Chapitre 46 : Le congrès d'Imopor

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Piotyr

L’hiver est presque là et les opérations vont sur leur fin. Avec le duc de Kulmar, Ina et quelques autres comtes nous sommes arrivés en premier à Imopor. Bien que très grande, cette bastille avait de toute évidence souffert de l’absence de guerre entre Isgar et Aartov et sa taille n’était égalée que par sa vétusté. Les salles intérieures avaient malgré tout été rénovées, du moins autant qu’il avait été possible de le faire en deux mois.

Je m’étais longuement entretenu avec Ina durant le trajet et j’ai même fini par arborer ses armes qui, choses assez rares, furent choisies par ses partisans et non par elle-même. Elle a toutefois reconnu que ces dernières lui plaisaient car elles réunissaient tout ce qui lui tenait à cœur : l’ours blanc de sa famille, la couronne endiamantée de feu son mari et le cœur ensanglanté symbolisant à la fois sa foi, son chagrin et sa détermination. Bien qu’elle ne fût reine que de consort elle avait acquis une véritable influence durant le règne de Valentyn et cette dernière s’était encore accru depuis son décès. Je ne comptais plus les prêtres qui arboraient ses armoiries et même certains seigneurs s’y étaient mis.

Au contraire l’attitude du duc me parut ambivalente. D’un côté il n’était pas insensible au pouvoir d’attraction d’Ina et cela avait permis de rassembler les seigneurs du pays à peu de frais. De l’autre il était évident qu’il regrettait que tout le pouvoir qu’elle détenait ne soit pas sien. Pour cela encore aurait-il fallu qu’il ait de la piété et du charisme. La plupart des seigneurs nous accompagnant étaient partagés de façon plus ou moins tranchée entre l’influence de ces deux personnages mais assurément Ina avait le dessus, pour ma plus grande satisfaction et celle du royaume.

Nous arrivâmes donc à destination le quatre novembre pour un congrès qui déciderait de l’avenir du monde. Immédiatement des tensions surgirent. En effet alors qu’Ina et moi étions persuadés que le but de cette rencontre était de continuer la lutte, le seigneur chargé d’inaugurer les tractations fit un discours laissant entendre tout l’inverse :

« Au nom du royaume d’Aartov je souhaite la bienvenue aux seigneurs d’Isgar. Je me présente, je suis Andrija, duc de Tarmak et général en second des armées d’Aartov. Pour ce congrès j’ai été désigné par les seigneurs du royaume comme votre principal interlocuteur. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Naturellement nulle décision ne sera arrêtée avant que tous les grands de chaque pays ne soient présents toutefois il me paraît nécessaire d’établir nos objectifs. Actuellement Orania gagne la guerre et nos deux pays se retrouvent sans roi. Si nous nous divisons, rien n’empêchera Stanislas IV de nous ravir tout ce que nous possédons. Aussi voilà notre position : Il nous faut afficher un front commun afin de négocier la paix dans les meilleures conditions possibles. Notre objectif est que l’actuel souverain d’Orania, connu pour distribuer les fiefs d’autrui avec une grande générosité, ne nous spolie pas les nôtres. En échange de la reconnaissance de nos titres nous serions prêts à lui abandonner la couronne sous réserve que son autorité sur nous soit plus limitée qu’en Orania. »

A ces mots les prêtres nous accompagnant hurlèrent leur désaccord et moi-même je fus incapable de me retenir :

« Nul ici n’est autorisé à choisir un souverain ! », « Troquer votre royaume contre des titres, avez-vous le moindre honneur ? », « Comment osez-vous ? Pareille hérésie est intolérable, nul ne peut se substituer à Valass ! ».

Telles furent quelques-unes des phrases qui furent prononcées et pas les plus virulentes. Les prêtres d’Aartov eux-mêmes parurent surpris par les dires de leur seigneur et leurs cris se joignirent aux nôtres. Au contraire le duc de Kulmar et les autres seigneurs d’Isgar n’émirent que de menues protestations. C’est alors qu’Ina frappa le sol avec sa bannière. Le son raisonna dans l’enceinte du château avec une telle force que je pris cette intervention pour un petit miracle. Le silence s’installa presque instantanément et, sans prendre place sur le balcon, elle déclama :

« Monsieur le duc, vous craignez pour vos titres ? C’est normal. Je ne vous propose pas un ultime baroud d’honneur afin de consacrer dans encore plus de sang la victoire du tyran. Je vous propose de nous unir pour le défaire ! Il reste encore des ressources à Aartov et Isgar ! Si tous les preux et les pieux s’unissent, avec l’aide de Valass, nous pourront vaincre. Comme vous le savez les armées ennemies sont séparées. Une se trouve au nord en Isgar l’autre est à vos portes sous le commandement du plus terribles des rois que cette terre n’a jamais porté. Concentrons nos forces au sud et défaisons-le. Qu’il périsse comme Valentyn et Javor ont péri : Dans un sanglant affrontement. Boutons les Oraniens hors d’Isgar et d’Aartov. Stanislas n’a pas plus d’héritier que n’en avaient nos souverains. Une fois disparus nos ennemis rentreront chez eux. Vous voulez garder vos privilèges ? C’est bien. Quant à moi je vous propose de sauvegarder votre royaume, votre honneur, vos richesses et, en plus, vos privilèges ! »

Un ouragan de contestations et d’applaudissements suivirent ses derniers mots. Le duc de Kulmar refusait que l’on sacrifie ses terres qui seraient les prochaines à être traversées par le comte d’Or en Isgar l’année prochaine tandis que les chevaliers d’Aartov doutaient de leur capacité à vaincre Stanislas IV et encore plus de le tuer, même en réunissant les forces de nos deux armées.

Ina reprit la parole :

« Il suffit, vampires de peu de foi ! Vous êtes paralysés par la peur ! Contrairement à moi vous doutez de la victoire finale ! Heureusement Valass, dans son infinie bonté, vous a envoyé un signe pour vous décider. »

A ces mots Ina me regarda. Je pris alors la parole :

« En effet. Mes seigneurs, nous ne vous enverrons pas à la défaite. J’ai pris contact avec les grands d’Orania et eux aussi sont des plus inquiets vis-à-vis de leur roi. La place qu’il donne aux hommes les effraie au plus au point et je les ai persuadés de faire pression sur leur souverain. En ce moment même, le duc de Cracvonia, le comte de Similinmar et la comtesse de Gamar réunissent leurs forces. Ils sont entrain de persuader d’autres seigneurs de faire de même. Ils exigeront la dissolution de l’armée humaine et la fin de la guerre. Ils craignent que cette dernière ne serve désormais de tremplin pour une révolte. Par fidélité et à cause d’un rapport de force trop inégal, ils ne peuvent pas se permettre d’entrer en rébellion ouverte néanmoins il suffira que nous remportions une victoire pour que Stanislas se retrouve trop affaibli pour continuer. S’il est défait et qu’il ne liquide pas la guerre, les grands d’Orania rentreront en rébellion et forceront leur roi à en finir, tant avec la guerre qu’avec ses armées d’hommes. Afin d’encourager d’autres seigneurs à défier Stanislas et afin que les conséquences de notre prochaine victoire soient les plus importantes possibles il faut que nous affichions un front uni et déterminé ! Tuer le tyran serait idéal mais une simple victoire suffira à tout sauver ! »

A ces mots je montai rejoindre le duc de Tarmak et lui présentai la lettre que j’avais reçu du duc de Cracvonia et résumant sa position. Il y eut de nouveau de nombreuses objections et on ne passa pas loin d’un certain nombre de duels tant les insultes étaient sur les lèvres de chacun. Toutefois la ferveur d’Ina et le soutien inattendu d’un certains nombres de seigneurs oraniens fit réviser leur jugement à bien des vampires présents. Les tractations seront longues, d’autant plus que toutes les parties prenantes ne sont pas là mais j’ai bon espoir qu’elles débouchent sur une union qui sera en mesure de venger Valentyn et sauver Isgar et Aartov. En tout cas je ne ménagerai ni mes efforts ni mes prières dans ce sens et je sais qu’Ina en fera autant.

Juliette

Je reçois de plus en plus de missions ces temps-ci. Tantôt espionner tel vampire, puis épier les conversations d’un autre avant de suivre un seigneur pour voir par quelle porte il sort de la ville. Je remarque toutefois que ces diverses tâches tournent toutes autour des deux mêmes sujets : la question des hommes et les tensions qu’ils font naître dans le royaume. Même certains seigneurs jusqu’ici plutôt de connivence avec le pouvoir ont été presque soulagé par les menaces de certains grands seigneurs.

Je finis par prendre goût à rassembler les pièces de ce puzzle. Les intrigues amoureuses qui m’intéressaient le plus il y a encore quelques mois sont de plus en plus fades à mes yeux par rapport à ces jeux politiques. Ainsi le baron Tulmar, pourtant fidèle du roi et créancier à hauteur de ses moyens, n’a pas caché son soutien à ses seigneurs, du moins dans ses lettres. Il semble que le royaume craigne désormais plus la victoire que la défaite. Les vampires dans leurs discussions privées ne cessent de faire référence aux rois du passé pour illustrer leurs peurs.

« - Boleslaw lui-même s’était contenté de gains territoriaux, il ne lui serait jamais venu à l’idée de conquérir des nations entières.

- D’autant plus qu’il a toujours limité le nombre d’hommes entrainés !

- Stanislas IV se prend pour le conquérant !

- Pire que le conquérant ! Lui voulait faire d’Orania la première puissance en ce monde, pas la seule. Quel pouvoir restera-t-il à nous seigneurs lorsqu’il n’y aura plus qu’un souverain ? Autrefois les rivalités entre rois les obligeaient à nous laisser liberté et pouvoir afin de conserver notre soutien, désormais et de plus en plus je crains qu’on ne se dirige vers une tyrannie des plus implacables.

- S’il ne s’appuyait pas autant sur les hommes je pourrai le soutenir mais là il affaibli les vampires et renforce nos vrais ennemis !

- Heureusement que les grands se réveillent enfin ! Le duc de Cracvonia est en train d’engranger du soutien. Bien que je sois trop faible pour le rallier ouvertement je lui ai malgré tout envoyé quelques subsides.

- Je vais sans doute en faire autant. L’idée qu’on puisse me taxer à volonté sans que je ne puisse rien faire et qu’en cas de refus une horde d’hommes déferle sur mes terres ne me plaît guère. Au moins les chevaliers se comprennent-ils entre eux. Si l’autorité du roi devenait trop invasive, il ne pourrait compter sur aucun d’entre eux pour la faire appliquer. Il devrait se souvenir de Kazimierz. Son règne eut sans doute été plus long s’il ne s’était pas mis en tête d’imposer une armée royale capable de défaire l’ensemble de ses vassaux dans le seul but de leur extorquer autant d’or que possible.

- Enfin, Stanislas IV au moins n’est pas idiot. Il comprendra vite la situation et n’aura d’autre choix que de faire la paix. Reprendre les terres perdues par son père et maintenir le statu quo entre hommes, vampires et monarques me semble être une issue honorable pour tout le monde dans cette guerre.

- A la santé du roi !

- Et au trépas des hommes ! »

Cette discussion me semble être un bon résumé de tout ce que j’ai pu comprendre durant ces mois d’investigations. J’en fis donc part à ma dame qui parut pensive à l’écoute de mon rapport. Elle me répondit d’ailleurs amusée :

« -J’ai l’impression que tu prends plus de plaisir à enquêter sur ce genre de questions.

- Oh oui ! Les amourettes c’est bon pour les enfants ! Je finis par trouver les histoires de pouvoir plus intéressantes que celles de cœur !

- Les amourettes, voilà qui est pour les enfants ! Sinon je suis plutôt d’accord avec toi, moi aussi j’y prends de plus en plus goût. En tout cas je te remercie ! Tout ce que tu m’as appris là m’a été d’un grand secours. On risque de ne pas se revoir avant quelques temps, prends soin de toi mais je t’attends toujours présente et alerte pour nos prochaines rencontres ! »

A ces mots elle me tendit une bourse remplit de piécettes. Je lui souris et la remerciait chaleureusement. Elle me rendit mon sourit puis s’en alla.

Je pensais avoir peut-être un mois devant moi avant d’avoir de nouveau à faire à elle et pourtant il n’en fut rien. Trois soirs après notre rencontre le cor d’appel retentit en pleine nuit. Il était rare mais je savais ce qu’il signifiait et quel effet il provoquait sur les hommes d’ici : une intense frayeur. Chacun s’habilla aussi vite que possible et sorti devant l’allée des rois menant au cercle du sang.

Il ne s’agissait pas d’une ratonnade habituelle durant laquelle les vampires descendaient de leur promontoire pour venir chercher quelques humains à dévorer ou sacrifier. Dans ce cas-là il suffisait de demeurer caché et, à moins d’être très malchanceux, on était épargné. La vivacité, l’intelligence et, il faut bien reconnaître, la maigreur aidaient à ne pas être pris en chasse. Toutefois ce cor signifiait que nulle cavalcade ne serait tolérée. Chacun devait se présenter et s’agenouiller car une procession de vampires allait arriver. Les humains essayant de se soustraire à ce rituel et qui étaient pris était torturés de la pire des façons. Il y en avait toujours quelques-uns pour tenter leur chance mais les chevaliers qui patrouillaient alors dans les rues et fouillaient les maisons étaient bien plus alertes que d’accoutumé.

Je m’agenouillais donc au milieu de la foule et attendit trois heures ainsi que les vampires entrent dans la cité. Au loin j’entendis les hurlements de terreur des quelques idiots qui avaient essayé de se cacher et qui furent pris. Lorsque les trompettes sonnèrent et que le cor retentit de nouveau chacun de nous baissa la tête et j’entendis les pas des chevaux frapper contre les dalles de la grande avenue. Deux groupes convergeaient vers le centre de l’allée et s’arrêtèrent au milieu. Ils échangèrent quelques mots et, comme le veut la tradition, les invités choisirent quels humains seraient dévorés. J’entendis un cri de femme loin à ma droite, ceux de deux hommes un peu plus près et, enfin, les cris d’une famille entière à ma gauche. Tous ces gens furent ensuite écartés du rassemblement mais nul n’ignorait le sort qui les attendait. Bien qu’interdit, certains levaient la tête pour voir qui était pris et s’assurer que le doigt du vampire ne pointe pas sur eux. La plupart ne le faisaient pas de peur qu’un croisement de regard n’attire sur eux le dévolu des seigneurs. Pour ma part, toujours immaculée de la cruauté des vampires, je n’avais pas particulièrement peur. Être choisie parmi tous ces gens était hautement improbable et j’avais toujours une confiance naïve voire absurde en ma chance avec ceux de cette race.

Je levais donc les yeux et, tandis que les flammes d’un braséro chaviraient sur un coup de vent, j’aperçu un court instant, éclairé par les flammes, le visage de ma maîtresse. Il semblait que la manifestation gravitait autour d’elle. Soudain le roi s’avança vers elle et l’embrassa. Après tout ce temps à espionner je faisais presque partie de la cour, du moins me l’imaginais-je. Une seule personne pouvait recevoir pareille attention du monarque. Je réalisai alors que celle que je servais depuis près d’un an et demi était la régente, la sœur du roi en personne. Je fus encore plus surprise lorsque je vis un seigneur s’approcher d’elle, lui chuchoter quelques mots dans le creux de l’oreille, la faire rie, puis lui prendre la main avant de l’accompagner vers le cercle du sang. Pour parfaire le tableau j’aperçus derrière eux le vampire à qui j’avais apporté la lettre, le seul de sa race à m’avoir jamais terrorisé.

Je soupçonnais ce que cela signifiait et je ne me trompais pas. Trois jours après cette nuit j’entendis le son des cloches émaner de la cathédrale de Valass et, toute la nuit durant, les seigneurs attablés à la Halte des Princes ne parlèrent que du mariage de la régente et du troisième fils du comte d’Or. Un instant je fus contente pour ma maîtresse avant de réaliser qu’il s’agissait de toute évidence d’un mariage arrangé. Serait-elle heureuse ? Avait-elle seulement consenti à cette union ? Voilà une histoire de cœur qui ravivait mon intérêt en la matière, d’autant plus que la politique n’y était sans doute pas étrangère.

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