Chapitre X : le purgatoire
Une fois rentré chez moi, et après avoir pesté auprès de ma mère pour le vol indigne de mes points de réduction, je suis monté dans ma chambre pour travailler. En m’asseyant derrière mon bureau, je remarque qu’il n’est que 15h20. Je me dis qu’il est peut-être temps de m’occuper du dossier Madeleine, ce qui veut dire m’excuser pour le lapin. Après un minutieux travail de choix des mots, j’envoie mon message dans lequel je lui propose, si elle veut bien, d’aller à la séance de 17 h au cinéma. Elle voit aussitôt le message, mais ne répond pas. Je décide de la relancer après une dizaine de minutes sans réponse, message qu’elle voit, mais également sans réponse. Ce serait mentir de dire qu'à ce moment un léger énervement montait en moi, mais je respire un bon coup et lui envoie un message pour savoir si elle m’en veut tout simplement. Dans la seconde qui suit, je reçois une notification : “non.” Même si j’ai bien envie de croire en ce non, je comprends bien que c’est certainement un de ces non qui veulent dire oui. S'ensuit alors un long message d'excuses de ma part, dans lequel ma proposition de l’inviter au cinéma est réitérée. Mais une fois encore, un silence, qui cette fois-ci ne durera que quelques minutes, après lesquelles je reçois un beau petit message. Message qui me fait bien comprendre que de simples excuses ne suffiront pas, qu’elle est déjà allée au cinéma avec un pote, et que si je voulais y aller je pouvais le faire avec Henri. Même si l’idée de le faire m’est passée par la tête histoire de taquiner un peu, je me suis dit que ce n’était peut-être pas le bon moment pour cela. Cependant, sa réaction me fait me demander si elle n’est peut-être pas un peu jalouse d’Henri, et par peut-être j’entends très certainement. En relisant le message, un détail me fait tiquer : “un pote”, même si elle a le droit d’avoir des amis de même sexe, je ne suis pas de ces hommes toxiques, je dois bien avouer que j’ai en moi une pointe de jalousie. Après son dernier message, je n’ai pas cherché à pousser plus loin, me disant qu’il valait mieux la laisser redescendre un peu. J’ai expliqué la situation sur le groupe chat avec les autres, décision peu stratégique au vu de l’avalanche de “Je te l’avais bien dit” et de taquineries de la part d’Amine, Yoachim et Thibaut. Il m’a seulement suffi de leur rappeler leur éternel célibat pour les calmer un peu, même si ce coup en bas de la ceinture est un peu mesquin de ma part.
Le lendemain, j’ai profité du fait de commencer les cours à 9h pour passer chez le fleuriste et prendre un petit quelque chose afin de me faire pardonner auprès de Madeleine, même si je pense que ça ne suffira pas. Ça a été assez marrant de voir tout le monde demander si j’avais fait quelque chose à me faire pardonner juste parce que j’avais une rose, même si là c’était le cas. Henri s’en est d’ailleurs inquiété en cours et s’est excusé d’avoir causé du trouble dans mon couple naissant. Je l’ai rassuré avec une tape dans le dos, et j’ai rejoint Madeleine dans la cour à la sonnerie. Juste avant d’arriver à son niveau, je cache ma rose derrière moi et lui fais une petite tape sur l’épaule pour qu’elle se retourne.
— Oh Marius, c’est toi, t’es allé au cinéma avec Henri hier du coup ? dit-elle avec un ton passif-agressif effrayant
— Non voyons, mais j’ai compris que ça t'avait affectée ce que j’ai fait hier, donc je suis passé te prendre un petit quelque chose avant de venir au lycée ce matin.
Je sors alors la rose de derrière mon dos et la lui tends avant de reprendre :
— Je sais que c’est pas grand-chose, mais je te promets que ce week-end on ira faire un truc ensemble tous les deux histoire de me faire pardonner.
— Tu t’es souvenu que le jaune était ma couleur préférée, dit-elle en la prenant, j’avais prévu d’être vexée encore quelques jours, mais je pense que je vais peut-être arrêter plus tôt, sourira-t-elle.
— Oui, tu me l’avais dit, et le langage des fleurs dit aussi que le jaune est la couleur du pardon donc.
— C’est le moment où t’étais plus censé m’embrasser que de parler du langage des fleurs.
— Excuse-moi de montrer que je suis un homme de culture, rigolais-je avant de l’embrasser.
Bien sûr, cette petite action a provoqué chez ses amies, aussi présentes, des “mooh” et attiré le regard de certains. Après cet instant émotion, j’ai passé le reste de la récréation avec elle, notamment pour prévoir cette sortie du week-end. Le reste de la journée s’est passé dans la langueur monotone caractéristique des cours scientifiques du mercredi après-midi de 13h à 17h.
Le soir, j’ai profité du dîner pour demander à ma mère si je pouvais exceptionnellement ne pas aller à mes cours particuliers du samedi après-midi pour sortir. Dans un premier temps, j’ai fait face à un refus quasiment catégorique de la part de celle-ci, accompagné d’hochements de tête de mon père, ayant le droit à la même occasion à un discours tout fait sur l’importance du travail, surtout l’année du bac. J’ai alors décidé d’utiliser un atout de dernier recours : “c’est pour sortir avec Madeleine”. À ce moment son expression changea légèrement, et mon père souffla l’idée que je pourrais éventuellement prendre de l’avance sur mes devoirs avant samedi. Proposition que ma mère accepte sous réserve que mon professeur particulier approuve le travail rendu. En bref, je viens de voir mon temps de travail du soir augmenter de deux heures par jour pour quatre heures de sortie, c’est sûrement ce qu’on appelle un mal pour un bien.
Après avoir sacrifié deux heures de temps libre tous les soirs pendant trois jours, et passé mon samedi matin à jouer aux échecs en attendant le retour de mon aimable professeur particulier — lequel tient littéralement entre mes mains le sort de mon samedi après-midi —, j’ai été rejoint par mon père dans ma chambre en fin de matinée :
— Marius, je peux entrer ? dit-il en toquant.
— Oui, vas-y.
— Oh tu joues aux échecs, à quand le titre de grand maître ? rigola-t-il
— J’en suis loin, dis-je en souriant, je plafonne à 1600-1700 elo.
— T’as réussi à avoir une bonne place aux championnats de France, et c’est déjà très bien !
— Oui, top 30 c’est bien. Tu voulais me dire quelque chose ?
— Oui, je viens d’avoir ton professeur particulier, il a dit que le travail était globalement réussi. Juste... il trouve que certaines choses ont été faites un peu rapidement et légèrement “bâclées”, dit-il en mimant les guillemets avec ses doigts, et donc ta mère a exprimé un avis plutôt négatif sur ta sortie de cet après-midi.
— Oh… Bien je vais envoyer un message à Madeleine pour lui dire qu’on annule.
— Minute papillon, heureusement, ton vieux père a su convaincre ta chère mère que tu avais quand même fait un bel effort de travail tous les soirs pour sortir, donc tu peux sortir.
— T’es vraiment le meilleur, dis-je en le prenant dans mes bras.
— Je sais, dit-il en rigolant, par contre tu vas devoir refaire le travail que tu as mal fait, et aussi, si ça devient sérieux avec elle, il faudra nous la présenter.
— Oui, chaque chose en son temps hein, je vois bien maman déjà planifier un mariage.
— Tu n’es pas si loin de la réalité, allez je ne te dérange pas plus, on mange dans 30 minutes.
— Ok, merci encore !
Après cette brève conversation, j’ai rapidement fini ma partie et j’ai prévenu Madeleine que tout était bon pour notre petite sortie. Une fois le fameux hachis parmentier de mon père à midi, et la vaisselle faite, je suis allé me préparer : assez bien pour être présentable et faire bonne impression auprès de madame, mais pas assez pour qualifier ça d’être sur mon 31, peut-être qu’on pourrait dire être sur mon 15,5.
J'arrive à la Place de Loire où j'ai donné rendez-vous à Madeleine pour 14h30, elle arrive peu de temps après. Une fois à mon niveau, elle me serre dans mes bras et m’embrasse, je la prends par la main et lui propose d’y aller. À l’intérieur du cinéma, nous avons un peu débattu du film que nous allions voir : pour elle, hors de question d’aller voir Alien Romulus, et L’Amour ouf, film qu’elle aurait aimé voir, ne sort que dans deux semaines. Nous avons donc décidé d’aller voir Le Joker 2, un bon compromis : y’a un peu d’histoire d’amour et de l’action. Après avoir acheté nos places, je me tourne vers Madeleine pour savoir si elle veut manger quelque chose, ce à quoi elle me répond par l’affirmative. Je lui propose alors qu’elle paye un popcorn duo et les deux boissons, ce qui arriverait à un peu moins que le prix des deux places que je viens de prendre. Mais ma proposition ne l'a apparemment pas enchantée, vu la façon dont elle m’a regardé. J’ai alors faussement rigolé pour lui faire croire à une blague, ce qui je pense a marché vu qu’elle a rigolé en me disant qu’elle avait eu peur que je lui demande vraiment. — “Je vais finir sur la paille si je continue” me dit ma petite voix intérieure. — Les places et les provisions, qui dureront certainement au moins jusqu'à la fin du générique, prises, nous nous rendons dans la salle qui est, comme je pouvais m’y attendre avec un film sorti trois jours plus tôt : pleine. J’ouvre alors difficilement le passage jusqu'à nos places, tout au fond de la salle et au centre de la rangée, qui sont pour moi sans aucun débat possible les meilleures places.
— Pas folles les places, me dit Madeleine.
— Ah bon ? Il ne restait que celles-ci côte à côte, tout au fond, brodais-je.
— Oh d’accord, ce n’est pas grave, l’important c’est le moment passé ensemble, souria-t-elle.
— Je suis bien d’accord, dis-je en lui prenant la main.
C’est à peu près au même moment que la salle fut plongée dans le noir et que le film commença. Le film en lui-même était intéressant, même si certaines scènes étaient difficiles à comprendre. Cela est peut-être aussi dû au fait qu'à certains moments je n’étais pas forcément très concentré, entre Madeleine qui s’appuyait sur moi, et notre petit jeu de pied. La lumière s’est rallumée et nous avons attendu que les gens partent pour nous lever et sortir.
— T’as aimé le film ? demandais-je.
— Oui, j’en attendais pas grand-chose, mais c’était bien. On fait quoi maintenant ?
— Suis-moi, j’ai tout prévu, dis-je en la prenant par la main.
Nous avons pris le bus jusqu'à la place d’Arc, et sommes rentrés dans le centre commercial.
— On fait quoi ici ? demanda-t-elle.
— Un peu de shopping je suppose, dis-je en souriant.
Nous avons alors fait le tour des magasins, enfin, j’ai surtout attendu à côté des cabines d’essayage. Même si je me suis trouvé une belle petite chemisette en lin rouge ocre, j’étais surtout là pour faire plaisir à Madeleine. Au moment où elle m’a demandé si elle pouvait prendre un haut à 20€, je me suis dit que ça serait marrant de dire que cet argent était parti en popcorn, mais de toute évidence, ça n’a fait rire que moi. Après quelques magasins, elle ressort tout de même avec deux-trois sacs, quelques-uns en plus et on part sur du Pretty Woman. Alors que nous nous dirigeons vers la sortie, je la vois s'arrêter devant l’Histoire d’or, j’en ai entendu ma carte de crédit pousser un râle de désespoir. Après un bref tour dans la boutique, un collier a l’air d’attirer son attention. Je m’approche d’elle pour mettre mon bras au niveau de sa taille et lui demande :
— C’est quand ton anniversaire déjà ?
— 22 décembre, pourquoi ?
— Pour savoir, dis-je en souriant. On y va ?
Sur ces paroles, nous sommes sortis du centre et dirigés vers l’arrêt de bus. C’est alors que j’ai senti une main se poser sur mon épaule. Je me suis aussitôt retourné pour voir de quoi, ou plutôt de qui, il s'agissait. Je me retrouve alors nez à nez avec Mamie Paulette. Elle rigole un peu en s’excusant de m’avoir fait peur, et se tourne vers Madeleine, me demande de lui présenter mon amie tout en me faisant un clin d'œil. Les présentations faites, elle nous propose de nous ramener chez nous. Sur le long trajet jusqu'à St-Jean, où habite Madeleine, l'essentiel de la conversation se fait entre elle et ma grand-mère. Une fois devant chez elle, je descends de la voiture pour lui dire au revoir, mais aussi que je pense qu’elle a fait bonne impression auprès de ma grand-mère. Elle rigole et m’embrasse une dernière fois avant de partir. Je remonte dans la voiture, à l’avant cette fois-ci, et la porte est à peine fermée que ma grand-mère enlève ses lunettes de soleil, me regarde droit dans les yeux et me dit :
— Je ne l’aime pas du tout.
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