Les malades

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Je pose mes couverts sur le bord de mon assiette et annonce :

- Je vais retourner au village.

- Encore ? me demande mon époux.

- Oui, les villageois ont besoin de mon aide, déclaré-je en me levant.

- Cela fait plusieurs jours que vous passez vos journées entières à travailler au village. Vous vous surmenez, vous allez finir par tomber malade. . .

Sa voix prononce ces mots avec une impassibilité totale, mais je lis l'inquiétude dans ses yeux violets. Je le rassure donc avec un sourire :

- Je suis en pleine santé ! Je n'ai aucune raison de tomber malade.

Il pousse un soupir de résignation, puis lâche :

- Bien, mais Robert vous accompagnera.

Je hoche la tête pour affirmer mon accord, puis quitte la salle à manger pour descendre dans la cour, suivie par le rouquin. Nous nous rendons dans l'écurie afin de seller nos montures, puis grimpons sur leurs dos avant de les lancer au trot. Robin arrive dans la cour juste à temps pour nous faire un signe de la main en nous lançant :

- Bonne journée !

Nous nous retournons pour lui rendre son geste, puis il referme les portes du château.

Nous entrons dans la forêt et poursuivons notre avancée entre les arbres dont les feuilles commencent à changer de couleur, virant vers le jaune, l'orange et le rouge. Bien que le temps se rafraichisse de jour en jour, il fait encore bon, raison pour laquelle je n'ai pas pris de cape ou de manteau, me contentant de ma simple robe bleu sombre, ornée de dentelles au niveau du col, des manches et du bas du vêtement.

Une fois arrivés au village, nous posons pied à terre et je demande aux villageois qui viennent nous accueillir :

- Bonjour ! Comment allez-vous ?

- Bien mieux depuis que madame est à nos côtés, me répond une femme.

- Vous m'en voyez ravie !

- Les hommes valides sont déjà partis s'occuper des champs, m'annonce un vieil homme.

- Comment vont ceux que la faim a affaiblis ?

- Ils vont un peu mieux grâce à la nourriture que vous leur avez procurée, mais. . .

La villageoise s'interrompt. Elle semble hésiter à poursuivre sa phrase. Je l'encourage :

- Qu'y a-t-il ? Dites-moi tout.

- Il y en a qui ne souffrent pas que de la faim, mais aussi de maladie. Pour ceux-là aussi, la nourriture leur a fait du bien, mais elle ne les a pas guéris.

- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt ?

- Vous faites déjà tant pour nous ! Nous n'osions pas nous plaindre et exiger plus. . .

- Je suis là pour vous aider, lui dis-je d'une voix douce en prenant ses mains dans les miennes, alors il ne plus jamais hésiter à me parler de vos soucis, aussi infimes soient-ils, d'accord ?

La jeune femme hoche timidement la tête. Je la gratifie d'un sourire, puis reprends :

- Je veux voir ces malades. Nous irons jeter un oeil à l'avancement des travaux des champs plus tard.

- Oui, madame, dit-elle en tournant les talons pour me conduire jusqu'à une petite maison en bois se trouvant juste à côté de l'église.

Nous y entrons et je découvre avec peine plusieurs paillasses sur lesquelles reposent des hommes, des femmes et même quelques enfants. Un prêtre est à leur chevet. Il change les serviettes humides qui recouvrent leurs fronts et fait boire à certains quelques potions à base de plantes sensés les soigner, mais ce n'est visiblement pas un grand succès. . .

- C'est ici que nous emmenons nos malades, m'explique la villageoise. Les prêtres ayant quelques connaissances médecinales, nous les leur confions pour qu'ils les soignent jusqu'à leur guérison, mais aucun de ceux-là ne s'est rétabli, hélas. . .

Je fais quelques pas vers les malades, mais Robert vient m'en empêcher en plaçant son bras devant moi :

- Ils sont peut-être contagieux. Il ne faut pas prendre ce risque.

- Il faudrait étendre des draps entre chaque paillasse afin d'éviter la contagion entre les malades, déclaré-je. Si c'est la faim et la fatigue qui les ont mis dans cet état, il faut avant tout leur fournir du repos et une alimentation saine, équilibrée et consistante. Ils devraient déjà se sentir mieux au bout de quelques jours, mais ils ont impérativement besoin d'un vrai médecin !

- Ils ne se trouvent qu'en ville, là où il reste encore des gens qui ont les moyens de les payer, m'informe Robert.

- Nous pouvons payer un médecin pour ces gens.

- Et avec quel argent ? Nos ressources sont limitées depuis que le duc n'impose plus d'impôt aux habitants de Westforest.

- Si l'argent que nous avons ne suffit pas, je venderai mes robes et mes bijoux pour nous en procurer.

- Oh, madame, vous n'êtes pas obligée de. . . commence la villageoise.

- Je n'ai pas besoin de ces objets, l'interrompé-je en posant ma main sur son épaule, mais ces malades, en revanche, ont besoin d'un médecin.

Les yeux de la jeune femme s'embuent de larmes et elle cache son visage dans ses mains pour sangloter :

- Merci ! Merci mille fois !

- Allons, il ne faut pas pleurer devant ces personnes, dis-je en l'emmenant en dehors du bâtiment. Ils sont déjà suffisamment malheureux comme cela.

Elle hoche la tête et essuie ses larmes du revers de sa manche. Je me dirige ensuite vers les champs en déclarant :

- Bon, allons voir comment se débrouillent nos paysans. . .

*

- La nuit va bientôt tomber, me fait remarquer Robert. Il serait temps de rentrer.

- Oui, tu as raison, ademetté-je en regardant le ciel orangé. Nous avons bien travaillé, aujourd'hui encore. Je reviendrai demain, ajouté-je à l'intention des villageois.

- Nous vous attendrons ! nous répondent-ils avec de grands sourires.

Je le leur rends, puis nous nous dirigeons vers nos chevaux et montons en selle, avant de les lancer au trot.

Nous ne sommes partis que depuis quelques minutes lorsque je sens une goutte d'eau s'écraser sur mon nez. Je reporte mon attention sur le ciel et constate :

- Il commence à pleuvoir. . .

- Oui, le ciel s'est couvert. Nous ferions mieux de nous dépêcher.

Nous lançons nos bêtes au galop, mais la pluie reste la plus rapide : elle ne tarde pas à se déchaîner, nous trempant en quelques secondes seulement. Le vent se rafraichit et souffle de plus en plus fort, me donnant des frissons, mais je ne peux pas entourer mon corps de mes bras pour me réchauffer, mes mains étant occupées à tenir les rênes.

Nous sommes à mi-chemin entre le village et le château lorsque je remarque une silhouette qui s'approche de nous à grande vitesse. C'est celle d'un cavalier. Mon compagnon est le premier à le reconnaitre :

- Monsieur le duc !

Nous arrêtons tous nos montures pour ne pas nous rentrer dedans et je demande à mon époux :

- Que faites-vous là ? Je croyais qu'un tas de paperasse vous retenait dans votre bureau. . .

- C'était le cas, mais en voyant cette violente pluie, j'ai préféré abandonner mes papiers pour venir vous apporter ceci, dit-il en me tendant une cape. Nous sommes en automne. Le temps est imprévisible en cette saison, il faut prendre ses précautions.

Je la prends et la pose sur mes épaules, tandis que Mathieu donne une autre cape à son garde du corps, puis rabats le capuchon sur mon visage en déclarant :

- Je vous remercie pour cette délicate attention, mais il ne fallait pas vous donner cette peine. Ce n'est qu'un peu de pluie. . .

Je suis interrompue par mon propre éternuement. Mon mari descend aussitôt de son cheval et m'attrape par la taille pour me prendre dans ses bras. Ils sont d'une agréable chaleur, contrairement à celle que je sens monter en moi. Il pose sa main sur mon front et déclare en fronçant les sourcils :

- Vous avez de la fièvre. Je vous avais prévenue que votre surmenage vous ferait tomber malade. . .

- En parlant de malades, il faut absolument trouver un médecin pour ceux du village. . .

- Chut. . . m'interrompt-il en posant son index sur mes lèvres. Je ne veux plus vous entendre parler de travail jusqu'à votre guérison.

Sur ces mots, il me porte pour me faire monter sur son propre cheval, avant de s'installer juste derrière moi. Il passe ses bras autour de moi pour attraper les rênes et ordonne à Robert :

- Occupe-toi de son cheval.

Ce dernier acquiesce. Nous nous remettons ensuite en route. Je ferme les yeux pour savourer la chaleur émanant du corps contre lequel je suis appuyée et me laisse bercer par les mouvements de l'animal.

J'ai soudainement tant sommeil ! Je me laisse emporter par ce dernier sans aucune résistance.

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