Chapitre 28 : La guérilla du nord

11 minutes de lecture

Andrei

1er juillet 5132

Ces gens ne veulent pas gagner ce conflit mais simplement détruire le pays. Lorsque l’ennemi assiège une place il détale avant que nous arrivions et détruit tout ce qui vit sur des lieux à la ronde. Lorsqu’il parvient à s’emparer d’une forteresse, au lieu de la conserver, il la rase jusqu’aux fondations. Pire, les fiefs de nos soutiens sont soumis à des razzias constantes ce qui crée une grogne de plus en plus importante dans nos rangs. Les seigneurs dont les terres n’ont pas encore été saccagées retournent chez eux pour les défendre et s’y font massacrer sans que nous ne puissions rien faire du fait de la lenteur de notre armée.

Nous avons bien tenté de séparer nos forces en trois colonnes de trois mille hommes afin de couvrir un maximum de territoire mais l’ennemi s’était alors concentré sur l’une d’entre elles et faillit la détruire entièrement. Nous y avons perdu tant de nobles vampires et désormais même les humains viennent à manquer. Au contraire le camp de notre ennemi se renforce. La terreur qu’il fait régner est telle qu’elle lui permet de rallier les indécis. En bon prince Alexeï se refuse à détruire son propre royaume et les exactions qu’il commet ne provoquent pas assez de peur pour détourner ses prétendus vassaux du baron de Rapkamar. En revanche elles sont suffisantes pour lui aliéner ses potentiels soutiens.

La noblesse et la chevalerie ont totalement abandonné cette guerre. Lors d’une escarmouche nous avons réussi à capturer Vladimir, le deuxième fils du baron. Le sort qui lui fut réservé fut d’une atrocité sans nom et pourtant nul chevalier ne protesta. Plus aucune règle ne régit notre conflit et il semble qu’il ne s’achèvera que par la mort du dernier vampire de l’un des deux camps. La simple idée de négocier nous est inconcevable.

Hélas dans ce déluge de haine et de violence nous perdons. Alors que nous étions plus nombreux au départ la guérilla qui se dresse face à nous semble un obstacle insurmontable. Les forêts sont de meilleures protections que n’importe quel château et la lâcheté est une arme plus redoutable que la plus affutée des lances. L’ennemi ne cesse d’engranger des succès et si aucun d’entre eux n’est décisif, leur grand nombre finit par faire pencher la balance en leur faveur. Nous nous sentons comme du gibier prêt pour l’hallali. Et il arrive bientôt.

Nombres de nos mercenaires ont déserté. Tout l’or du monde ne suffit plus à les convaincre de rester à nos côtés et ils préfèrent être peu payés dans l’armée des vainqueurs plutôt que mourir riches. D’autre part j’ai appris que Gueorgui se rapprochait avec une importante force régulière. Comme si nous n’avions pas assez à faire avec ces sauvages ! Enfin Anastasia a réussi à convaincre nombre de seigneurs oraniens de lutter pour « l’unité du royaume ». Nous n’avons plus que sept mille hommes, cinq-cents chevaliers et une centaine de prêtres fanatiques nous ayant rejoint il y a peu. Au contraire l’armée qui s’assemble à notre frontière devrait contenir plus de dix-mille hommes et mille chevaliers. Nous pressons Valentyn et Javor de lancer une offensive afin de nous soulager mais nous n’avons pas reçu de réponse pour l’instant. A ce jour nous ne contrôlons directement plus que les grandes villes d’Ortov, d’Altmar et d’Arnov. Je crains que cela ne dure pas. Nombre de récoltes ont été brûlées et ces cités ne survivent que grâce aux réserves accumulées jusque-là. Je doute qu’elles demeurent sous notre contrôle lorsque la famine arrivera.

Que Valass nous vienne en aide ou le royaume d’Ortov aura vécu moins d’un an.

Lev

Nous avons enfin repéré l’ennemi ! Ce dernier se replie mais sa discipline de marche est pour le moins médiocre. Selon nos éclaireurs nous l’aurons rattrapé d’ici trois ou quatre jours. Enfin la confrontation va avoir lieu ! Même amputée d’une partie de nos troupes nous lui demeurons supérieur au moins qualitativement.

Nous avalons les lieues avec une célérité rarement atteinte dans l’histoire militaire. Bien malhonnête serait le vampire à regretter l’entraînement conféré aux humains en ce jour. Ils sont admirables : ils ne se plaignent jamais, se déplacent à pied avec vivres et équipement sur les épaules et sont d’une discipline à toute épreuve. Même les nouvelles recrues semblent s’être bien intégrées. Après tout, s’il y a bien une chose qui leur fut enseignée cet hiver, c’est la marche ! Comparées à ces innombrables randonnées dans le froid glacial, les avancées journalières dans la douceur de l’été doivent leur sembler bien aisées.

Quel beau spectacle que ces hommes et ces vampires marchant au pas cadencé unis dans un but commun. Je ne dois pas pour autant omettre que la plupart des chevaliers présents se sentent profondément humiliés par la situation et qu’ils n’agissent pour la plupart que par intérêt. Il suffit que je parle à l’un d’entre eux plus de quelques minutes pour le voir cracher toute sa haine à l’égard du genre humain. « Stanislas ne sait pas ce qu’il fait, les hommes se retourneront tôt ou tard », « Le roi a-t-il oublié qui a remporté la bataille de Rutor ? Il n’y avait point d’humains ce jour-là ! », « J’espère recevoir bien des titres après la guerre, non pas tant pour m’être battu mais surtout pour avoir supporté ces abominations de la nature ! ».

L’intérêt semblait primer sur la loyauté au roi ou à Orania dans presque tous les cas. A mot couvert j’essayai de leur ouvrir les yeux mais on me riait au nez à chaque tentative. Il ne pouvait s’agir que d’une plaisanterie selon eux. Qu’ils rient ! Je n’ai pas besoin de tous les convaincre ! En fait il suffit que j’en persuade un seul et le royaume se pliera, tôt ou tard, à sa volonté.

C’est dans cette optique que je demandai audience auprès du souverain. Après deux jours d’attente elle me fut accordée. Stanislas étudiait avec ce qu’il restait de son état-major les cartes et préparait d’ores et déjà la bataille qui s’annonçait. Ses lieutenants n’étaient plus de grands seigneurs bien nés mais des vampires compétents et tolérant un tantinet mieux les humains que les autres. Tout du moins faisaient-ils mieux semblant.

Je m’inclinai devant le roi.

« Relevez la tête. Qu’est-ce qui vous amène, dites-moi tout. »

Je posai alors le regard sur les autres vampires présents.

« Ne vous en faites pas, ils ont mon entière confiance et je vous donne ma parole que rien de ce que vous pourrez dire sous cette tente ne pourra vous inquiéter. Nous sommes au courant de votre réputation d’ami des hommes après tout. S’il est un temps ou ce genre d’opinion est accepté c’est bien par ceux qui courent. Parlez donc sans crainte ! »

Je regardai les sanguinaires ainsi que les autres seigneurs présents. Ils semblaient se désintéresser de moi. Après tout n’étaient-ils pas les plus fidèles serviteurs du roi ? Les premiers étaient sans doute les seuls réellement attachés à la personne du monarque. L’ordre plurimillénaire des sanguinaires avaient toujours défendu le souverain d’Orania et n’avaient jamais trahi, pas par intérêt du moins. Les autres étaient sans doute ceux à qui Stanislas avait le plus promis et nul doute qu’ils redoutaient sa chute plus encore que les précédents. Je m’estimai donc en sécurité dans la mesure où il serait mon bouclier.

« - Sire, je tenais tout d’abord à vous faire part de mes sincères félicitations pour votre légitime accession au trône d’Isgar ! Comme vous l’avez vous-même dit le sort des hommes me préoccupe. Je me demandais si vous comptiez mettre en place quelques réforme pour améliorer le sort des serfs. Tant dans votre ancien domaine que dans votre nouveau.

- Je verrai. Pour le moment que les soldats prouvent déjà leur loyauté et leur efficacité. Qu’ils servent mes intérêts. Si je vois que des humains bien traités, entraînés et estimés sont plus utiles à la guerre que des esclaves méprisés, alors peut-être pourrai-je envisager qu’il pourrait en être de même dans les fiefs. Toutefois à l’heure actuelle j’ai déjà du mal à tenir mes vassaux avec toutes ces réformes et accorder davantage de liberté aux hommes serait néfaste tant pour moi que pour eux. Si je tombe, ils tomberont et leur chute sera d’autant plus brutale que je les aurai fait s’élever haut. »

Je ne savais toujours pas s’il disait cela afin de donner le change aux autres vampires ou si c’était pour me ménager moi. Comptait-il améliorer le sort des humains une fois a guerre finie ou bien les faire retomber dans l’état dans lequel ils étaient ? Sa version me paraissait néanmoins la plus crédible. Il semblait être le plus dénué de principes parmi tous les vampires qu’il m’ait été donné de rencontrer, en bien comme en mal. Si libérer les hommes pouvait le servir, il le ferait. Et puis, après tout, je ne pèse rien dans cette guerre, à quoi bon me raconter cela si ce n’est pour préparer les seigneurs présents, future élite de son état, à accepter les réformes qu’il entreprendra ? Dans cette optique l’implantation même de ma religion pourrait le servir mais il était encore trop tôt pour en parler.

J’en profitai néanmoins pour aborder un sujet brûlant avant qu’il ne refroidisse :

« Sire, excusez mon audace mais j’ai besoin de savoir… Que s’est-il vraiment passé dans la tente du défunt roi Yegor ? J’ai parlé avec les humains et ils m’ont assuré que l’assassin avait été repéré la veille du meurtre. Je ne puis imaginer que vous avez mis plus que quelques instants pour la capturer aussi comment se fait-il qu’il y ait tout de même eu un mort ? D’autant plus que Valentyn annonçait dans chacune de ses lettres que seul le grand-duc était visé. »

Le roi posa son regard sur moi et me dévisagea. A cet instant même le reste de la tente s’était arrêté pour me fixer. En avais-je trop dit ? Personne n’était-il au courant ? Nul seigneur ne s’était-il donc posé la moindre question ? La peur d’avoir trahi un grand secret me submergea alors.

« Ne vous en faites pas, c’est la surprise qui nous a assailli… Parler à des humains, quelle idée aussi il n’y a bien que vous pour vous adonner à pareils loisirs… Néanmoins vous avez vu juste. Ne vous en faites pas, c’est avec ces gens-là que j’ai mis au point mon petit stratagème. »

Sa mine était celle d’un enfant ravi d’avoir commis quelque bêtise sans s’être fait prendre. Il avait un air goguenard et espiègle comme si cette affaire n’avait pas la moindre gravité et il semblait ravi de pouvoir la raconter à quelqu’un qui en ignorait encore les tenants et aboutissants.

« Après que vous m’avez révélé vos trouvailles, là encore en ayant côtoyé des humains, j’ai envoyé quelques missives afin de prendre conseils auprès de ma sœur. Je suis d’ailleurs surpris car depuis votre rapport j’envoie régulièrement des vampires parler avec des humains en quête d’informations mais ils ne trouvent jamais rien… Si nous n’avions pas su dès le départ qu’ils risquaient d’apercevoir celle dont nous craignions l’action, jamais nous ne l’aurions découverte même avec tous les interrogatoires du monde. Il a fallu promettre et menacer plus que de raison pour obtenir nos informations… Vous devez avoir un don. »

Sans doute le roi ignore-t-il qu’un homme, comme n’importe quel vampire, se ferme instinctivement à celui qui se présente avec haine à son égard. Au contraire il s’ouvre très facilement à qui lui parle honnêtement et avec quelque affection non feinte. Je me contentai de hausser les épaules en signe de réponse. Garder ce secret me permettrait d’être plus indispensable au roi et de mieux servir mes projets.

« Toujours est-il que, comme à son habitude, Anastasia fut d’une aide précieuse. Je projetai au départ d’aller arrêter la tueuse, de l’interroger sur les projets d’Isgar à notre égard et de l’exécuter sans autre forme de procès. Elle m’objecta alors que ce serait du gâchis et que se présentait à nous une occasion unique de tuer sans jamais être découvert quelque vampire nous causant du tort en faisant porter le chapeau à l’agent de l’ennemi. Cela n’était pas absurde… Je ne sais pas si elle avait prévu que Yegor serait la cible. Elle avait sans doute trop de cœur pour commanditer la mort de son époux. Toujours est-il qu’une fois l’assassin capturée nous l’interrogeâmes. Sa résilience était incroyable. Quoi que nous lui fissions subir elle ne disait rien et cela nous découragea bien vite. Je soupçonnai même, et aujourd’hui encore, la famille d’Ortov à cause de sa couleur de cheveux mais impossible de tirer quelque information que ce soit. Nous la gardâmes donc captives. Le lendemain, avec les seigneurs présents et Konstantin, nous entrâmes dans la chambre de Yegor pour l’assassiner. Nous avons ensuite mimé quelques combats avant de sortir et d’annoncer la nouvelle. La suite vous la connaissez.

La mort de Yegor fut tout de même une véritable délivrance. Anastasia n’aurait plus à le supporter et je suis certain que le veuvage lui sierra bien. De plus, d’après les lois d’Isgar, elle devenait reine. Je lui proposai donc de me céder la couronne ce qu’elle fit aisément, non sans m’avoir reproché d’avoir « tué le mari de ma propre sœur ! ». Enfin, elle est bien trop douce et je sais qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur. Ce n’était là qu’une formule outragée qu’elle se devait d’avoir dans de telles circonstances. L’incompétence de Yegor ne nous manquera pas et pour ma part j’ai déjà promis les plus grands titres aux seigneurs qui me rejoindraient. Sans compter que le duc de Kulmar, dont le père a été exécuté il y a peu, pourrait se rallier à notre bannière… Anastasia y travaille. Ce que je vous ai dit là est une preuve de confiance et naturellement vous ne la trahirez pas… D’ailleurs, sur les recommandations de ma sœur, je compte vous accorder une promotion ! Puisque les hommes ne s’adressent qu’à vous, vous serez chez eux mon ambassadeur. Vous leur expliquerez tout le bien qu’ils me doivent et les mènerez à la bataille ! Vous répondrez tant de leurs échecs que de leur succès et je compte sur vous pour que leur fidélité et leur efficacité aillent croissants. La plupart des vampires n’accepteraient ce rôle qu’à contre cœur mais je sais que vous en serez ravi ! »

J’acceptai sans hésiter. L’intelligence de la sœur liée au cœur de pierre du frère faisait des merveilles. Si la bonne fortune des armes continue et que des seigneurs arrivistes nous rejoignent au fur et à mesure de nos victoires, peut-être Stanislas deviendra-t-il roi de deux royaumes… Deux royaumes qui, sous son règne, serviront de base à l’émancipation des hommes !

Annotations

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0