Chapitre 39 : La bataille du plateau ocre (partie 2)

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Andrei

...L’infanterie chargea alors nos opposants jusqu’à ce qu’une chose curieuse se produise : La ligne ennemie se sépara en quatre corps qui s’écartèrent les uns des autres. Je regardai à nouveau le marquis qui ne donna pas d’explications à cela mais scruta attentivement tout mouvement de l’ennemi.

Soudain la cavalerie adverse se mit en branle vers notre gauche. Le général Sergeï fit alors sonner le cor trois fois et, tandis que les chevaliers de notre droite commencèrent à envelopper le flanc adverse, ceux de notre gauche suivirent la tempête de poussière soulevée par la cavalerie ennemie.

“Cinq-cents cavaliers devraient être en mesure de retenir le gros millier de Stanislas. Pendant ce temps le comte d’Or écrasera la gauche de notre ennemi, dépourvue de vampire. Sans compter que nos opposants ne disposent d’ores et déjà plus de réserve contrairement à nous. Sire, sans vouloir m’avancer la bataille s’engage plutôt bien !”

Bien que dite posément et sans entrain particulier, cette phrase me persuada que la victoire était acquise. Sur notre droite nos chevaliers commencèrent à charger de façon répétée le carré à portée tandis qu’à gauche nos cavaliers suivaient de façon parallèle le roi Stanislas et ses propres troupes. Quant à nous, petit à petit, nous nous rapprochions afin de pouvoir rapidement réagir si le prince d’Ortov venait à avoir du mal à contenir la charge ennemie.

C’est alors que, soudain, nous vîmes émerger de la queue du nuage de poussière une immense masse de cavaliers. Sans que nous l’ayions réalisé le tyran avait profité du couvert offert par la saleté pour faire demi-tour et s’engouffrer entre ses carrés d’infanterie. Le prince Alexeï et ses chevaliers se retrouvaient hors de positions tandis que les vampires ennemis fendaient notre ligne, désormais trop étirée à cause de l’écartement de l’infanterie adverse. Les escadrons oraniens bousculèrent aisément nos hommes et se ruèrent alors sur nous dans un hurlement de rage et de fureur.

Alors que le prince Alexeï réalisa son erreur il tenta de faire rebrousser chemin à ses forces lorsque, surgissant du nuage, une troupe de cavaliers se précipita à sa rencontre, guidée par l’étendard d’Ortov indiquant ainsi que le père allait en découdre avec le fils. Petit à petit le plan de Stanislas se révélait à nous. Il avait fait s’écarter son infanterie afin d’ouvrir un chemin pour sa cavalerie. Il avait ensuite profité de la poussière ambiante pour feinter notre gauche et percer au centre. Il avait toutefois pris la précaution de laisser une petite partie de ses chevaliers faire le grand tour afin de retenir les troupes qui étaient elles-mêmes chargées de le retenir au départ.

En cours de redéploiement les chevaliers d’Alexeï n’étaient pas prêts à essuyer une charge et des dizaines d’entre eux chutèrent lors du choc. Il fut bien vite évident que nous n’aurions pas de renfort venant de ce côté-là avant un moment.

Le marquis Sergeï ne perdit pas pour autant son sang-froid. Il prit à partie deux seigneurs qui, après avoir reçu leurs ordres, s’en allèrent au triple galop respectivement vers notre flanc gauche et notre flanc droit. Immédiatement après, à la vue de ces guerriers nous fonçant dessus en hurlant à la mort, il brandit sa lance et ordonna :

“Soldats, ne vous laissez pas enfoncer sans réagir, lanciers en première ligne, en avant et chargez ! Valass vous regarde ! battez-vous avec ardeur et courage et protégez le roi !”

A ces mots Valentyn rentra dans le rang, les lanciers s’avancèrent, le marquis à leur tête et, dans une précipitation plus ou moins bien maîtrisée, nous chargeâmes la horde qui se présentait à nous...

Lazare

… Toutefois rapidement la partie difficile du combat survint. En effet, alors que la lutte était déjà âpre contre un ennemi supérieur en nombre, voilà que plus d’un millier de chevaliers vinrent se positionner en rang sur notre flanc gauche. Ils ne nous laissèrent pas le temps de souffler qu’ils chargèrent avec toute leur hargne. Bien que préparés à ce genre d’éventualité les hommes n’en tombèrent pas moins par dizaines. Les épées se fichaient dans les corps, les haches dans les crânes et les lances dans les articulations. Le choc passé, nos blessés étaient trainés à l’intérieur du carré et de nouvelles troupes prenaient leur place tandis que les chevaliers engagés reculaient puis s’écartaient tel un rideau afin de laisser leurs compagnons stationnés derrière eux nous charger à leur tour.

Cette mécanique infernale ne cessa pas et nous endurâmes un nombre incalculable de chocs sans que notre formation ne soit brisée. Pourtant, bien que de temps à autre une monture était touchée par un de nos carreaux ou qu’un chevalier trop enhardi se faisait désarçonner puis tuer, nos pertes étaient largement supérieures aux leurs. Bientôt cet enchainement de charges ne se cantonna plus seulement sur notre gauche mais commença également sur nos arrières. Positionné au milieu j’encourageais mes hommes et coordonnais au mieux les rotations toutefois il n’y avait pas un endroit où je pouvais poser mon regard sans voir des soldats, dont certains avec qui j’avais grandi, morts ou agonisants en hurlant de toute leur force. La poussière au départ orangée s’empourpra de tout ce sang versé et bientôt seuls les cris des vampires et leurs ombres floues étaient en mesure de nous prévenir de l’imminence d’un assaut.

Seuls l’entraînement, la cohésion et l’impossibilité de s’enfuir de ce carré de mort empêchaient ce dernier de se défaire sous les coups impitoyables et répétés de l’ennemi. Hélas arriva cet instant fatidique où même toute l’adrénaline, l’esprit de corps et l’expérience possible ne suffisent plus à surpasser la fatigue, la souffrance et la peur. Petit à petit ces deux forces contraires, l’une nous enjoignant à lutter jusqu’à la fin, l’autre nous intimant l’ordre de tout abandonner en nous faisant miroiter un espoir de survie s’équilibrèrent.

Je voyais des hommes courir à l’intérieur des rangs à l’approche d’une charge de cavalerie rompant à moitié la formation. Nos pertes s’en trouvaient alourdies mais ce n’était pas encore suffisant pour entrainer une panique générale. C’est dans ce genre de moment que l’officier doit reprendre le contrôle de sa troupe, qu’il doit lui insuffler un nouveau souffle et la relancer au combat. Pourtant j’en étais incapable. Tandis que les lances que jetaient les vampires me frôlaient toutes et qu’une m’entailla même la tempe avant de venir se ficher dans le dos d’un camarade, je ne parvenais pas à ressaisir mes hommes et cette situation commença même à me faire paniquer. Cinq, peut-être six charges de plus menées avec la même coordination et le même allant nous eussent probablement tous achevés.

C’est alors qu’un miracle se produisit. Je vis à travers le nuage de sang, moins épais et surtout moins haut du côté des humains, un cavalier ennemi s’approcher de celui qui semblait être le chef des vampires. Ce dernier ordonna alors à ses semblables de cesser les estocades et de se regrouper. Ce répit inespéré sauva notre corps de l’anéantissement et nous redonna courage de telle sorte que nous parvînmes même à repousser l’infanterie adverse sur quelques pas. Après ce moment de flottement une partie des chevaliers ennemis menés par leur officier se dirigea vers le centre tandis que les autres se remirent en position pour nous achever. Hélas pour eux leur moment était passé. Ces quelques minutes avaient été vécues par nous autres comme des heures. J’ordonnai même que l’on empile les dépouilles de chevaux d’humains et de vampires qui gisaient autour de notre carré, désormais réduit de moitié, afin d’en faire des palissades pour les assauts à venir.

Une nouvelle série de charges et de chocs nous fut effectivement assénée mais les effectifs réduits de l’ennemi, nos barricades de fortunes et une ardeur retrouvée nous permirent de tenir le coup, du moins pour un moment encore…

Lev

… Alors que nous nous mouvions dans cette tempête ocre, le roi ordonna qu’on fasse demi-tour. La manœuvre fut effectuée avec la plus grande célérité d’autant plus que chacun d’entre nous savait exactement ce qu’il avait à faire. Le gros des chevaliers s’en retournèrent donc et surgirent depuis ce qui était quelques instants encore auparavant notre queue de peloton. Nous débouchâmes alors sur le centre gauche de l’ennemi et percutâmes la maigre infanterie écartelée entre nos deux carrées s’éloignant toujours plus l’un de l’autre. Pendant ce temps, quelques deux-cents cavaliers dirigés par le grand-duc et soutenus par le baron de Rapkamar percutèrent les troupes du faux prince alors que celui-ci se reformait.

Qu’importe, notre objectif n’était pas là mais bien de fondre sur Valentyn et de le tuer ! L’ennemi s’organisa dans la précipitation tant bien que mal mais le choc des charges tourna malgré tout à notre avantage. A l’instant où les lances se percutèrent des dizaines de chevaliers chutèrent de part et d’autre mais notre plus grande masse et le faible temps de préparation qu’avaient eu nos opposants nous assurèrent l’ascendant.

Konstantin, les meilleurs bretteurs et moi-même étions chargés, une fois l’impact passé, de percer la formation ennemie afin de trouver le roi Valentyn et de l’occire. Nous affrontâmes de valeureux seigneurs. Après avoir vaincus deux opposants j’en rencontrai un qui para à la perfection un coup que je lui assénai ce qui me surpris et lui procura une ouverture. Je n’eus, pour me protéger du coup à venir, que le temps de relever mon bras en lâchant mon arme, qui l’eut sans quoi entrainé dans son mouvement. L’armure encaissa le gros du choc mais la lame ennemie s’enfonça malgré tout profondément dans ma chair. Toutefois, le temps que l’ennemi dégage son épée, je lâchai mon bouclier de la main gauche, me saisit de mon poignard et lui enfonçai dans la visière de son haubert. Mon bras fort hors d’état je me résignai à reculer afin de laisser la place à plus valide que moi. Je pouvais dès lors observer l’immense mêlée qui faisait rage autour de moi. Elle était des plus confuses et je voyais même certains vampires excentrés du centre de l’affrontement hésiter à se frapper ne sachant pas s’ils avaient en face d’eux un ami ou un ennemi. « Voilà un bon prétexte pour éviter d’avoir à faire couler le sang, surtout le sien » me disais-je. Le corps à corps continuait et se divisait entre ceux protégeant le roi d’Isgar et ceux l’assaillant. Petit à petit les premiers ployaient sous le nombre des seconds mais Valebntyn, en noble chevalier, refusait éperdument de quitter le champ de bataille. Stanislas avait vu juste sur ce coup-là !

C’est alors que j’entendis un son tristement familier, un corps vampirique sonna sur notre droite. Je me retournai alors et vit un autre torrent de poussière fondre dans notre direction avec, flottant au-dessus de lui, l’étendard d’Aartov. Je me vis revivre la bataille des cinq-rois durant laquelle une bataille gagnée vit son dénouement changer au dernier moment à cause d’impromptus renforts. Sans que nous l’ayons vu, captivés par l’affrontement que nous menions, un détachement de cavaliers aartoviens s’était approché. Sur notre gauche, quoi que plus éloignés, le comte d’Or et ses troupes accouraient également dans notre direction. Sur nos arrières des groupes de fantassins menés par quelques vampires commençaient également à nous attaquer. Nous étions pris en tenaille et le roi Valentyn ne semblait pas en état de mourir tout de suite. Stanislas bataillait de toute ses forces au milieu de la mêlée brandissant Brise l’âme mais sa jeunesse l’empêchait de manier pareille arme avec l’efficacité qu’il aurait dû et je vis de nombreuses fois sa garde de sanguinaires le tirer d’un mauvais pas. De loin je le devinais même blessé à l’épaule.

La colère prenait le pas sur mes émotions. Je refusais qu’on perde à nouveau une bataille menée avec brio. Stanislas ordonna alors aux chevaliers qui demeuraient à l’arrière de se regrouper afin que nous chargions les troupes d’Aartov. Je savais que nous foncions dans l’inconnu car il était impossible d’estimer leurs effectifs sous ce nuage de poussière néanmoins il fallait à tout prix que nous les empêchions de percuter le flanc de notre corps à corps si bien engagé. C’est donc au milieu d’un escadron de blessés et de chevaliers demeurés en réserve que je m’apprêtai à affronter, avec mon seul bras gauche, une armée toute droit sortie du néant. Perspective d’autant moins rassurante qu’étant donné l’étendard de tête, elle était probablement menée par le roi Javor en personne…

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