Chapitre 45 : L'avancée d'Orania

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Piotyr

La situation ne s’est guère améliorée ces derniers mois. L’armée menée par le félon comte d’Or ne cesse d’avancer sur nos terres et notre ost est à la limite du délitement tant les commandants craignent pour leur fief. Mes tentatives de répandre la maladie chez notre ennemi se sont de plus invariablement soldées par des échecs. Il semble que leur discipline ne se manifeste pas que sur le champ de bataille mais également dans leur campement. Au moindre symptôme l’individu et ses proches sont isolés jusqu’à ce que mort ou rémission s’ensuive.

Telle était la situation il y a deux semaines et le désespoir commençait à s’immiscer plus que jamais dans mon âme. Pourtant un miracle s’accomplit. Ina, que je crois croyais éplorée et que je n’avais plus vu depuis l’annonce du décès de son mari, apparut emmitouflée d’une armure et de la sainte bannière d’Isgar. Elle fit irruption lors d’une réunion du conseil durant laquelle, comme d’habitude, le duc de Kulmar et moi-même nous écharpions sur la conduite à adopter. Nul ne broncha à sa venue, non pas tant de par un quelconque droit qu’elle aurait, mais à cause de l’aura qui l’entourait.

Lorsque le silence se fut installé elle s’exclama :

« Monsieur le duc, n’avait-vous pas honte de vouloir ainsi négocier avec le plus impie des vampires ? Seigneur Piotyr, votre foi en Valass est-elle si faible que quelques revers suffisent à vous faire perdre espoir ? Je comprends la situation et je conçois qu’entre les prétendants au trône qui fourmillent et l’armée ennemie marchant sur nos terres la panique puisse s’inviter dans vos cœurs. Toutefois je vous le dis, l’heure n’est pas à l’abandon ! Comme on ne répare sa maison lorsqu’elle brûle, on n’attise pas les querelles de succession lors d’une invasion et on ne disperse pas ses forces au gré des intérêts particuliers ! Le royaume d’Aartov est dans la même situation que nous ! Ceux qui faisaient le ciment de nos nations, à savoir nos rois, ont certes disparu sans héritier évident toutefois je vais vous montrer ce qui mieux que quiconque nous ressoudera : l’usurpateur Stanislas ! Il se prétend roi de nos contrées ! Il se prétend notre maître ! Il se présente à nos portes accompagné de barbares humains par dizaine de milliers ! Qui oserait se disputer et ruiner nos efforts devant pareil démon ?

Pendant que vous débattiez j’ai envoyé de nombreuses missives aux seigneurs d’Aartov et ils sont d’accord pour une entrevue ! Piotyr, monsieur le duc, convoquez les plus grands seigneurs du pays ! L’hiver approche et avec lui une accalmie dont nous nous devons de profiter ! Les seigneurs d’Aartov nous attendront dans la forteresse d’Imopor pour un congrès visant à consolider notre alliance contre Stanislas ! Les seigneurs d’Isgar seraient-ils moins honorables que ceux d’Aartov et les abandonneraient-ils lorsque ces derniers ne demandent qu’à défendre la liberté, l’honneur et la foi à leurs côtés ? »

Tant d’innocence et de détermination ne purent que toucher les seigneurs présents et si le duc de Kulmar parut un instant hésiter, il comprit bien vite que refuser pareille offre ferait de lui un paria au même titre que le comte d’Or. Une entrevue n’engageait à rien et la pureté de la demande empêchait tout refus. Il n’osa pas même, comme c’est pourtant son habitude, pinailler sur les détails pratique tant la détermination se lisait dans les yeux d’Ina et l’approbation dans le regard des vampires. Il obtempéra donc :

« Fort bien madame, pardonnez-notre comportement. Je ferai mon possible pour ralentir l’ennemi jusqu’à ce que les premières neiges tombent et je convoquerai ensuite les comtes et ducs du pays afin qu’ils se réunissent à Imopor dès que les opérations auront cessé ! »

Pour ma part j’acquiesçai et rajoutai :

« Il en sera fait selon votre volonté, pour ma part je me chargerai de glaner autant de soutien que possible chez les quelques seigneurs d’Orania qui pourraient encore s‘avérer opposés à leur tyran. »

Il sembla que la discussion était close mais, au dernier moment, Ina rajouta :

« Quant à moi je jure devant Valass de me séparer de mon armure que lorsque l’infâme Stanislas sera occis ! Jamais je ne me reposerai, jamais je ne cesserai d’organiser sa chute et, pour cela, je ne ménagerai ni mes efforts, ni mon sang ni ma vie ! »

La corde religieuse ne put s’empêcher de vibrer chez les vampires de foi et moi-même j’eus du mal à contenir mes larmes d’admiration. Une jeune ingénue venait à elle seule de faire renaître l’espoir chez les vampires les plus enclin à l’abandon. La veuve d’Isgar, comme on l’appela désormais, redonna ainsi foi et courage à non pas une mais deux nations et ce furent des centaines de vampires qui se mirent à arborer sur leur poitrail l’ours blanc à la couronne endiamantée d’Isgar et au cœur ensanglanté, symbole du chagrin et de la piété de celle qui, par son charisme et sa détermination, venait de supplanter tous les chefs des deux royaumes opposés au tyran.

Lev

Mon bras a guéri et je ne l’ai pas ménagé depuis. Nous avons enfin reconquis tout Orania. Avec la reprise d’Altmar au nord par le grand-duc d’Ortov tout le royaume est de nouveau sous le contrôle de son roi.

Même sur le front d’Isgar la situation est excellente. L’agressivité du comte d’Or, source de risques en temps normale, porte de très bon fruit grâce à sa large supériorité numérique empêchant l’ennemi de tirer parti du manque de prudence de notre nouveau général. Ijlkalmar est actuellement assiégée mais le comte assure que la cité sera tombée avant le printemps prochain. Il ne manque pas d’ajouter, non sans une certaine ironie, qu’aucune armée ne saurait le surprendre en plein siège !

L’hiver approche désormais mais il semble qu’une année sera suffisante pour en finir avec cette guerre. Il faut désormais préparer la paix ! Je dois m’assurer que les hommes ne seront pas ravalés au rang d’esclave comme ce fut le cas tant de fois par le passé. Je ne compte pas pour cela sur la bonté d’aucun vampire mais bien sur la seule chose que mes congénères comprennent : le rapport de force. Je ne cesse d’embrigader tous les hommes qui se présentent et fais de mon mieux pour qu’armes et entraînement leur soient procurés ! Le roi ne réfléchit qu’en militaire et tant que le ravitaillement suit il ne bronche jamais à propos d’une augmentation des effectifs.

Il ne peut se passer de cette force tant que la guerre dure et lorsqu’elle sera achevée, les hommes seront trop puissants pour être asservis. Je commence d’ores et déjà à prendre contact avec certains officiers pour organiser la fin de la guerre. En aucun cas ils ne devront désarmer, en aucun cas ils ne devront se séparer. Heureusement les seigneurs m’ont beaucoup aidé via leurs multiples brimades. Rares sont les humains à pleinement leur faire confiance et certains s’organisent déjà pour faire valoir leurs droits lorsque le conflit prendra fin.

Idéalement il serait bon que le roi nomme certains hommes barons, comtes voire ducs et que les fiefs humains rivalisent en puissance avec ceux des vampires. Si le roi n’obtempère pas les humains s’empareront des terres des seigneurs déchus d’Aartov et Isgar sans attendre l’accord du monarque tout en réitérant leur hommage envers ce dernier. Devant le fait accompli, sans armée capable de les déloger et avec ce vœu d’obéissance, Stanislas IV n’aura d’autre choix que de reconnaître ce nouvel état de fait. Je fais désormais tout mon possible pour organiser cette ruée sur les fiefs perdus ! Je sonde les hommes, j’étudie quelles seigneuries seraient les plus adaptées à accueillir nos armées et je prépare la déclaration afin qu’elle soit la plus recevable possible pour qu’elle ne débouche pas sur une nouvelle guerre. La victoire de Stanislas sonnera celle des hommes !

Pour l’instant le secret demeure la clef du succès mais j’ai une entière confiance dans les rares humains que j’ai mis au courant. Dans l’idéal il faudrait qu’ils soient capables d’exécuter le plan sans moi. Cela me permettrait de demeurer en sécurité et de couvrir leurs arrières. Bien que j’aie la réputation d’être le « protecteur des hommes », cela semble d’avantage être un sobriquet moqueur qu’une conviction qu’ont les vampires. Je ne pense pas qu’un seul d’entre eux soupçonne mon amour pour cette race et mes accomplissements durant la guerre m’ont valu une certaine popularité auprès de mes pairs. Depuis ma baronnie je pourrai donc espionner les vampires qui pourraient être tentés de détruire les humains et ainsi prévenir de telles tentatives.

Avec la meilleure infanterie du monde retranchée dans des fiefs, les plus compétents des hommes érigés en seigneurs reconnus par le roi lui-même, le tout soutenu par un vampire leur révélant tout complot à leur encontre, la coexistence entre les races pourra émerger dans de bonnes conditions et sans violence. Sans compter qu’un certains nombres de chevaliers commencent à éprouver du respect voir de l’estime pour leurs frères d’arme humains.

J’ai hâte de retourner dans mon domaine et d’enfin rencontrer mon enfant ! Si tout se passe bien je n’aurai pas même à revenir dans l’armée ce qui m’exemptera encore davantage de toute collision avec les hommes. Tout doit être prêt avant l’hiver ! Je suis confiant, les officiers avec lesquels je parle sont extrêmement compétents. Contrairement aux vampires, ils doivent leur position à leur mérite et non à leur naissance. Secret, célérité et autonomie seront les piliers de la libération des hommes !

Marie

Encore un fils qui s’en est allé… Alors que je pensais notre village à l’abri de la guerre voilà qu’en pleine nuit, invisible aux yeux de notre sentinelle, quatre vampires se sont présentés à nous et nous ont réveillés par leurs hurlements.

« Sortez tous de là ! Le premier que je vois essayer de s’enfuir je l’embroche, le premier que je découvre terré dans sa demeure je le dévore ! »

Je vis Gontran, chargé de la surveillance, aux mains des chevaliers et tremblant comme une feuille. De toute évidence la torche dont il disposait ne l’avait pas alerté à temps de ses ombres nocturnes porteuses de mort et de chagrin.

Il avait fait partie de l’armée d’Isgar mais avait déserté à la faveur d’un matin embrumé. Il ne s’était jamais fait à la guerre et le souvenir des combats qu’il avait dû mener et des morts qu’il avait vus le hantait à chaque instant. Il ne parlait que peu et, d’après ceux qui partageaient sa chaumière, il lui arrivait de se réveiller en pleine nuit, hurlant et pleurant toutes les larmes de son corps.

Ils étaient un certain nombre de déserteurs à partager ces traits mais il semblait que le calme de campagne les apaisait petit à petit. Néanmoins jamais je n’avais vu Gontran dans un tel état, il tremblait, gesticulait et suppliait tout bas les vampires qui l’ignoraient. Nous sortîmes alors de nos maisons. Tout le monde obtempéra tant les menaces de ces chevaliers étaient prises au sérieux. Je m’égosillai malgré tout pour décourager ceux qui seraient tentés de se cacher. Je ne tenais pas à voir quiconque dévoré cette nuit. Une fois devant les vampires je tâchai de demeurer calme et digne tout en portant Denis dans mes bras. Plus que tout je craignais pour sa vie. Je réfléchissais à toute allure à la meilleure façon de le protéger mais la seule qui me vint fut d’obtempérer avec les seigneurs en espérant qu’aucun mal ne lui serait fait.

Lorsqu’il n’y eut plus de mouvement et que tout le monde fut rassemblé un vampire s’en alla vérifier les maisons tandis que celui qui semblait être leur chef s’exprima :

« Bonsoir, y-a-t-il un seigneur dans ce hameau ? »

Sur les soixante villageois, une bonne moitié était terrifiée et incapable de parler, de bouger et même, probablement, de penser. Les autres se taisaient tout en me lançant des regards furtifs. Depuis l’absence de Lev j’avais endossé le rôle de dirigeante et il était de mon devoir que tout se passe le mieux possible ou du moins le moins mal. Je m’avançai donc et répondis :

« Bonsoir mes seigneurs, notre baron s’en est allé à la guerre et il ne reste que nous dans ce village… Que pouvons-nous pour vous ? »

« Pour qui votre seigneur lutte-t-il ? »

Je pris un instant pour réfléchir mais j’avais déjà anticipé ce genre de situation :

« Il ne nous a rien dit, il a simplement pris une dizaine de nos gens puis s’en est allé sans autre forme de discours. »

Le vampire paru un tantinet surpris et je paniquai un instant lorsque je réalisai que plus que mes propos, c’était la qualité du langage que j’utilisai qui l’avait étonné Jamais une simple paysanne n’aurait parlé ainsi. Je m’en voulus et me jurai qu’on ne m’y reprendrait plus.

« Qu’importe, je ne suis pas là pour mettre à feu et à sang les fiefs de mon royaume toutefois il va nous falloir le reste des hommes valides ! Que tous les concernés s’avancent et nous suivent ! »

Le seigneur n’avait de toute évidence pas conscience que la quasi-totalité de ceux qu’il voulait enrôler étaient des déserteurs terrifiés à l’idée de guerroyer. Mais plus que tout, je réalisai alors que mon enfant le plus en danger n’était pas Denis mais Vivien que je vis blêmir à cette annonce. Devant le manque d’allant des futurs soldats, le seigneur s’impatienta et brandit sa masse :

« Avancez-vous et suivez-nous tous ou je massacre vos femmes, vos parents et vos enfants ! »

De toute évidence son armée manquait d’effectifs et il ne tenait pas à tuer ses futurs fantassins. La guerre s’en chargerait bien assez tôt. Je me mis alors à trembler à mon tour et je blottis Denis contre mon corps. Je vis un des déserteurs se faire dessus à cette annonce et s’écrouler. Le vampire pointa alors Aliénor dans un silence des plus éloquents.

Voyant ceci Viven, la tête basse et résignée, s’avança et rejoignit les chevaliers. Thibaut l’imita et, après avoir embrassé sa femme, rejoignit à son tour les vampires. Suivant son exemple et en m’adressant des regards tristes mais reconnaissants pour ce que j’avais fait jusqu’ici, les autres hommes s’en allèrent auprès de leurs geôliers.

Lorsque tous se furent présentés et que le quatrième seigneur fut revenu de son inspection, les vampires poussèrent les malheureux avec leurs lances et je les vis s’enfoncer dans la nuit avec un seule torche et quatre créatures des ténèbres pour les guider. Mon dernier fils humain s’éloigna et je ne pus m’empêcher de courir vers lui en pleurant après avoir laissé Denis à Aliénor. A cet instant elle aurait voulu se joindre à moi mais elle se ravisa au dernier moment. Laisser le dhampire à un autre villageois risquait de révéler sa nature et de le tuer.

J’embrassais alors mon fils, les joues couvertes de larmes, en le suppliant de ne pas mourir. Viven, retenant ses pleurs, usa de toute sa force pour afficher un sourire qui se voulait rassurant. Il saisit mes mains, les embrassa puis parti avant que le vampire qui me menaçait d’un coup ne s’exécute.

Un fils m’a été donné et moins de six mois après un autre m’était enlevé. Je maudissais ma vie, je maudissais mon existence et plus que jamais j’avais besoin de Lev. Hélas lui écrire comportait un risque, faible mais existant, que cela menace la vie de Denis et d’Aliénor. Je me résignais donc, submergée par le chagrin, à attendre l’hiver et la venue promise de mon aimé qui, s’il n’effacera pas ma peine, m’aidera à la rendre plus supportable.

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