Chapitre 40 : La bataille du plateau ocre (partie 3)

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Andrei

... Resté avec le roi en arrière, je ne pus qu’imaginer les combats de l’avant. Au moment où le choc se produisit un terrible fracas précédé par des cris tels que “Pour le roi” ou “Au nom de Valass !” se fit entendre. Survint ensuite l’incessante cacophonie du fer rencontrant le fer. Le roi, sa garde, ses ministres et moi étions toujours en incapacité de distinguer quoi que ce soit. Quelques minutes après le début de la mélée le marquis de l’est nous rejoignit, une lance transperçant son bras gauche au niveau du biceps. Avec l’élan de la charge l’armure n’avait visiblement même pas ralenti la pénétration de l’arme.

Le marquis semblait néanmoins tenir le choc et se déplaçait afin de comprendre un tantinet soi peu le combat qui faisait rage autour de lui. De toute évidence plus habitué que moi à ce genre d’environnement il parvenait à comprendre ce qu’il s’y passait et hurlait sans discontinuer ses directives. “Comte Maxim, prenez vos vassaux et attaquez leur gauche !”, “Seigneur Vassili, soyez prudent, ne prenez pas de risque quitte à ne pas tuer plutôt que de périr avec votre opposant !”, “Escadron de Novschamar, chargez-moi ces vampires qui pensent pouvoir percer !”...

Il n’arrêtait pas de se mouvoir, il voyait des choses que je distinguai à peine et déplaçait ses réserves au gré des dangers qui surgissaient de plus en plus nombreux. Son excellent coup d’œil sauva plus d’une fois notre formation de la dislocation mais l’écrasante supériorité ennemie ne laissait que peu d’espoir quant au résultat final.

Heureusement les secours arrivèrent ! Le cor d’Aartov sonna enfin et nous aperçûmes alors sur notre gauche le roi Javor mener ses chevaliers et voler à notre secours ! Le marquis et moi avions bien fait d’organiser sa venue durant la bataille même, bien qu’il fût légèrement en retard sur nos prévisions.

Non content de recevoir des informations des Oraniens mécontents durant la campagne précédent la bataille, nous assurâmes également un passage aux force d’Aartov. Ainsi, alors que le gros de son armée maintenait le siège devant Sartovmar, il lui fut suggéré de partir nous rejoindre dans le plus grand secret accompagné de quelques centaines de chevaliers. Je m’étais assuré que les fiefs sur lesquels il passerait demeureraient silencieux quant à ce qu’ils verraient. Je ne suis pas maître des ombres pour rien après tout. Mon argumentaire était fort simple : “ Mon seigneur, ne prenez pas de risque. Je sais que vous ne faites pas grand cas de votre roi Stanislas mais que votre fidélité à votre pays vous retient malgré tout de prendre ouvertement les armes contre lui. Contentez-vous de passer sous silence ce que vous apercevrez dans les prochains jours. Si Stanislas est défait vous serez récompensés, dans le cas contraire brûlez cette missive et rien ni personne ne pourra prouver votre implication.”

J’étais finalement parvenu à dégager un corridor de fiefs amis au roi d’Aartov et le marquis de l’est s’était échiné à coordonner au mieux nos osts respectifs en envoyant d’incessant émissaires afin de s’assurer que le rythme des deux armées permettrait une jonction sur le champ de bataille ! C’est donc un long travail en amont qui allait nous sauver de la défaite ce jour-ci ! Je réalisai au même moment pourquoi le marquis avait positionné seulement cinq-cents vampires sur notre gauche. Il espérait ainsi y attirer nos ennemis pour que Javor tombe directement sur eux sans avoir à traverser tout le champ de bataille. Cela n’avait finalement que partiellement réussi.

Stanislas envoya donc ce qui devait lui servir de réserve afin de contenir nos renforts. Qu’importe car déjà le comte d’Or et probablement deux-cents chevaliers se présentaient sur notre autre flanc pour nous porter assistance. J’eus pensé qu’au vu de la situation que le messager lui aurait décrite il eut apporté plus de forces mais il apparut que seul son ban personnel l’avait suivi. Sans doute considérait-il que l’effet d’une charge de flanc serait suffisant pour compenser son faible nombre et cela permettait également de ne pas relâcher la pression sur l’infanterie ennemie.

Nul seigneur d’Orania ne s’interposa à la charge du comte tandis que celui-ci se rapprochait. Quand j’y repense cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille. En effet ce ne sont pas nos ennemis que cet infâme félon chargea mais bien nous. La surprise eut plus d’effet que le choc en lui-même car l’évidence de la trahison n’apparut qu’au dernier moment. Aucun de nos seigneurs n’eut le temps de se protéger et j’aperçus l’émissaire qui lui avait été envoyé, aussi incrédule que nous, se faire tuer par un des seigneurs du comté d’Or. Nos chevaliers commencèrent alors à paniquer. Certains détalèrent, d’autre se firent tuer sur place sans réagir et d’autres enfin se rendirent. Valentyn lui-même paru décontenancé et il ne dut son salut qu’à un membre de garde qui s’interposa lorsque le bien connu seigneur Konstantin se rua sur lui. Je décelai la fatigue et l’épuisement de ce grand combattant à travers le halètement qui provenait de son casque. Un autre seigneur parvint alors et bientôt la troupe menée par Konstantin fut aux prises avec la garde royale que Valentyn n’eut pas le courage d’abandonner. Je l’entendis hurler au moment de les rejoindre : “Qu’importe la félonie du comte d’Or tant que Valass nous soutient !”

A ces mots je chargeais à ses côtés. Une trahison était suffisante et je ne me sentais pas la force de vivre avec une deuxième sur le cœur. Hélas pour Valentyn il semblait que Valass nous eût abandonné. Je vis la garde du roi d’Isgar se faire décimer peu à peu tandis que Konstantin engagea le roi en personne. Sa fatigue patente ne semblait pas avoir d’impact sur son bras, toujours aussi léger et habile que d’ordinaire. Le seigneur Oleg, le chevalier au fléau comme il est connu en Isgar, sauva in extremis le roi Valentyn de la lame qui s’apprêtait à le transpercer. Au moment où la masse percuta l’épée du preux d’Orania, je vis des fissures apparaître sur sa lame déjà bien éprouvée. Oleg continua à faire tournoyer son arme et Konstantin parvint de justesse à s’allonger sur le dos sans tomber de sa monture pour éviter le choc. A ce moment, sans doute poussé par le désir d’occire un roi de ses mains, il se releva et, profitant de l’élan, gagna en vitesse, feinta Valentyn et enfonça son arme dans sa gorge. Il n’eut toutefois pas le temps d’esquiver le prochain coup du fléau qui alla s’encastrer dans son crâne. Dents et cervelle giclèrent alors et, pourtant, derrière le casque réduit en mille morceaux, je voyais poindre ce qui restait du sourire de celui qui fut un court instant régicide.

Presque aussitôt tous nos seigneurs, Oleg compris, lâchèrent leurs armes et se rendirent. Un hurlement de joie raisonna depuis les rangs ennemis tandis qu’une grande partie de leur force fut envoyée vers le lieu où le combat contre les troupes d’Aartov continuait toujours. Pour ma part je me résignais à la capture sans avoir combattu et fus fait prisonnier. Valass seul connaît mon destin désormais.

Lazare

… Les assauts ennemis reprirent mais il devint rapidement évident que nos barricades les gênaient trop pour pouvoir charger bride abattue comme ils l’avaient fait jusque-là. Les chevaliers descendirent donc de leur monture et commencèrent à déblayer le terrain à la main avant de nous engager. Leur force titanesque et leurs siècles d’expérience leur donnaient indubitablement un net avantage et j’eus même l’impression qu’il était plus difficile de lutter contre eux lorsqu’ils étaient à pied plutôt qu’à cheval.

Nous tentions tant bien que mal de les maintenir à bonne distance grâce à l’allonge de nos hallebardes et avec les tirs de nos arbalètes. Cela marchait la plupart du temps mais dès qu’un vampire parvenait à s’infiltrer il opérait un véritable carnage contre lequel on ne pouvait rien. Un seigneur équipé d’un casque dont le haut était forgé si finement qu’on eut dit mille feuilles d’acier parvint ainsi à passer entre nos hallebardes, encaissa deux carreaux sans flancher puis découpa tout dans un rayon de deux mètres avec son immense épée à deux mains. Six soldats passèrent de vie à trépas en un instant et nous dûmes reculer. Plus le temps passait plus nos fortifications étaient mises à terre de toute part et plus nous subissions de pertes.

Devant l’alarmant amoindrissement de nos forces je n’eus d’autre choix que de participer en personne aux combats. Un seigneur, probablement trop pauvre pour se cuirasser d’œuvre d’art, parvint ainsi jusqu’à nous équipé de deux haches. Il découpa mes camarades incapables de riposter à si courte distance avec leurs armes d’hast. Je le chargeai bouclier en avant et épée prête à frapper. Hélas à peine fus-je à portée qu’il envoya un violent coup de pied dans mon écu ce qui me propulsa en arrière et je manquai de finir transpercé par les armes de mes propres hommes.

De plus en plus d’ouvertures se formaient dans notre formation et nous eûmes dû y passer une seconde foi si un autre coup du sort n’était intervenu : En effet, alors que les vampires se préparaient à nous achever le chef qui les avait quittés une heure plus tôt s’en revint et leur ordonna de cesser leurs assauts. Accaparé que j’étais par les dangers qui ne cessaient de surgir de toute part je n’avais même pas entendu les cris de joie qui s’étaient élevés depuis l’autre bout du champ de bataille. Le roi ennemi avait été occis ! Nous avions gagné !

Les vampires, d’abord incrédules, déposèrent petit à petit les armes sur les ordres de leur commandant à force de voir nos chevaliers s’agglutiner autour d’eux. L’infanterie suivit sans hésitation leur exemple.

Notre bonheur fut sans borne, nous avions résistés aux plus violents assauts qu’aucun de nous n’avait jamais connus. Des cinq-mille hommes que je dirigeais ce matin moins d’un millier était encore valide en fin de journée. On se serrait dans les bras les uns des autres et nous commençâmes à récupérer les blessés chez qui la souffrance le disputait à la joie. Je n’avais pour ma part qu’une hâte : retrouver mon père qui avait dirigé le corps de droite durant cette bataille. J’avais réellement le sentiment de m’être racheté de la défaite de Chichmar et plus encore ! « Cette sensation s’en verrait décuplée si ces dires venait de mon père ou du roi » ne pouvais-je m’empêcher de penser sans même le réaliser clairement à ce moment. Je n’hésitai pas vraiment car seul ce premier me semblait accessible en cet instant.

Après avoir organisé la prise en charge des blessés et des humains capturés je me précipitai vers l’autre extrémité du champ de bataille. Je croisais nos vampires et fantassins qui parlaient de leur journée toujours avec allégresse et soulagement. Je passai à côté d’une immense file de prisonniers de toute race que des chevaliers d’Orania s’occupaient de séparer selon je ne sais quels critères. Je longeais l’étendue du champ de bataille parsemé de cadavres desquels émanaient de temps à autres quelques râles d’agonies ou pleurs de douleurs. Je n’avais cure de tout cela et seule importait ma fierté retrouvée, la fièvre de la victoire qui m’habitait et l’envie de revoir mon père non pas tant par amour filial mais par pur désir de reconnaissance. Jamais je n’en avais eu aussi besoin et jamais je ne l’avais plus mérité. J’oubliais durant ma course la fatigue qui s’était accumulée jusqu’à aujourd’hui et j’avalais les distances comme si mon corps n’était plus même en mesure de m’indiquer quoi que ce soit de son état.

Arrivé à l’autre extrémité du champ de bataille je me mis à chercher mon père. Je parcourais des yeux l’étendue du carnage et, ici plus que partout ailleurs, les cadavres de chevaliers se comptaient par centaines dont certains très frais. Ceux qui demeuraient en vie étaient aussi silencieux que s’il se fut agi de fantômes. J’étais absorbé par ce spectacle. Ces créatures supérieures étaient aussi sensibles que nous aux ravages de la guerre et ils n’avaient pas plus ménagé leur sueur ou leur vie que nous. Au fond ils étaient arrogants, imbus de leur personne et volontiers sévères mais ils demeuraient braves et prodigue de leur sang lorsqu’il s’agissait de se battre pour leur roi. Devant ce charnier qui était tout à fait semblable à celui que je venais de quitter je me sentis plus proche des vampires que jamais. En ce jour chacune de nos deux races a regardé la mort en face et je suis sûr que personne n’a regretté sa présence ici.

Plongé dans mes pensées je ne remarquai pas alors mon père qui se précipita vers moi. Il me dévisagea alors avec un mélange de respect et de fierté. Ce n’était pas un parent qui était soulagé de retrouver son fils mais bien un général ému et satisfait de l’action d’un de ses soldats. Rien n’eut pu plus me combler que ce regard et nous commençâmes à nous raconter notre journée dont il ressortit bien vite qu’il avait eu de loin la partie la plus facile…

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