Chapitre 42 : Le soir de la bataille

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Lev

… Peu après être rentré au camp je fus mandé par le roi. Tous ses officiers étaient présents et le souverain tenait visiblement à leur expliquer la situation.

« Messieurs je sais que ce qui a pu se passer là-bas a sans doute été confus pour vous et que la présence du comte d’Or parmi nous en a peut être surpris plus d’un. »

Je réalisai alors seulement sa présence mais elle expliquait sans doute pourquoi j’avais vu des chevaliers isgariens aller et venir librement dans le camp.

« Ce dernier a été spolié de son titre de généralissime par l’usurpateur Valentyn et le marquis. Ma sœur et moi avons donc supposé que pareil affront lui aurait fait retrouver la raison au sujet du vrai roi d’Isgar. Nous avions vu juste ! Il nous a ainsi rejoint en cours de bataille avec ses vassaux mettant fin aux ambitions de Valentyn. De mon côté, en signe de bonne foi et de reconnaissance je lui offrirai la tête ainsi que le titre du marquis l’ayant dépossédé de ses droits. Qui plus est, afin de resserrer les liens entre nos royaumes, Branislaw, le fils cadet du comte, va épouser ma sœur. »

Le chevalier à la main rouge ne broncha pas devant l’absurde description des faits. Il n’était au fond qu’un seigneur de plus à avoir troqué sa fidélité contre des titres et du pouvoir. Il avait même réussi à rejoindre la famille du roi en mariant son dernier fils à sa sœur. Unir l’ainé des fils à une vampire déflorée eut été un déshonneur trop grand pour un comte mais cela passait visiblement pour le plus jeune qui n’allait sans doute pas être ravi d’apprendre cela. Le roi reprit aussitôt :

« Concernant le roi Javor… Je n’ai aucune idée de ce qui est passé par la tête du sanguinaire Antun. Ceci-dit, qu’importe ! Aartov se retrouve désormais sans roi et est un fruit mûr ne demandant qu’à être cueilli ! Un seul d’entre vous rechignerait-il à engranger plus de richesse et de gloire ? »

Il semblait davantage s’adresser à des brigands qu’à des chevaliers. Toutefois cela peut également servir ma cause, s’il compte conquérir un royaume en plus il devra armer et entraîner encore plus d’hommes qui seront autant d’arguments en faveur de l’égalité entre les races. Ils ne se laisseront pas réduire de nouveau en esclavage et les vampires devront composer avec cette nouvelle force.

Le roi acheva son discours en se recueillant au nom de tous les chevaliers morts aujourd’hui et notamment Konstantin. J’ai souvent été comparé à lui durant ma vie. Pourtant, en ce jour plus que tout autre, j’ai pu voir la différence qui nous séparait. Si lors des joutes j’avais pu rivaliser avec lui, il ne fait aucun doute qu’il pratiquait l’escrime le plus pur que je n’avais jamais vu. Tant de technique, d’endurance et de lecture dans les mouvements de ses adversaires n’avaient pu que s’acquérir au fil d’innombrables combats étalés sur plusieurs siècles. Je priai donc également pour lui, en l’honneur de l’immense bretteur qu’il avait été.

Lorsque tous les officiers sortirent le roi me retint. Il demanda que je lui fasse un rapport sur le comportement des hommes durant ce jour. De ce que j’avais entendu ils avaient été exemplaires, notamment le fils du général, Lazare. Je ne regrettais pas de l’avoir sauvé après Chichmar et de l’avoir soutenu pour qu’il dirige une de nos deux ailes.

Le roi en pris bonne note puis me demanda de sortir et de me préparer pour la cérémonie.

Je n’avais pas vraiment la tête à cela car, bien que ce jour fût un immense pas en avant pour la réconciliation de nos races, mon honneur et ma fierté avaient beaucoup trop souffert pour que j’en retire autre chose que de la honte.

Le roi entama les célébrations par une démonstration de force durant laquelle il dégaina Buve-sang. Je fus estomaqué, jamais roi n’avait brandit cet espadon. Il était le premier de l’histoire à posséder à la fois Brise l’âme et Buve-sang. Même le conquérant n’y était pas parvenu ! Toutefois cela n’avait rien d’anormal, Buve-Sang appartient aux grands généraux et il avait remporté en ce jour une immense victoire. Plus que tout il n’avait pas de concurrent, il avait lui-même établi le plan de la bataille et avait prestement réagit à l’irruption imprévue du roi d’Aartov, si prestement d’ailleurs qu’il ordonna jusqu’à sa mort afin de rajouter un royaume à ses conquêtes. Rien ne pouvait davantage séduire cette épée, réceptacle de la force et de l’ambition de Valass. Toutefois j’imagine qu’il a sans doute essayé de la porter seul dans sa tente en premier de peur qu’elle le refuse publiquement.

Fort de cet exploit il essaya de rallier à sa cause les Isgariens ce qui ne marcha pas aussi bien qu’escompté. Il fit ensuite exécuter les Oraniens qui avaient lutté aux côtés de Valentyn. Je le vis afficher un bien large sourire lorsque vint le tour de la compagnie de Sviatoslav et de son ancien ministre Andreï.

Cette série de supplices prit fin avec celui du marquis. Stanislas IV, pris de colère par une remarque du général isgarien, vit son naturel revenir au galop et il l’exécuta lui-même sous le coup de la colère avec Brise l’âme. L’âme du malheureux fut alors aspirée et détruite par l’épée. « Nul salut ni nulle damnation n’attend l’esprit de celui qui subit le courroux de Brise l’âme » dit la légende… Valass et Himka ont-ils crée un paradis et un enfer avant de se fondre dans nos races ? Voilà une question à laquelle même l’origine des sangs ne répond pas, bien que la plupart des vampires semblent croire en ces deux concepts. Mourir par cette lame semble donc pouvoir être soit une bénédiction soit un châtiment en fonction de si l’on a été un saint ou un pêcheur durant sa vie.

Après cela le roi distribua des récompenses avec sa prodigalité habituelle. Pour ma part n’ayant rien demandé je ne reçus rien et cela m’allait fort bien. Enfin, et à mon immense satisfaction, le roi n’oublia pas de mentionner les humains et il me parut même que les vampires étaient un tantinet moins outrés que d’usage.

La cérémonie achevée j’allais me faire soigner le bras. Trois mois de handicap… « Jamais le chevalier noir ne fut moins dangereux » me dis-je. Je regagnai ensuite ma tente, observant d’un œil satisfait la fête qui se déroulait autour du bûcher mortuaire sur lequel brûlaient indistinctement soldats et chevaliers, rois et simples seigneurs. Alors que je pensais enfin pouvoir me reposer de mes deux semaines de chevauchée et de cette journée de combat je fus convoqué par le roi.

Je le rejoins donc au milieu du campement. Il m’expliqua alors la suite des opérations et les ordres que devraient recevoir les hommes. Il comptait marcher vers le sud avec quelques centaines de chevaliers afin, comme à Rutor, de profiter que l’ennemi n’était pas encore au courant du résultat de la bataille pour le prendre par surprise. Pendant ce temps le comte d’Or allait recevoir le commandement du front d’Isgar et y apporter les renforts nécessaires pour reprendre l’offensive. Enfin le Grand-duc allait, avec quelques forces, reconquérir ce qu’il restait du grand-duché d’Ortov après un an de la plus terrible des guerres.

Charge m’était donnée de répartir les hommes entre ces seigneurs et d’entamer l’entrainement de ceux capturés en ce jour. Enfin le roi m’informa que je serai chargé d’acheminer le surplus d’infanterie qu’il resterait vers le sud afin de rallier au plus vite la cavalerie qui se sera avancée seule sous son commandement dans le but de vaincre les dernières forces d’Aartov présentes sur notre sol.

Je reconnaissais bien là notre roi. L’honneur n’était pas son fort mais il était assurément un immense stratège et même après le triomphe de ce jour il préparait minutieusement le prochain combat. Cela me redonna légèrement le sourire. Si le plan se passait comme prévu la guerre allait bientôt s’achever et Stanislas IV régnerait sur presque tout le monde connu. Il aura finalement fallu un roi bien peu à cheval sur les principes de la chevalerie et du culte actuel pour espérer voir poindre une lueur d’espoir pour les hommes. Le chemin vers l’égalité serait encore long mais si un fanatique comme Anatoli a pu vivre plus de mille ans au service d’un Dieu dont il mésinterprétait les volontés, je me sens d’en vivre deux-mille pour atteindre mon but et celui de nos divins créateurs.

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