Chapitre 36 : La réponse du seigneur

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Lev

Mon séjour dans ma baronnie fut une des périodes les plus heureuses de ma vie mais voilà que je dois repartir en guerre. Sans doute suis-je déjà père. D’un fils ou d’une fille ? Telle est la question qui me taraude l’esprit sans cesse… je le saurai lorsque je rentrerai. J’ai bien insisté sur le fait qu’envoyer des pigeons concernant notre enfant risquait de le mettre en danger et ainsi nul information ne m’est parvenue depuis.

Heureusement la reprise des hostilités chasse quelque peu mes doutes et inquiétudes. Le roi a beaucoup hésité mais lorsqu’il a appris que l’ennemi se dirigeait vers nos bases arrières il a finalement décidé de rebrousser chemin et de repasser le col d’Ilpelev une deuxième fois. Toutefois il n’a pas pu se résoudre à abandonner ses conquêtes et a laissé la moitié de ses forces en Isgar afin de pas avoir à lutter pour repasser en territoire ennemi. Il les a placés dans les forteresses rebâties à la hâte et autres villes afin de limiter les gains que pourrait effectuer l’ost d’Isgar en son absence.

Nous ne savons que peu de choses sur les forces qu’ils ont levé cet hiver mais nul doute que leurs meilleures troupes sont en Ortov et la nouvelle armée ne devrait pas être en mesure de reprendre tout le terrain conquis en une campagne contre dix-mille hommes et un millier de vampires entrainés et expérimentés. Consigne fut donc donnée au baron d’Akmar de ne pas livrer de bataille et de reculer en cas de danger tout en conservant à tout prix le contrôle du col reliant les deux royaumes. Ce dernier était un des plus fidèles partisans de Stanislas et avait été choisi pour ce poste sur mes conseils du fait de son intelligence et de sa haine vis-à-vis des hommes plus limitée que chez les autres seigneurs.

Toutefois cela ne pouvait que partiellement compenser la plus grosse faiblesse de notre armée. En l’absence de grand seigneur soutenant la cause du roi chaque détachement devait être confié à un noble de moindre rang qui n’était pas forcément moins efficace mais assurément moins respecté. Les querelles d’égo se faisaient jour dès que le souverain s’absentait et nombres de manœuvres avaient partiellement ou totalement échoué l’année précédente à cause d’un manque de coopération entre les officiers. Ni les menaces ni les promesses ne parvenaient à totalement éradiquer ce genre d’incidents. Quelques forteresses avaient ainsi résisté bien plus longtemps qu’escompté à cause du refus d’un seigneur d’envoyer des renforts à un autre prétextant qu’ils étaient de même rang et qu’il n’avait donc pas à se soumettre.

L’autorité ainsi conféré au baron d’Akmar ne durerait qu’un temps et plus la campagne serait longue, plus il reculerait et plus il serait contesté. Il n’y avait hélas pas d’autre solution. Laisser ainsi tout un front dans les mains d’un si petit seigneur était risqué mais le roi estimait que s’il arrivait à rapidement vaincre Valentyn et Alexeï il pourrait retourner en Isgar avant que les dissensions ne soient trop grandes et leurs effets trop désastreux. Néanmoins Stanislas ne cessa pas d’envoyer des lettres de rappel afin que l’autorité du baron soit bien respectée. Il ordonna également au grand-duc d’Ortov de ralentir l’armée qui lui faisait face en attendant sa venue et qu’il pourrait si besoin abandonner Arnov contre quelques jours.

Nous avancions ainsi à marche forcée à travers des régions dévastées par la guerre afin de sauver notre base de ravitaillement. Stanislas ne cessait d’écrire des ordres à ses généraux car, plus que jamais, de la coordination des armées dépendaient le succès de la campagne. Depuis notre départ nous avalons huit lieues par jour. Malgré les hésitations du souverain il semblerait que nous soyons en mesure d’arriver à temps pour sauver Vanov toutefois les mauvaises nouvelles arrivent déjà : Les forces restées en Isgar sont contraintes de reculer devant un ennemi plus nombreux et les troupes de Valentyn et Alexeï assiègent déjà Arnov qui, à la grande fureur de Stanislas, s’est avérée peu préparée pour un siège malgré l’évidence de ce dernier. Pendant ce temps au sud Sartovmar résiste tant bien que mal et l’armée d’Aartov semble bloquée.

Si tout se passe comme prévu nous devrions passer le col d’Ilpelev d’ici une semaine, la course pour Vanov sera serrée mais nous devrions arriver à temps. Jamais je n’ai autant poussé mes hommes à se surpasser. Pour mon enfant je n’ai pas le droit d’échouer sans quoi Isgar pourrait parvenir à reprendre mon fief et les jours de ma famille seraient comptés. En ce jour la vitesse de notre armée demeure sa plus grande sécurité aussi fais-je tout pour la décupler !

Juliette

Enfin rentrée ! Pareille aventure se doit de s’achever chez soi dans le confort et la proximité de ses proches. J’étais parvenue à rejoindre le camp de l’armée du royaume d’Ortov. J’avais pour cela parcouru des forêts, des plaines et même traversé une immense rivière. Tant de choses que je n’aurai jamais pu imaginer et qui peuplent désormais mes rêves les plus fous. Toutefois ma constante extase ne devait pas me faire dévier de mon but.

Une fois arrivée j’enterrai les quelques piécettes que ma dame m’avait données. Je n’eus point de mal pour m’intégrer dans le camp. Nombre de vagabonds allaient et venaient en espérant pouvoir troquer un peu de leur force et de leur temps contre quelques miches de pains. J’eus l’occasion de parler avec certains d’entre eux. La plupart avait vu périr leurs proches l’année dernière dans les innombrables razzias qui survinrent durant cette guerre. Des vampires et des hommes en armes venaient, brûlaient habitants, bâtiments et cultures puis repartaient. Pour beaucoup c’étaient auprès de ces même gens qu’ils essayaient désormais de se nourrir. Les hommes devenaient soldats tandis que les femmes, les enfants et les infirmes s’occupaient de laver les vêtements, entretenir les armures et faire la cuisine.

C’était à croire que j’étais la seule humaine n’ayant jamais eu à se plaindre des vampires. Je me fis donc garçon d’écurie et je passai mes journées à nettoyer les chevaux et ce qui leur servait d’étable. Ces derniers étaient mieux traités que la plupart des humains que je connaissais et certains vampires exigeaient même que nous nous inclinions devant leur monture. Si cela pouvait leur faire plaisir, ainsi soit-il.

Je mis deux jours à m’acclimater au camp et à trouver l’étendard ainsi que le vampire que ma maîtresse m’avait décrit. En toute discrétion je m’approchais donc de lui en plein jour en portant un sceau d’eau. Lorsque je fus sûr que personne ne faisait attention ni à lui ni à moi je lui tendis le plus humblement du monde ma missive. Il la regarda et le sceau qu’il y vit sembla provoquer quelque chose chez lui puisqu’il demeura immobile quelques instants. Il m’arracha alors la lettre des mains avec son gant pourpre. Je lui expliquai alors :

« Messire, on m’a demandé de ne pas repartir avant d’avoir recueilli un oui ou un non de votre part. Je sais où vous logez dans ce camp. Afin de garantir votre discrétion je vous propose de vous étirer à l’aube devant la tente si la réponse est oui ou de vous accroupir pour un non. J’observerai chaque matin. »

A ces mots il me souleva et me chuchota à l’oreille :

« Ecoute petit effronté, pourquoi ne te tuerai-je pas ici avant d’envoyer par pigeon ma réponse à la personne qui t’a envoyé ? »

Je tremblai de tous mes membres et aucune réponse ne me vint à l’esprit… Je crois même qu’en cet instant je fis dans mon pantalon. Le vampire continua à me susurrer :

« Je vais te dire pourquoi : Parce qu’une lettre, c’est une preuve. Les dires d’un petit garçon ce n’est rien. Ainsi seul ton seigneur sera véritablement au courant de mes intentions. Tu as de la chance, tu es un outil que je ne peux pas briser mais ne t’avise plus jamais d’ordonner ou même de recommander quoi que ce soit à un vampire. Si ma réponse est oui je tuerai le garde situé à ma droite au premier rayon du Soleil si la réponse est non ce sera celui de gauche qui décédera ! Je compte sur toi pour retenir l’image que tu verras et pour ne plus jamais te montrer orgueilleux petit animal ! »

A ces mots il me jeta à terre et s’en retourna dans sa tente. Etonnamment notre altercation n’attira pas l’attention du moindre vampire et les humains semblaient s’en détourner de peur que sa colère ne se dirige vers celui qui manifesterait la moindre curiosité.

Des frissons de terreur avaient traversé tout mon être et je me sentais profondément honteuse d’ainsi me retrouver dans ma propre urine. Toutefois cela s’était accompagné d’une monté d’excitation due à l’imminence du danger et j’aurai été finalement bien incapable de dire si cela avait été agréable ou non. Qu’importe, je devais l’espionner toute la journée durant afin d’informer ma dame de ce qu’il avait fait avant de donner sa réponse. Ma maîtresse en déduirait ainsi sa sincérité ou non.

Ce fut des plus ennuyant puisque le seigneur au gant pourpre ne sortit pas de sa tente de la journée. Le soir venu j’essayai de dormir devant la demeure du vampire en essayant de rester alerte. En réalité je croupissais plus qu’autre chose cachée entre deux tonneaux. Le froid et la boue me maintinrent éveillée et je ne fermais les yeux que par intermittence. J’espérais qu’il ne prendrait pas trop de temps quant à sa décision car si je demeurais occupée à épier ses faits et gestes je ne pourrai pas travailler et donc pas manger. De plus une ou deux nuits de plus dans ces conditions achèveraient sans doute de me rendre malade. Je passai donc celle-ci à chercher des façons de tenir sur la durée sans relâcher ma surveillance mais ce ne fut finalement pas nécessaire.

En effet il ne se passa rien cette nuit et, lorsque l’aube se leva, je vis le seigneur sortir de la tente, empoigner son épée et décapiter d’un coup sec le garde à sa droite. Cette vue me réveilla plus sûrement que le chant des oiseaux ou la chaleur du Soleil. Le garde à sa gauche parut terrifié mais ne moufta pas.

Horrifiée je m’enfuis à toute jambe. Je déterrai les sous que je n’avais pas dépensé pour mon trajet et parti loin du camp. Je retraversais les régions dévastées et pourtant si belle que j’avais vue à l’aller, marchant la nuit à la lueur des étoiles et dormant le jour afin d’éviter les brigands sévissant dans la région. Je finis tant bien que mal par rallier le territoire sous contrôle d’Orania et dépensai alors ce qu’il me restait d’argent pour emprunter une caravane remplie de nourriture se dirigeant vers Valassmar.

Jamais je ne fus si heureuse de voir ma famille tandis que c’était la surprise qui prédominait chez eux. Néanmoins la personne que j’étais le plus impatiente de retrouver était la vampire qui m’avait missionnée. Je n’eus que deux jours à attendre pour qu’elle se présente et, lorsque je lui racontais la mission, elle eut un large sourire et s’en alla tout en s’exclamant tandis qu’elle s’éloignait :

« Félicitations ! Je reviendrai vite vers toi ! »

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