Chapitre 47 : Destabiliser Aartov

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Lazare

Peu après que nous avons pris nos quartiers d’hiver sur la rive aartovienne du fleuve de la lune, le baron de Tikmar s’en est allé. Je ne pensais pas qu’il tenait autant au sort des hommes mais ces derniers mois il n’a cessé de nous mettre en garde sur l’après-guerre. Que nous ayons à nous méfier des vampires en général je le conçois mais le roi demeure à mes yeux quelqu’un de confiance. L’avenir me donnera raison ! Quelques officiers des plus fiables, Lev et moi avons malgré tout établi deux plans, l’un en cas de collaboration du roi à notre entreprise et l’autre en cas de refus.

Se voir confier des fiefs ou les prendre avant que les vampires ne réagissent. J’espère ne pas avoir à en arriver là toutefois l’attitude ambivalente des seigneurs à notre égard nous oblige à prendre des précautions. Après tout l’armée de la rédemption lutte avant tout pour le salut des hommes. Si malgré tous nos efforts et nos sacrifices les vampires ne pardonnent pas nos erreurs passées nous devront prendre en main notre destin. De plus j’ignore l’influence que peuvent avoir les chevaliers sur notre roi. Peut-être que, quand -bien même ce dernier serait de bonne volonté, il aura du mal à se confronter à ses vassaux. Dans ce cas le mettre devant le fait accompli pourrait même lui faciliter la tâche. Il pourrait ainsi présenter nos prises de gages comme une situation contre laquelle il ne peut rien alors qu’elle coïnciderait avec sa volonté.

J’ai même proposé à ce qu’on mette Stanislas IV au courant de nos projets mais Lev a justement fait remarquer que, même s’il s’avérait être de notre côté, lui révéler nos plans n’aideraient ni leur accomplissement, ni le roi. Nous avons désormais une liste de fief à demander ou à rallier au plus vite à la fin du conflit. Pour l’instant le nombre d’hommes au courant de notre entreprise se compte sur les doigts d’une main et il faut que cela reste ainsi.

Il n’en a pas fallu davantage pour me dérouter d’ailleurs. Je n’avais pas réalisé qu’une telle défiance vis-à-vis des vampires existait dans l’armée mais de toute évidence le souvenir de notre traitement après la bataille de Chichmar demeure vivace chez beaucoup.

« Nous n’avons pas tous eu la chance de se voir de nouveau promu puis récompensé par le roi en personne, même après le plateau ocre. Nombre d’entre nous gardent encore les stigmates physiques de la rage des vampires » me confia Guy en me montrant une large cicatrice au niveau du dos. Il est vrai que depuis le départ du roi pour la capitale les brimades ont repris. Elles ont beau être moins nombreuses et virulentes qu’après la défaite de Chcihmar, se voir encore regardé comme un ennemi et moqué comme un esclave demeure rageant, d’autant plus après nos sacrifices lors de la dernière bataille. Le duc de Sartov a beau essayer de limiter ces altercations mais il ne dispose de toute évidence pas de l’autorité du roi et n’y parvient donc que partiellement. Cela me conforte néanmoins dans mon analyse des faits : le souverain nous soutien mais, de toute évidence, cela n’est pas au goût de tous les vampires qui, pour certains, profitent de son absence pour nous rabaisser.

Ce n’est toutefois pas l’opinion de mes collègues. Le plan qui, pour ma part, me paraît être une simple précaution, semble pour les trois autres êtres une assurance indispensable à la survie de l’armée. Nous verrons bien. D’ici là, la guerre continue. Je ne crois pas pourtant être naïf en pensant que nos exploits ont impressionné les vampires, du moins une partie, et que le roi puisse ressentir quelque reconnaissance à notre égard. Qu’importe, quelle que soit la vérité le plan demeure le même.

Guillaume, un autre conjuré, est même parti avec Lev afin de rallier l’armée du nord et de mettre au courant mon père. J’aurai bien voulu y aller mais en tant que plus haut gradé parmi les hommes il était indispensable, tant pour la suite de la guerre que pour l’après, que je reste sur le front sud. J’ai donc simplement donné à Guillaume une missive décrivant notre situation et notre plan qui devra être remise au général mon père.

Après ce que je lui ai raconté quant à mes mésaventures sous les ordres du grand-duc lui aussi a commencé à douter de la bonne foi des vampires et nul doute qu’il saura quels officiers de chez lui contacter pour le seconder.

Après cela je croyais que l’hiver serait consacré à entraîner les nouvelles recrues et organiser le ravitaillement mais une nouvelle mission nous vint de Valassmar. Le roi en personne nous ordonnait d’envoyer des hommes d’Aartov dans leurs villes et villages d’origine, encadrés par des officiers à nous, afin d’y provoquer des révoltes.

« Général Lazare,

Voici les observations et ordres qui en découlent pour cet hiver :

Nulle purge n’a été conduite dans les territoires d’Aartov. Le comportement habituel des seigneurs, la réputation de notre armée quant au traitement réservé aux hommes et la disproportion entre populations vampiriques et humaines dans ce royaume, aggravée par leurs récentes défaites, rendent un soulèvement probable et souhaitable. Utilisez les prisonniers et déserteurs que nous avons fait ces derniers mois afin de le provoquer. Faites-en sorte qu’il soit le mieux organisé et de la plus grande ampleur possible. Qu’un maximum de villes se soulève. Que les hommes prennent possession d’un maximum de forteresses et que ceux des villages s’y réfugient. Si l’opération s’avérait être convenablement menée il se pourrait que le pays soit à moitié conquis avant même le printemps prochain ! Prenez donc toutes les dispositions en ce sens. Soyez-sûr en retour de ma reconnaissance et de ma générosité, qui y est toujours associée !

Stanislas IV, comte d’Urnia, Grand-duc de Sussmar, d’Aartovmar et de Valassmar et roi d’Isgar, d’Aartov et d’Orania. »

Immédiatement il fut évident qu’une telle mission pourrait nous servir. En effet, si nos troupes s’avéraient être déjà en possession des forteresses que nous souhaiterions rejoindre après la guerre, notre tâche n’en serait que facilitée. J’organisai donc aussitôt le recensement des hommes en provenance des régions ciblées et bien vite j’eus des centaines de gens motivés et désireux de se venger de leur seigneur à disposition. Je les flanquais donc d’officiers de l’armée de la rédemption, sans pour autant mettre ces derniers au courant de nos intentions quant à l’après-guerre, et les envoyais provoquer des révoltes partout où cela était possible.

Qu’ils fassent s’effondrer Aartov et qu’ils se réfugient dans des forteresses où ils seront indélogeables à court terme. L’armée ennemie ne pourra pas lutter contre notre corps principal et reprendre ses places en même temps. Lorsqu’elle sera vaincue nous n’aurons qu’à rejoindre les bastilles déjà sous notre contrôle. Les autres pourraient se rendre à la simple vue d’un étendard oranien.

Stanislas IV ne saurait nous refuser le droit sur lequel il s’appuie : ce que nous avons conquis nous revient. Le droit, le roi et la force seront donc avec nous. Les mauvais seigneurs n’auront qu’à s’incliner devant cet état de fait et enfin nous pourrons servir à égalité avec les vampires notre bon souverain !

Lev

Enfin arrivé chez moi ! Enfin j’ai pu serrer dans mes bras mon fils et ma femme ! Le trajet ne fut pas de tout repos. Sur le chemin j’ai accompagné un certain Guillaume afin que l’armée du nord soit au courant pour les projets futurs de l’humanité. Il chevauchait sur ma monture lorsque cela était possible et redescendait lorsqu’il existait un risque qu’on nous aperçût. Cet officier était très sympathique et, contrairement à beaucoup, il n’a pas commencé la guerre à ce rang. Simple soldat au départ il a dû remplacer au pied levé un des premiers officiers tombés au champ d’honneur. Il me raconta sa vie avant la guerre et comment les gradés étaient pour lui ce que les vampires étaient pour eux : des brutes avides de passer leurs nerfs sur plus faibles qu’eux.

Au moins cela avait-il eu le mérite de le renforcer. Toutefois lorsqu’il eut intégré le cercle des officiers il fut là encore méprisé. Il n’était arrivé ici que par chance, ne s’exprimait pas aussi bien que les autres et était trop tendre avec la troupe. Il trouvait curieux que ces hommes, si prompts à se plaindre des comportements des seigneurs, ne cessent de les imiter face à leurs semblables.

Il était néanmoins conscient qu’il valait mieux des maîtres humains orgueilleux que des vampires orgueilleux et meurtriers. « Tous à égalité devant le roi » disait-il sans cesse. Non pas que le roi ait eu selon lui quelques qualités étrangères à ses congénères mais il avait le mérite d’être suffisamment lointain pour ne pas influer sa vie ou celle des siens.

« Je ne pense pas qu’un jour Stanislas IV débarquera chez-nous et décidera de dévorer tel ou tel humain. S’il est le seul vampire duquel nous devons nous méfier et qu’aucun autre n’a autorité sur nous, nous pourrons vivre dignement et en sécurité sur nos terres. »

Cela était vrai. Ils n’auraient qu’à payer l’impôt et répondre à l’appel du souverain lors de ses guerres à venir qui devraient être d’autant plus rares que la quasi-totalité du monde connu sera à sa botte.

Je déposai donc cet humain au campement de l’armée du nord et, lorsque je fus assuré que tout allait bien et que des officiers étaient en train d’étudier le plan de leur côté, je parti au nord rejoindre ma baronnie.

Marie et les villageois se précipitèrent à ma rencontre et mon fils me fut tendu. Denis… Tel était son prénom, magnifique choix de la part de sa mère. Pourtant il y avait dans les yeux de ma chère et tendre une tristesse que je ne m’expliquai pas. Elle me raconta alors que Vivien avait été enrôlé de force dans les armées d’Isgar. Je partageai donc sa douleur et fut encore plus soulagé de découvrir mon fils sain et sauf. Elle me supplia alors de partir à recherche de son enfant enlevé. Je refusai net. Il était hors de question que je parte à la rescousse d’un homme au sein d’une armée ennemie. Le risque que je me fasse tuer était immense et la probabilité que je puisse ne serait-ce qu’apercevoir Vivien plus que faible. Marie pleura, hurla, me frappa de toutes ses forces mais rien n’y fit. Si Denis n’existait pas j’y aurais sans doute songé mais je refuse d’abandonner mon fils pour celui d’un autre.

Depuis cet instant et bien que les jours passant elle me jura qu’il n’en était rien, je sentis que quelque chose s’était brisé entre nous. Au fond tant mieux. D’expérience je sais que l’amour ne dure pas plus de quelques années ou quelques décennies tout au plus. Et quand bien même je l’eus aimé jusqu’à la fin il ne doit lui rester au mieux que deux ou trois décennies à vivre. Etant donné que notre idylle devra s’arrêter un jour ou l’autre, le plus tôt sera le mieux. Elle m’a déjà donné bien plus que ce que j’aurai pu attendre avec Denis et pour cela je lui serai à jamais reconnaissant et demeurerai son éternel obligé.

Depuis je continue à entretenir mon fief et attend avec impatience le dénouement du conflit. J’ai envoyé quelques lettres au roi arguant qu’avec notre avantage acquis durant la précédente campagne j’aimerai profiter de mes terres pour les remettre en valeur et ne pas guerroyer le printemps prochain à moins que cela ne soit nécessaire. Puisse le roi accepter. Si tout va bien, sans que je ne sois soupçonné de rien, je verrai depuis le confort de ma demeure les humains se voir accorder leur indépendance ou bien l’arracher au nez et à la barbe des vampires.

D’ici là je passe mon temps avec ma femme et mon fils, ne cessant de remercier Valass et Himka du don qu’ils nous ont fait et pensant au destin grandiose que sera celui de Denis.

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