- 2 avril 2020 (Épître aux Corinthiens)
Le bac 2020 ne se tiendra pas dans des “conditions normales” confirme Édouard Philippe. Le nombre de patients en réanimation dans toute la France est de 6399, dont 382 en plus lors des dernières 24 heures.
Elle : « Non mais au début je comprenais tout, et puis maintenant, je me rends compte que j’étais en fait larguée. La discusse était quand même intéressante, parce que si je crois pas avoir tout capté, eh ben je me pose tout plein de questions à présent.
L’autre : — À ceci près que tu te poses souvent tout plein de questions.
Elle : — Mais plus en période de confinement !
L’autre : — Il est certain que nous avons tout le temps pour cogiter.
Elle : — Pour se chauffer la caisse, oui ! Je me disais… Si nous sommes non genrées, pourquoi se réfère-t-on toujours à nous avec des mots féminins ? UNE voiture, UNE teuf-teuf, UNE bagnole…
Moi : — …Ou une tire. Salut vous deux ! Pardon de vous déranger, mais j’ai l’impression que la conversation qu’on a eue hier vous travaille encore un peu.
L’autre : — Oui, on a prolongé la réflexion, et j’ai tenté entre autres de lui faire comprendre la différence entre pansexuel et bisexuel. Je pense avoir à peu près réussi.
Moi : — C’est ambitieux. Je me demande en quoi ça peut vous concerner, mais au moins ça fait un sujet de bavardage…
Elle : — Ça nous change un peu des virus. Excuse-nous de nous intéresser parfois à autre chose que votre petite pandémie ! Le but était d’essayer de vous comprendre un peu mieux, vous les humains, mais en fait… En fait, c’est à peu près clair comme une flaque de fioul.
Moi : — C’est pourtant lumineux, la différence entre pan et bi : la bisexualité est une attirance sexuelle pour deux genres ou plus, tandis que la pansexualité est la capacité d’aimer une personne sans considération pour son genre ou son sexe.
Elle : — Uuuh, déjà qu’il y a plus de deux genres…
L’autre : — Ben oui, je t’ai expliqué qu’il ne fallait pas oublier les trans…
Elle : — Oui mais si je considère qu’on peut être attiré par toutes les espèces de genre, dans ce cas-là on est pansexuel aussi, non ?
Moi : — Ça me rappelle certains cours où j’explique les différences entre le prétérit et le present perfect, et au bout d’une heure les élèves n’ont toujours pas compris.
L’autre : — Fais un effort, bouge un peu tes circuits…
Elle : — Dites tout de suite que j’ai le niveau d’une Punto…
Moi : — Quand on est pansexuel, ça veut dire qu’on peut tomber amoureux d’une personne – mâle, femelle, neutre, etc. – mais qu’on ne va pas forcément avoir une sexualité fluide.
L’autre : — Excusez-moi, mais… la sexualité fluide en étant non binaire, ce n’est pas la définition de l’omnisexualité ?
Elle : — Nan mais arrêtez deux minutes… J’ai compris que c’était pas aujourd’hui que j’y entraverai quelque chose. Et ça ne répond pas à mon interrogation.
Moi : — Quelle interrogation ?
Elle : — Pourquoi parle-t-on toujours de nous avec des mots féminins ? UNE voiture, UNE chignole, UNE guimbarde…
L’autre : — UNE poubelle…
Elle : — Pourtant, UNE automobile est synonyme de puissance, de confort, de sécurité… Des qualités qui me paraissent plutôt masculines, quand j’y pense.
Moi : — Tais-toi, malheureuse ! Si une féministe t’entendait…
Elle : — Oui mais j’ai pas raison sur le fond ? Y en a marre des mots féminins ! Moi je veux explorer mon côté viril.
Moi : — S’il n’y a que ça pour te faire plaisir, je ne vais plus employer que des mots masculins pour parler de toi et tes congénères : UN tas de ferraille, UN veau, UN tacot, UN tas de boue, UN pot de yaourt…
Elle : — Ouais, finalement, on va s’en tenir aux noms féminins…
Moi : — Pourtant, associer le masculin à tout ce qui est négatif est hyper tendance. Vous seriez au top de la mode.
Elle et l’autre : — C’est vrai ?
Moi : — Ah mais carrément. Ça fait des siècles que nous les femmes – enfin moi la femme, car je ne vais pas m’approprier la parole d’une minorité agenre non binaire sous domination humaine et cisgenre pour causer à votre place – nous sommes, heu enfin JE SUIS invisibilisée par un odieux patriarcat oppresseur, normatif, hétérocentré et hypersexualisant. Et vous aussi un peu par extension. Mais vous ne connaissez pas encore le pire.
Elle et l’autre : — Heu ?
Moi : — Non content d’asservir la moitié de l’humanité dans un système de domination entendu au sens statistique d’un ensemble de mécanismes sociaux qui concourent à créer un complexe de primautés masculines, le mâle est programmé pour finir toute partie de jambes en l’air sur le côté, dans un râle, après avoir lâché une flatuosité triomphante. Plus porc que ça, tu meurs.
L’autre : — Si je ne m’abuse, il semblerait qu’il y ait du vécu dans ce récit. Je note que vous avez réussi à dire tout cela sans reprendre une seule fois votre souffle ! J’en reste admirative.
Elle : — Tu peux me dire ce que font les humains avec les jambes en l’air ?
Moi : — Rien, c’est juste pour faciliter le retour veineux. (Après quelques instants de réflexion) Tenez, comme exemple d’une théorie linguistique qui permet de penser le genre comme un processus catégoriel signifiant primairement des rapports de pouvoir – si on prend l’herméneutique comme lieu commun pour le penser bien sûr – le mot virus, qu’on entend tout le temps en ce moment…
Elle : — Bon ça y est, elle commence à fumer, elle se croit de retour devant ses élèves à la fac…
Moi : — …est un mot latin qui signifie poison. C’est la même racine que vir qui veut dire homme et qui a donné les mots viril et virilité en français.
Elle : — Uuuuh.
L’autre : — S’il m’est permis d’apporter un éclairage un tout petit peu académique, puisqu’on en est là, je me dois de vous préciser qu’il existe pour le vulgum pecus une nécessité multiséculaire de conceptualiser deux sexes originels comme éléments d’un système structural binaire reproductible. Un système certes grossier, mais ordonné. Hélas, tout cela s’est effondré en d’innommables sous-catégories.
Elle : — M’enfin Ursula, t’es passée à la sans plomb 95 ? T’es beaucoup trop vieille pour ça, ton moteur va jamais supporter !
L’autre (sur un ton faussement détaché) : — Je n’allais quand même pas me laisser impressionner par si peu.
Moi : — Si vous le dites. Hem. J’étais en train de démontrer que tout s’explique : compte tenu de l’étymologie, un virus, ça ne pouvait qu’être méchant, petit, mesquin, malfaisant, sentant mauvais.
Elle : — C’est aussi plein de poils ?
L’autre : — Ach, entsetzlich! Histoire d’élever le débat après cette remarque un peu primaire, je vous prie de noter qu’on dit LA pandémie. Un mot féminin, qui désigne une calamité – tiens, un autre terme négatif !
Elle : — Mais on dit LE COVID !
Moi : — Non, LA COVID.
Elle : — Non, le… !
Moi : — Non, la… !
Elle : — Comment ça, c’est gender fluid ?
L’autre : — Ouvre grand tes capteurs auditifs, Marie-Apolline… Quand on se réfère à quelque chose de féminin et négatif, il s’agit là d’une expression d’une vision genrée androcentrée. Mais lorsqu’on se réfère à quelque chose de masculin et négatif, c’est pour dénoncer une masculinité hégémonique. Limpide, non ? »

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