons rejoignent Stanislas, les religieux persécutés d’Orania reconnaissent notre vertu et nous rejoignent en retour. En effet, nombre de leurs frères ont été exécutés par ordre de l’archiprêtre Aleksy à cause d’une foi un peu trop sincère. Ces pieux renégats se sont déjà organisés sous le nom de la compagnie de Sviatoslav, du nom du prêtre ayant occis Nikolaj. Tous ces vampires nouvellement armés sont désormais sous le commandement direct du pontife qui s’en va traquer les ennemis intérieurs. Il n’y a plus un prêtre qui ne soit également guerrier.

Je suis malgré tout quelque peu inquiet à l’idée que tout ce fanatisme ne se retourne contre nous. Cela motivera sans doute nombre de seigneurs à s’engager plus avant dans notre conflit mais cela risque également d’en jeter quelques-uns dans les bras de notre ennemi… Sans oublier le nouveau duc de Kulmar, déjà travaillé par Orania si j’en crois les lettres qu’il reçoit. Difficile pour l’instant de connaître avec exactitude ses intentions mais il se pourrait qu’il soit également tenté par la révolte… Qu’importe, les braves seront de notre côté et un seul de cette trempe vaut bien tous les lâches que Stanislas pourrait récolter.

La campagne arrive à grand pas et avec ce regain de force morale, la bénédiction de Valass et les mercenaires que nous avons engagé nul doute que la victoire nous tendra les bras ! Javor avance de plus en plus vite au sud et pour notre part nous allons attaquer Stanislas tout en soutenant le prince Alekseï d’Ortov. Continuons d’attiser le feu de la révolte en Orania, jugulons celui qui risque de prendre chez nous avant même qu’il ne s’allume et, au nom de Valass et de tous les vampires, renversons le tyran !

Pourtant, à ma grande honte je dois reconnaître que ma vie s’est améliorée ici. Je n’ai plus peur de Natacha dans les sombres recoins du palais, la ville a enfin quittée son faste pour se plonger dans une ambiance plus pieuse et la compagnie d’Ina m’est des plus agréables. Cette femme est un don de Valass. Sa piété n’a d’égale que sa bonté et elle désespère en chaque instant de ne pouvoir faire plus pour aider son mari. Chacune de ses prières lui sont adressées et le seul moment où elle ne respecte pas son rang est lorsqu’elle me demande de la laisser rejoindre son époux. Hélas cela est impossible car bien trop dangereux. Je ne suis pourtant pas tout à fait d’accord lorsqu’elle prétend ne servir à rien. Sa sincérité et sa bonté suffisent à séduire nombre de seigneurs. J’ai vu beaucoup d’entre eux quitter le confort de la capitale et rejoindre l’ost de Valentyn après une simple discussion avec la reine alors qu’ils n’avaient jusqu’ici que difficilement consenti au moindre impôt. Sans même le savoir elle dispose d’un pouvoir de persuasion incroyable et arrive à subjuguer sans pêcher les plus endurcies des âmes. Sa chevelure blanche ajoute l’exotisme à son charme naturel et je pense que nulle femme n’eut mieux convenu tant à notre roi qu’à notre temps.

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