- 5 avril 2020 (Et vos voies ne sont pas mes voies)
Tour des Flandres virtuel : le coureur cycliste Van Avermaet s’impose depuis son grenier
Elle : « Quand elle a abordé le sujet des prolégomènes, j’ai fait semblant de comprendre, mais en fait j’ai rien capté du tout. Tu sais ce que c’est, toi ?
L’autre : — Peut-être une sorte de carburant. Cela fait penser au propergol…
Moi : — Salut vous deux ! J’espère que vous êtes en forme, aujourd’hui j’ai quelque chose de rigolo à vous proposer !
Elle : — Bonjour. Si c’est encore un cours de philo, chuis pas trop partante…
Moi : — Non-non. On laisse les grands concepts, car c’est dimanche. Toute la France s’est mise paraît-il à jouer aux jeux de société, alors pourquoi on ne s’y mettrait pas, nous aussi ?
Elle : — Tu t’emmerdes vraiment, hein, dans ton appartement !
Moi : — Je t’interdis de dire ça !
Elle : — Allez, d’accord, ça va nous changer les idées un peu.
L’autre : — La pelouse, on finit par la connaître par cœur, mais tout dépend quelle sorte de jeu…
Moi : — On va jouer au Permis de conduire. Pour voir si vous avez intégré le Code… ou si vous êtes juste des véhicules conditionnés à obéir sans discuter. C’est ludique, hein. Promis.
L’autre : — Peuh. Inutile, je maîtrise évidemment le Code. N’oubliez pas que je suis une voiture d’expérience.
Moi : — Parfait, dans ce cas, on va vérifier ça. Vous êtes partantes ?
Elle : — Carrément. On n’est pas exactement surbookées ces temps-ci.
Moi : — Eh ben voilà. Mettons à profit le soleil et le vide sidéral de notre existence.
L’autre : — Nous savons très bien profiter seules, figurez-vous. Mais allons-y, si cela peut soulager vos pulsions pédagogiques.
Moi : — Avec un tel enthousiasme, on sent déjà l’ambiance colonie de vacances.
Elle : — T’occupe pas d’Ursula. Elle sait pas s’amuser, c’est tout.
L’autre : — Encore un procès en germanité, je suppose ? Qu’on m’excuse de ne pas être une de ces voiturettes colorées dont l’industrie hexagonale a le secret, qui s’approchent plus de la voiture à pédales pour enfants que de la classe automobile internationale !
Elle : — Tu parles de moi, là ?!?
Moi : — Depuis le début, j’hésite : vous êtes plutôt lourde Bavière ou arrogance prussienne ?
Elle : — T’es témoin ! Elle m’a insulté !
L’autre : — Je suis une œuvre d’ingénierie, pas une carte postale folklorique. Et je peux très bien retourner au silence – je vivais très bien à vous écouter caqueter de temps à autre.
Moi : — Eh ! Je vous rappelle qu’on était parties pour se détendre ! Pollinette chérie, je suis sûre que tu as mal compris ce que notre gracieuse voisine de parking a voulu dire. N’est-ce pas, Madame von Bratpfanne ?
L’autre : — …
Moi : — On va prendre ça pour un oui. L’incident est donc clos. Je vais maintenant tester votre aptitude à partager la route avec l’humanité.
L’autre : — Eh bien, soit, allons-y ! Il faut bien vous divertir de vos petites angoisses idiosyncrasiques du moment…
Moi : — Puisque tout le monde est détendu et de bonne foi, voici la première question : quel est le meilleur type de véhicule pour circuler sur les routes de campagne en France ? A – Une Deux chevaux de base, B – Une Jaguar, tout en souplesse et élégance, C – Un véhicule tout terrain à la surconsommation honteuse.
L’autre : — Hum, réponse C, un VW 82 Kübelwagen de préférence, même si ça doit rappeler de mauvais souvenirs aux Français.
Elle : — Réponse C, alors ?
Moi : — Désolée, c’était la réponse A. Il ne s’agissait pas ici de sécurité ni de facilité de circulation. On est sur les petites routes françaises, et on roule français, point.
L’autre : — Excusez-moi, mais je suis très moyennement d’accord avec ça.
Elle : — Moi ça me va !
L’autre : — Je vois que mon avis est malheureusement minoritaire ici. Mais peut-on savoir s’il s’agit d’un test de conduite ou d’un concours de chauvinisme routier ?
Elle : — Allez, Ursula, c’est pour rire ! C’est dimanche, pas l’Eurovision.
Moi : — Bon sang, autorisez-vous un instant une once de fantaisie, ça va pas vous gripper l’embrayage !
L’autre : — Vous pourriez au moins m’épargner ce sempiternel cliché qui consiste à associer Allemagne et absence d’humour !
Elle : — Bon, on joue ou on ergote pendant trois plombes ?
Moi : — Hem, on enchaîne alors ?
Elle : — Ben oui ! On va pas y passer cent-sept ans non plus !
Moi : — Très bien. On reprend. Question suivante. À quoi faisait-on référence dans une ancienne campagne concernant la sécurité routière sous la mention “C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien ?” A – Au gilet haute visibilité, obligatoire avec le triangle de signalisation à bord du véhicule, B – À un iguane des Galapagos empaillé, C – À une Kangoo de la Poste.
Elle : — La C !
L’autre : — A, sans l’ombre d’un doute. La C n’est même pas une option, à moins de considérer l’absurde comme un véhicule.
Moi : — Bien, Madame von Glokenspiel ! Égalité après cette réponse. Question 3. Écoutez bien. À quelle vitesse maximale est-on autorisé à rouler en agglomération ? A – 70 km/h, B – 50 km/h, C – 120 km/h à fond les manettes.
L’autre : — Si je me fie au seul comportement de mon conducteur, eh bien… je n’en sais strictement rien.
Elle : — C’est B. Et encore, ça dépend si c’est en descente ou pas.
Moi : — À la bonne heure ! Léger avantage pour la France. Question 4. Que faut-il répondre à “Quand est-ce qu’on arrive ? C’est encore loin ?” A – “On est bientôt arrivés, arrête de me demander toutes les cinq minutes, mon lapin.” B – “Tiens mon chéri, tu vas essayer un nouveau bonbon. Ça s’appelle Temesta.” C – “Boh, j’ai compté une petite semaine, si on pédale bien.”
L’autre : — Vous ne faites vraiment rien pour améliorer le niveau !
Moi : — Vous voudriez peut-être que j’y mette un peu de philo ?
L’autre : — Je ne serais pas contre.
Elle : — Heu, la C ?
Moi : — P’tite Maguette, je te souhaite de ne jamais avoir de famille à gérer.
Elle : — Ça risque pas, chuis pas un gros monospace.
Moi : — Bon, c’était la réponse A. Question 5, spécialement conçue pour Madame von Edelzwicker. Quelle est la question la plus existentielle qu’on puisse se poser au volant ? A – Pourquoi suis-je le seul (ou la seule) à savoir conduire ? B – Pourquoi ce n’est jamais ma file qui avance ? C – Les motards sont-ils des anarchistes ou des libertariens ?
L’autre : — Enfin un peu de fond ! Vous voyez, quand vous faites des efforts !
Elle : — Tu m’as complètement paumée, du coup…
L’autre : — Si vous voulez mon humble avis, le premier cas traduit un manque de lucidité. Cela pose assez concrètement le paradoxe du chauffard, celui qui se croit le champion de la conduite qui adopte conséquemment une conduite parfois des plus imprudente. Alors question existentielle, je ne sais pas réellement, mais antinomie, sans doute…
Moi : — Pas mal, Madame von Riesling. C’est votre réponse ?
L’autre : — Il me semble que c’est la meilleure.
Moi : — Je l’accepte. Attention, la France se laisse distancer.
Elle : — Forcément, l’Allemagne est honteusement avantagée avec tes questions à la noix !
Moi : — La prochaine question me semble plus taillée pour toi. Concentre-toi un peu. Sixième question ! Vous êtes à l’arrêt au feu rouge, il passe au vert, quand un piéton traverse le passage qui lui est réservé. A – Vous le laissez passer. B – Vous le frôlez pour l’avertir. C – Vous le filmez en lui criant HASHTAG INFRACTION !
Elle : — La A. T’es un peu moralisatrice, non ?
L’autre : — Je dis la même chose, réponse A, la morale en moins.
Moi : — J’accorde le point à Marie-Pollinette, elle a été la plus rapide. Question 7 ! Combien de verres d’alcool puis-je prendre avant de monter en voiture ? A – Aucun, B – Un seul, C – Beaucoup.
L’autre : — Aucun. Évidemment.
Elle : — Ben si, on a droit à un verre quand même, non ?
Moi : — Toutes les réponses étaient bonnes. Il y avait un piège : personne n’a dit que c’était moi qui allais prendre le volant. Et boum ! Cette fois-ci, je vais être magnanime : vous marquez un point toutes les deux.
Elle (s’échauffant) : — QUOI ? Comment veux-tu que je gagne dans ces conditions ?
Moi (toujours énervée) : — Vous êtes là pour jouer, pas pour gagner !
Elle : — Ah mais pardon !!!
Moi : — Question 8, un peu plus psychologique. Deux conducteurs. Le premier roule à 90 km/h, persuadé d’être lent. Le second à 50, persuadé d’être rapide. Qui est le plus dangereux ?
L’autre : — Le premier. L’illusion de maîtrise est pire que l’ignorance.
Elle : — Moi j’dis que ça dépend si y a des radars.
Moi : — Mouais. J’accorde le point à la Deutsche Qualität. Question 9 ! Après un banal accrochage, comment je remplis mon constat amiable ? A – Je fais un bon croquis de l’accident, B – J’utilise un stylo à bille noir de préférence, C – Je ne peux plus me regarder dans la glace après avoir eu la tronche défoncée par l’autre conducteur, légèrement énervé ; maintenant qu’il y a des blessés, la question n’est plus tout à fait la même.
L’autre : — Là, tout me paraît plausible.
Elle : — Oui, à moi aussi. Tout possible.
Moi : — Bravo, toutes les réponses marchaient. Un point pour tout le monde. Et enfin dernière question : je vois une auto-stoppeuse sur le bord de la route. A – Je la prends, B – Je ne la prends pas, C – Je sors la pelle de mon coffre et prévois un tour en forêt.
L’autre : — Je ne suis pas sûre de voir le rapport avec le Code de la Route…
Elle : — Moi, je sors la pelle !
Moi : — Comment ça ?!
Elle : — Pour aller faire des pâtés de sable avec la dame, mais pas en forêt. La plage, c’est quand même plus indiqué pour ça.
Moi : — Eh ben tu as failli me faire peur… Bon… Voyons les scores… Ah. J’ai oublié de compter. C’est ballot.
L’autre : — Ce petit divertimento m’a éclairée : je comprends mieux pourquoi les Français deviennent tous un peu fous au volant.
Moi : — Français ou pas, rappelez-vous, vous les voitures, que vous aurez toujours besoin de maîtres pour vous conduire.
L’autre : — Ach so! Ou peut-être… de compagnons de route plus éclairés. D’un point de vue hégélien bien sûr. »

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