Chapitre 41 : La bataille du plateau ocre (partie 4)

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Lev

… La charge fut moins violente qu’escomptée, les montures étant déjà épuisées par une matinée de bataille ou de marche selon le camp. Les lances d’or, la garde personnelle du roi d’Aartov, parvinrent néanmoins à désarçonner dix de nos chevaliers au premier contact. Javor quant à lui maniait son immense hache Tranche-Vie avec beaucoup d’aisance et je le voyais pourfendre les armures comme s’il s’agissait de beur. Une autre arme consacrée par Valass en personne se voyait retournée contre son but originel et employée à oblitérer les hommes. Cette hache capable de tout trancher, armure comme bouclier, était en train de réduire nos effectifs à un rythme démoniaque et je vis des chevaliers terrifiés rompre le combat comme pris de panique par le carnage qui s’opérait sous leurs yeux.

Je fis également volte-face, désireux de connaître mon fils avant de mourir et, je dois bien le reconnaître, quelque peu apeuré du spectacle qui s’offrait devant moi. Nous refluâmes donc en désordre et j’enrageai de ce bras en lambeau qui m’empêchait d’avoir la moindre influence sur le cours de cette bataille. Je voyais déjà une défaite encore plus amère que celle des cinq rois se profiler lorsque j’entendis venant de la mêlée principale un cri de joie s’élever. Je retins ma respiration. Poursuivi par les forces d’Aartov je ne savais plus si je me dirigeais vers une mêlée dont mes camarades étaient sortis victorieux ou défaits. Grâce aux dieux la première option fut la bonne et je vis alors deux immenses détachements se diriger vers les forces d’Aartov et d’Alexeï, qui commençait à reprendre l’avantage sur son père.

Il sembla que le roi Javor ne réalisa qu’au dernier moment qu’il était arrivé trop tard et il ne parvint pas à se désengager. Ce sont donc sept cents Oraniens guidés par Stanislas en personne qui fondirent sur le souverain d’Aartov et ses suivants. La mêlée fut furieuse et la garde de Javor fit honneur à sa réputation. Pas un ne mourrait sans emporter un adversaire dans la tombe et j’eus l’immense privilège d’assister à une lutte entre les sanguinaires d’Orania et les lances d’or d’Aartov. Les deux corps les plus réputés du monde s’affrontaient sous mes yeux dans un tourbillon ocre et rouge. Les premiers tentaient de s’approcher suffisamment pour que leurs deux épées leur donnent l’avantage à courte portée tandis que les seconds essayaient de les maintenir à bonne distance pour profiter de l’allonge de leur arme. Ce n’est finalement pas l’adresse qui décida de cet affrontement mais le nombre. Le combat qui faisait rage autour du porteur de Tranche-Vie était indécis mais sur les flancs l’ost d’Aartov se faisait petit à petit encercler et submerger.

Lorsque le résultat fut évident Javor et le reste de sa troupe se rendirent. A cet instant, sans que je sois en mesure de déterminer s’il s’agissait d’un meurtre ou d’un moment de rage propre aux batailles, un des gardes pourpres profita du lâcher d’arme du roi d’Aartov pour lui enfoncer ses lames dans sa gorge. Les deux lances d’or qui escortaient le roi ressaisirent aussitôt leur arme avec une impressionnante célérité et les enfoncèrent là même où le roi Javor venait d’encaisser le coup du chevalier, vengeant ainsi prestement leur souverain à défaut de le sauver.

Une immense cacophonie se fit alors jour. Il sembla que le combat pouvait reprendre à tout moment. Les seigneurs d’Aartov hurlaient à la trahison tandis que ceux d’Orania arguaient qu’il s’agissait là d’un accident. Pour ma part plus j’y pensais plus je ne pouvais que me rendre à l’évidence : un chevalier de la trempe de ceux qu’il y avait dans la garde pourpre ne pouvait pas avoir agi ainsi par égarement. Ces gens ne répondent qu’à une personne, le roi ! Stanislas venait de faire assassiner son homologue et bien qu’il n’eût pas son sang sur les mains il était assurément celui qui avait commandité ce régicide. Pour qu’un sanguinaire exécute ainsi un vampire s’étant rendu c’est qu’il en avait reçu l’ordre explicite. Stanislas voulait que s’éteigne sur ce plateau la lignée des rois chevaliers, qu’importe la reddition. Il s’agissait là de la plus grande des trahisons et du plus grand des déshonneurs pour un chevalier. Ce n’était toutefois pas le problème le plus urgent car le ton monta rapidement.

Je vis Stanislas hésiter puis, alors que les vampires d’Aaartov commençaient à faire mine de se ressaisir de leurs armes, le roi d’Orania ordonna qu’ils fussent tous exterminés. Sans doute ne pouvait-il pas laisser qui que ce soit ayant eu vent de ce déshonneur en vie. Certains seigneurs d’Orania hésitèrent à exécuter cet ordre des plus contraires à leurs principes. Toutefois d’autres, se remémorant sans doute avec quel peu d’avarie richesses et titres seraient accordés à ceux obéissant à leur roi sans hésitation ni scrupule, se mirent à occire des Aartoviens désarmés. Comme par effet de groupe et réalisant les récompenses qui viendraient à manquer s’ils ne s’empressaient pas d’imiter leurs homologues, bien des Oraniens emboitèrent le pas à ces pionniers du meurtre. Les méthodes de Stanislas étaient efficaces au possible et jamais je n’aurai cru voir tant de vampires s’empresser de troquer leur honneur contre des titres. Une minorité seulement se tint à l’écart de ce massacre sans toutefois broncher outre mesure, moi le premier.

J’étais médusé par tant de barbarie et incapable de bouger. Ce n’est qu’un quart d’heure après cette boucherie que je réalisai que la bataille était définitivement terminée. Alexeï et ses chevaliers venaient d’être vaincus et les captifs étaient emmenés dans notre camp puis séparés par pays de provenance. De toute évidence des célébrations auraient lieu cette nuit. Pourtant le sentiment prédominant chez les vampires ayant vaincus le roi d’Aartov étaient la honte. Elle s’exprimait par les têtes baissées et silencieuses de ces seigneurs victorieux, elle se manifestait par les quelques justifications que se répétaient à voix basse ces tristes chevaliers et elle se matérialisait jusque dans le pas lent et trainant des montures qui avançaient comme accablées par le poids des péchés de leur maître…

Lazare

… Je parlai ainsi avec mon père durant toute la fin de journée jusqu’à ce qu’il nous fût indiqué qu’un rassemblement aurait lieu à la nuit tombée. Ce qu’il restait d’hommes valides s’empressait alors d’improviser des torches afin que nous y voyions quelque chose puis nous nous mîmes en rang. Le sang qui nous couvrait tous était source de fierté et personne ne songea même à le nettoyer.

Nous patientâmes ainsi deux heures dans le noir jusqu’à ce que les vampires se rangent à nos côtés et que le roi, accompagné par sa garde pourpre, le grand-duc d’Ortov, le baron de Rapkamar et Lev s’avancent. Le comte d’Or, qui était le chef des vampires nous ayant assaillis toute la journée et qui avait visiblement tourné casaque en pleine bataille avait également pris place dans cette procession. Stanislas IV s’avança alors face à nous et déclama :

« Aujourd’hui nous avons gagné une bataille et la guerre ! deux rois ont entamé cette journée, un troisième nous a rejoint et désormais il n’en reste plus qu’un ! Aussi je me proclame aujourd’hui plus que jamais souverain d’Orania par le sang, monarque d’Isgar par ma sœur et maître d’Aartov par droit de conquête ! Que tous les vampires de ces terres me jurent allégeance ! »

A cet instant il se retourna et saisit depuis un coffre qu’un de ses gardes avait apporté l’épée Buve-sang. Il la brandit et tous les vampires parurent stupéfaits de cette démonstration. Les chevaliers d’Orania s’inclinèrent alors respectueusement et nous autres humains nous agenouillâmes devant notre glorieux roi !

Stanislas IV se tourna ensuite vers les centaines de vampires captifs assis dans la plaine. Nombre d’entre eux parurent impressionnés et une minorité s’était même agenouillée Le roi paru alors un tantinet désappointé mais il se ressaisit et leur annonça :

« Seigneurs d’Isgar, je comprends que vous ne me prêtiez pas allégeance toutefois il faut vous rendre à l’évidence : vous n’avez plus de roi. Si je dois aller jusqu’à Sussmar pour que vous vous soumettiez je le ferai ! Il n’y a actuellement aucune armée qui soit en mesure de m’y empêcher, d’ici là vous resterez spectateurs impuissants de mon triomphe à venir ! Sachez néanmoins que je ne suis pas votre ennemi. Tous ceux qui me prêteront serment dans la semaine garderont l’ensemble de leurs titres et pourraient même en acquérir de nouveau s’ils s’illustrent à mes côtés ! Je vous laisse y réfléchir. »

Malgré son discours fort peu de vampires d’Isgar se levèrent pour le rejoindre et tous furent sévèrement jugés par leurs pairs.

Le roi se retourna alors vers les quelques centaines de transfuges issus de son royaume, la moitié ayant déjà posé genoux à terre. Il leur dit simplement en daignant à peine poser un regard sur eux :

« Quant à vous seigneurs d’Ortov et d’Orania, vous avez trahi votre souverain légitime ! Pour cela n’espérez nul pardon ! »

De nombreuses protestations surgirent alors de cette masse. Certains hurlèrent de rage, d’autres se confondirent en excuses tandis que la plupart se résignèrent simplement quant à leur sort. Quelques-uns tentèrent même de s’enfuir mais ils furent promptement rattrapés par les gardes pourpres et, dépourvus d’armure, prestement occis.

Nombre de seigneurs participèrent aux exécutions mais celui qui prenait le plus de plaisir était assurément le baron de Rapkamar. Il s’était muni d’une grande épée et tranchait têtes après têtes avec un sourire presque malsain. Le plus dérangeant arriva lorsque se présenta devant lui le prince Alexeï. Le rictus du baron se transforma en hilarité et un rire dément surplomba le plateau à tel point que tous les autres bourreaux suspendirent leur office.

« Alexeï, immonde raclure ! Tu as trahi ton propre père ! Tu as torturé à mort mon fils Vladimir ! Et tu osais te prétendre prince ! Accablés par de tels péchés tu osais même croire en ta victoire ! Non content de tout cela tu te réclamais de Valass ! Crois-tu un seul instant que le Dieu du sang pourrait pardonner qu’un fils s’attaque ainsi à son père ? Tous les vampires les plus saints du monde auraient été incapables de rattraper pareille trahison ! Tu es seule cause du désastre qui s’est abattu sur toi et les tiens ! Tu pourras méditer sur tout cela durant ton séjour en enfer, puisse-t-il être éternel ! »

A ces instants, alors qu’Alexeï commençait à être saisi de tremblement devant tant de folie et de haine, le pied du baron s’abattit sur le genou du condamné ce qui le brisa net et le mit à terre. Dans un rire dément l’épée du baron frappa frénétiquement toutes les parties du corps d’Alexeï. Lui qui avait exécuté chacune de ses précédentes victimes d’un seul coup s’en donnait à cœur joie sur ce vampire qui hurlait à la mort. Tous ses membres se détachaient petit à petit et même les seigneurs peinaient à soutenir pareil spectacle. Le grand-duc d’Ortov lui-même détourna le regard de ce carnage. Après un quart d’heure durant lequel absolument tout le monde, du roi au soldat, resta bouche bée, le baron tout essoufflé acheva le prisonnier. Il exécuta alors les condamnés suivants de façon nette et rapide et sans plus afficher aucun sourire. Sans doute que ce dernier n’était jusqu’ici que l’expression de l’impatience qu’il éprouvait à l’idée de démembrer le vampire qu’il méprisait le plus sur cette Terre.

Lorsque tous les traître d’Orania ne furent plus que des cadavres, Stanislas IV se retourna vers le groupe des chevaliers d’Isgar et se racla la gorge :

« J’allais oublier mais il me semble qu’un ultime traître réside parmi vous… Monsieur le marquis de l’est, jadis de l’ouest, avancez-vous je vous prie ! »

Ce dernier, en piteux état, se leva et marcha lentement le regard droit et la tête haute vers le roi Stanislas sans dire un mot.

« Jadis vous étiez vassal des rois d’Orania puis vous avez déserté emportant armées et forteresses dans votre sillage si je ne m’abuse. Vous avez causé bien du tort à notre nation et à ma famille... »

Avant que Stanislas IV ait pu finir le marquis s’exclama :

« Vous venez d’exécuter un vampire ayant trahi son père, je n’ai pour ma part que vengé le mien. Vous parlez de famille, votre prédécesseur a reçu le trône non par la volonté de Valass mais par celle d’un vampire. N’oubliez jamais que c’est du sang de comte qui coule dans vos veines et non de roi. Vous pouvez gagner toutes les batailles que vous voulez, le sang ne ment pas et ce qui était jadis une saine monarchie se transformera sous votre règne en la pire des tyrannies. Exécutez-moi donc, la force est dans votre camp, la justice dans le mien ! »

Le roi bouillonna de rage et, alors que selon toute vraisemblance le comte d’Or était prévu pour exécuter le marquis, il sortir Brise l’âme et l’enfonça dans la clavicule du condamné qui tomba mort. Le bourreau présumé sembla déçu mais néanmoins satisfait du sort de la victime.

Un immense silence régnait sur le plateau. Il fallut bien quelques minutes pour que notre souverain retrouve son calme. Lorsque ce fut chose faite il fit avancer sa monture dans notre direction et commença alors l’heure que tous les vampires semblaient attendre : Celle des récompenses !

« Mes seigneurs, vous vous êtes admirablement battu en ce jour ! Je suis personnellement reconnaissant à chacun d’entre vous de vous être montrés si valeureux ! Après pareil triomphe nul ne doutera plus de l’origine des meilleurs chevaliers du monde ! Il est plus que temps que vous récoltiez le fruit de vos efforts ! A Yegor, comte d’Or qui, le premier et en plein combat, a rejoint le légitime et seul vrai roi d’Isgar, je lui confère le titre de marquis de l’ouest. De plus son dernier fils, Branislaw, épousera ma sœur dès que possible rentrant ainsi dans ma famille. »

Ils s’échangèrent une accolade et il était difficile de savoir lequel des deux était le plus ravi.

« A Sacha, baron de Rapkamar, qui fut l’épée d’Orania dans sa lutte contre Alexeï je lui confère le titre de comte d’Arnov ! »

Un sourire entendu fut échangé entre les deux vampires. Cette distribution de titres dura encore deux heures jusqu’à ce que chacun fut satisfait. Toutefois, alors que les vampires pensaient la cérémonie terminée, le roi fit une ultime déclaration :

« Enfin je n’oublierai pas rôle capitale de notre infanterie dans cette bataille et en particulier du quatrième bataillon qui résista aux nombreuses charges de vampires qui s’abattirent sur eux ! Trois pièces d’or seront accordées à chacun d’entre vous, plus trois autres en cas de blessure ! Enfin je tiens à souligner le rôle de Lazare qui a héroïquement dirigé notre aile gauche. En ce jour il s’est rendu digne du titre de général en second de l’armée de la rédemption ! »

Il s’avança alors vers moi et pris dans le coffre qui lui tendait son aide de camp un bout de tissu qui s’avérait être la cape qui m’avait été ôtée à Chichmar ! Je ne pus contenir mes larmes. Lev, baron de Tikmar, m’envoya alors un regard complice et plein de bienveillance. Le roi hurla alors :

« Humains, jurez-vous de me servir en ce jour et pour toujours ? »

Nous répondîmes tous en cœur :

« Nous le jurons ! »

La cérémonie s’acheva sur ces mots et les festivités purent commencer. Elles furent incroyables, nous bûmes et mangeâmes tout notre saoul mais, plus important que tout, certains vampires vinrent nous voir pour nous féliciter de notre conduite sur le champ de bataille. De toute évidence nos faits d’armes les avaient impressionnés.

« J’ai vu le carnage que vous avez subi là-bas, me dit un seigneur qui partagea un verre avec nous, l’honnêteté m’oblige à vous exprimer mon admiration ! »

« Aujourd’hui vous avez démontré la valeur de votre race, me dit un baron un peu éméché. »

« Toutes mes félicitations et nul doute qu’avec vous comme infanterie et nous comme cavalerie rien ne saurait nous résister, m’assura enfin un vampire chez qui l’ivresse de la victoire le disputait à celle de l’alcool. »

Naturellement la plupart des chevaliers demeurèrent distants et méfiants. Pourtant il s’agissait de la première fois que des seigneurs nous témoignaient spontanément leur respect. L’alcool servit sans doute pour eux d’excuse auprès de leurs homologues à un tel comportement ; il n’en demeure pas moins que j’ai réellement ressenti de la sincérité dans leurs dires.

Je pris une ultime nuit pour oublier ma fatigue et profiter de ces instants de bonheur qui jamais de ma vie ne fut si intense.

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