L'oeil du diable

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Mes yeux s'écarquillent de peur lorsque je réalise qu'ils voient ce que je m'efforce de cacher depuis tout petit, d'aussi loin que je m'en souvienne. Leurs regards surpris et perplexes ne laissent aucun doute : ils me chasseront aussitôt qu'ils se seront remis de leur stupeur, comme tous ceux qui ont eu l'horreur de découvrir mon oeil maudit. . .

- Qu'est-ce que c'est que ça ? me demande Robin, qui semble encore avoir du mal à en croire ses yeux.

- C'est. . . balbutié-je en recouvrant mon oeil d'une partie de mes cheveux bruns.

Je ne sais quoi dire d'autre. Comment lui expliquer ce que moi-même je ne comprends pas ? J'ignore d'où me vient cet oeil mystérieux, terrifiant pour les autres et désespérant pour moi. Est-ce que mes parents en possédaient aussi un ? Je ne l'ai jamais su, puisque je ne les ai jamais connus. Je ne suis l'enfant de personne. J'ai d'abord été adopté par la rue, puis par le groupe de criminels qui m'a sauvé la vie et, enfin, par cette drôle de famille, que je vais sans doute perdre dans quelques secondes.

C'est alors que je sens les doigts fins et délicats de Calista se poser sur mon visage pour en écarter les cheveux qui couvrent mon oeil gauche, en me disant d'une voix douce :

- Tu ne dois pas le cacher. Tu ne dois pas en avoir honte. Si tu veux que les autres cessent de craindre ta différence et l'acceptent, tu dois commencer par l'accepter toi-même.

- Cet oeil est mon porte-malheur, rétorqué-je. Ceux qui l'ont vu l'ont surnommé l'oeil du diable, car il est du même rouge que les flammes de l'Enfer.

- Il est du même rouge que ton sang, rectifie la jeune femme.

- Hein ?

- Cet oeil n'est pas une malédiction, mais un rare cas d'albinisme. C'est-à-dire que le pigment qui devait colorer ton oeil est absent, laissant ainsi transparaître les tuyaux sanguins parcourant ton globe oculaire, donnant alors l'impression à quiconque le regarde qu'il est rouge. En réalité, ton oeil gauche n'est d'aucune couleur. Ton cas est encore plus rare, car cet albinisme ne touchant qu'un seul de tes yeux, il te rend hétérochrome. Tu n'es pas maudit, Fidel. Tu es juste unique et tu dois en être fier.

J'observe le Premier médecin du duché avec des yeux brillants de larmes. Elle est pour moi une nymphe toute droit sortie des bois pour m'annoncer que ma différence n'est pas une malédiction du diable, mais un don de Diane.

Je pose ma main sur la sienne, qui est restée sur mon visage, et lui souffle d'une voix tremblante d'émotion :

- Merci, Calista. Merci. . .

- Je t'en prie.

- Je suis d'accord avec ma future belle-soeur, déclare le jeune archer. Tu ne devrais pas cacher cet oeil, parce que ça te donne franchement la classe.

- C'est vrai qu'il a un certain charme, confirme la duchesse de Westforest.

- Oui, par contre, frangin, tu m'expliques pourquoi est-ce que tu as appelé Calista "ma future belle-soeur" ?

- Ne me dis pas que tu n'as pas l'intention de l'épouser, je ne te croirais pas.

- Nous venons tout juste de nous avouer nos sentiments, laisse-nous un peu de temps !

- Tu ne m'as pas contredit. . .

- Oh, tu as toujours le dernier mot ! lâche Robert d'une voix contrariée, mais le sourire qui se dessine sur son visage prouve que les taquineries de son jumeau l'amusent.

- Bon, trêve de bavardages ! nous ordonne Aurélie en frappant dans ses mains. Mettons-nous à table avant que le repas ne soit totalement froid.

Nous prenons tous place sur les deux bancs et les deux chaises qui meublent la salle à manger. Chacun se nourrit avec le sourire et le coeur léger. Je n'avais jamais vu, ni ressenti autant de bonheur. Je suis reconnaissant à tous les habitants de ce château, qui ont su me pardonner et m'accueillir parmi eux à bras ouverts, en me traîtant comme leur égal, mais plus spécialement à Calista, dont les paroles ont su changer une peur et un certain dégoût de moi-même, causés par mon étrange oeil rouge, en une assurance et une fierté que je ne me connaissais pas. C'est alors que je me rends compte que je n'ai même pas songé à recouvrir mon oeil gauche, alors que j'en avais pris l'habitude jusque là. Je me jure aussitôt de ne plus jamais chercher à le cacher et de ne plus baisser les yeux et fuir face au rejet des autres.

"Tu n'es pas maudit, Fidel. Tu es juste unique et tu dois en être fier."

Je le suis et je le resterai, j'en fais le serment !

Nous finissons notre petit déjeuner et chacun s'en va pour vaquer à ses occupations.

Je suis les jumeaux jusqu'au chemin de ronde, que nous avons l'habitude de parcourir tous les matins pour observer les environs et nous assurer qu'aucun danger imminent ne nous menace. Les jours précédents, nous n'apercevions que des arbres et de la neige à perte de vue, mais cette fois-ci, je remarque un cavalier qui sort de la forêt pour se diriger à vive allure vers notre porte. Je le signale à mes compagnons :

- Quelqu'un approche !

Ils regardent aussitôt dans la direction indiquée par mon doigt et remarquent à leur tour l'homme et sa monture. Robert lui crie du haut du mur :

- Qui êtes-vous ? Et que voulez-vous ?

- Je suis un messager du roi Éric ! J'ai une lettre de sa part pour le duc de Westforest !

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