Étranges absences

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- Je vous déclare mari et femme. Que Diane, déesse des forêts et de la chasse, bénisse votre union.

En disant ces mots, le prêtre nous présente les alliances. Mon nouvel époux s'empare de l'un des anneaux en or et le passe à mon annulaire gauche. J'imite son geste. C'est alors que Robin, Robert et Aurélie, les seules autres personnes présentes dans l'édifice en pierre, nous applaudissent. Je suis étonnée qu'ils soient nos seuls témoins et invités. Le duc de Westforest a pourtant de la famille, que je sache, alors pourquoi seuls ses serviteurs sont présents ?

Je suis interrompue dans ma réflexion par ce dernier, qui soulève mon voile d'un mouvement souple, habile et rapide, révélant mon visage. Il m'observe pendant quelques secondes, avec un regard intrigué, avant de prendre ma main pour me conduire à l'extérieur de l'église. Nous sommes suivis par nos trois et seuls invités.

En sortant, nous tombons nez à nez avec un groupe d'enfants, qui s'enfuient au pas de course en nous voyant. Ils se réfugient dans les maisons en bois qui entourent le bâtiment en pierre.

"Ils étaient sûrement en train d'épier la cérémonie." pensé-je en souriant.

Je constate qu'ils ne sont pas les seuls curieux car quelques adultes ouvrent leurs portes et leurs fenêtres pour nous observer. Je suis aussitôt frappée par la pâleur de leur teint et leur maigreur, qui est telle qu'ils n'ont plus que la peau sur les os !

- Qu'ont-ils ? demandé-je à mon époux. Pourquoi sont-ils dans cet état ?

- C'est la faim. Ces gens n'avaient déjà pas grand chose, mais l'augmentation des impôts dûe à la guerre les a définitivement plongés dans la misère.

- Je le sais bien. Ce que je veux dire, c'est pourquoi ne faites-vous rien pour les aider ?

- Je les ai déjà soulagés de l'impôt qu'ils me devaient. Ils ne payent plus que ceux imposés par l'Église et le roi. Il est sensé se dévouer à sa famille et à son peuple, ajoute-t-il en serrant son poing libre et ses dents, mais au lieu de cela, il manque délibérément le mariage de son propre frère et laisse ses sujets mourir de faim, tout ça pour une stupide guerre !

Je comprends maintenant pourquoi le seul membre restant de la famille du duc n'était pas présente à nos épousailles, mais qu'en est-il des autres ? Le roi de Forestisle n'était tout de même pas la seule personne sensée se présenter à l'église aujourd'hui. . .

Je n'ai pas le temps de réfléchir plus longuement : mon époux, qui est monté sur son cheval pendant que je pensais, me hisse devant lui. Je profite du temps que mettent nos compagnons à s'installer en selle pour lancer un dernier regard en direction des villageois. Ils nous fixent avec des yeux fatigués, vidés de tout espoir. Leur malheur me touche et je m'en sens responsable. Je leur promets donc, sans même réfléchir, avec une voix assurée et un regard déterminé :

- Ayez confiance ! Je vous aiderai !

Toutes les personnes présentes me regardent avec étonnement. Ils auraient sans doute continué si le duc de Westforest n'avait pas lancé son cheval au petit galop.

*

Je suis assise sur une chaise devant la longue table en bois de la salle à manger. J'observe les rayons dorés-orangés du soleil couchant à travers la fenêtre en attendant qu'Aurélie finisse de préparer le repas et que les hommes terminent de s'occuper des chevaux, comme me l'a demandé mon mari. Cela faisait longtemps que je n'étais plus simplement restée assise à ne rien faire. Cela me fait bizarre, maintenant.

La vieille femme ne tarde pas à entrer, une marmite encore fumante entre les mains. Elle la pose sur la table, qui est déjà dressée, en m'annonçant :

- Le repas est prêt !

Elle regarde ensuite autour d'elle et, en constatant que je suis seule, me demande :

- Les garçons ne sont toujours pas revenus des écuries ?

"Elle parle d'eux comme s'il s'agissait de ses enfants. . ." remarqué-je.

Au même moment, mon époux fait son entrée, accompagné de ses gardes du corps. Il s'installe en face de moi, tandis que j'observe les deux roux s'asseoir aussi à notre table avec étonnement. Depuis quand des serviteurs s'installent-ils à la table de leur maitre ?

Ce détail ne semble pas gêner le propriétaire des lieux, qui entame tranquillement la soupe servie par Aurélie. D'ailleurs, cette dernière, une fois chacun servi, s'assied à son tour et commence à manger. J'observe ce spectacle inédit pendant quelques secondes avant de m'alimenter à mon tour, n'osant pas poser de questions tant ce qui m'étonne leur semble ordinaire.

Je perçois la tension de mon époux, dont les sourcils sont froncés. Les autres aussi doivent la ressentir car personne n'ose placer un mot. Le repas se déroule donc en silence. Une fois que nous finissons tous de nous restaurer, mon mari quitte sa chaise et vient me présenter sa main en déclarant :

- Vous devez être fatiguée. Allons nous reposer.

Je prends sa main et le suis en dehors de la salle à manger, tandis qu'il souhaite à ses serviteurs :

- Bonne nuit.

- Bonne nuit, monsieur le duc, répondent-ils en choeur. Bonne nuit à vous aussi, madame.

- Bonne nuit.

Sur ces mots, nous nous engageons dans le couloir et montons à l'étage où se situe la chambre dans laquelle je me suis reposée hier soir. Cependant, nous dépassons la porte de cette dernière. Le duc me conduit jusqu'à une autre chambre, qui est bien mieux meublée que la précédente : en plus d'un lit à baldaquins, d'une penderie et d'un tapis représentant une scène de chasse, elle contient un secrétaire, une table circulaire et plusieurs chaises. La seule chose qu'elle a en moins est une coiffeuse, qui est remplacée par un simple miroir, fixé au mur.

J'observe avec des yeux ronds mon époux ôter ses vêtements, pour ne garder qu'une longue chemise blanche lui arrivant jusqu'à mi-cuisse. Il s'assied ensuite sur le lit et me désigne la penderie, en m'informant :

- Vos affaires sont là.

Je regarde tour à tour le duc de Westforest et la penderie, sans vraiment comprendre, jusqu'à ce qu'il me demande :

- Qu'attendez-vous pour vous changer et venir au lit ?

- Vous voulez. . . qu'on dorme ensemble. . . réalisé-je.

Il confirme d'un simple hochement de tête, puis déclare :

- Cette chambre est aussi la vôtre, désormais.

Je me dirige vers la penderie, y prends l'une de mes chemises de nuit, puis me dissimule derrière la porte pour me changer. Une fois que c'est fait, je contourne lentement le lit et m'y asseois, dos à mon mari. Je me sens quelque peu troublée. J'ai déjà dormi dans la même pièce que des hommes, mais jamais dans le même lit ! Je redoute la suite. . .

Le fil de mes pensées est interrompu par la voix de l'homme aux yeux violets, qui me demande, en attrapant l'une de mes mèches blondes :

- Pourquoi vos cheveux sont-ils aussi courts ? C'est inhabituel pour une femme, qui plus est pour une de votre rang.

- J'ai malheureusement été contrainte de les couper. Mes longs cheveux n'étaient pas du tout pratiques lors de mon voyage. . .

- À ce point ? s'étonne-t-il.

Je hoche la tête. Il ne cherche pas à en savoir plus et s'allonge sur le dos. J'en fais de même, mais sur le côté, de façon à lui tourner le dos, en espérant que cela suffira à le dissuader d'entreprendre quoi que ce soit. Quelques secondes plus tard, je sens sa main se poser doucement sur mon bras. Je rabats instinctivement la couverture sur mes épaules et il brise aussitôt le contact. Je l'entends me murmurer :

- Bonne nuit.

- Bonne nuit, répondé-je.

La fatigue accumulée au cours des derniers jours ne tarde pas à me faire sombrer dans le sommeil.

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