Chapitre XI : le doute

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Je regarde ma grand-mère, choqué par la bouche tombante de ce qu’elle vient de me dire. Comment ça “je ne l’aime pas du tout” ? Je comprends qu’on puisse ne pas aimer quelqu’un, mais là, Madeleine a été parfaite tout le long : polie, gentille, adorable… bref, un sans-faute.

— Comment ça, tu ne l’aimes pas ?!

— Intuition. Elle est fausse.

— Mais tu ne la connais pas !

— Et toi ? Ça fait combien de temps que tu la connais ?

— Bah, euh… 2 semaines.

— Et tu crois la connaître ? Ton grand-père et moi, on s'est fréquentés plusieurs mois avant de nous mettre ensemble. Toi, ça fait deux semaines que tu la connais, tu sors déjà avec et tu te plies en quatre pour elle. Encore un truc de cathos coincés de ta mère, ça. Elle est au courant d’ailleurs ?

— Nan, enfin, elle sait qu’elle existe et qu’on est sortis aujourd’hui.

— Ton mariage est certainement déjà prévu, mon pauvre. Tu devrais prendre le temps avant de… ET LA PRIORITÉ, s’insurgea-t-elle au milieu de sa propre phrase face à un autre conducteur lui ayant grillé une priorité de toute évidence.

— Oui, je vois ce que tu veux dire, mais je l’aime, je crois.

— Aimer, aimer… vous ne savez plus ce que ça veut dire, les jeunes. Tu as des sentiments pour elle, ça oui, je l’ai vu, mais de là à ce que ce soit de l’amour, pouffa-t-elle.

— Je ne sais pas, soupirai-je.

— Ne te fais pas de bile non plus, dit-elle en frottant sa main dans mes cheveux, prends juste le temps de savoir ce que tu veux faire avec elle, et ne te laisse pas faire. Je sens qu’elle peut être une sacrée peste si elle veut.

— D’accord mamie, souriais-je, et oui, c’est vrai qu’elle peut parfois faire peur.

Nous avons continué à parler du quotidien, de mes notes au lycée. Je lui ai raconté mes péripéties électorales avec Henri, et elle, de l’homme qu’elle fréquente dans son “club de vieux”, comme elle dit. Nous sommes arrivés chez moi après une dizaine de minutes de voiture. Juste avant de partir, elle m’a répété de faire le point sur ce que je veux avec Madeleine avant de lui donner le monde. Je lui ai fait un sourire, l’ai embrassée sur la joue et suis parti. Une fois rentré, j’ai à peine eu le temps de mettre un pied dans le couloir que ma mère se lança dans une série de questions en quête de savoir comment s'était passée ma petite sortie. Mamie Paulette avait raison, elle veut me marier. Je lui réponds alors que ça s’est bien passé : le film, le shopping, mais que je me sens un peu malade, sûrement le froid d’octobre qui arrive. Malheureusement pour moi, celle-ci voit clair dans mon jeu et me dit que j’irai à la messe le lendemain. J’ai passé le reste de la soirée à rattraper le travail que mon prof particulier a jugé mal fait. Sans me vanter, je pense qu’il est jaloux de mon talent.

Le lendemain, alors que je suis en train de sortir de la cathédrale, je suis rejoint par Henri qui vient me demander si mon rendez-vous de la veille avec Madeleine s’est bien passé. Je lui réponds par l’affirmative, ce qui le fait sourire avant de me dire qu’il est heureux que ça se soit bien passé et qu’il avait peur d’avoir gâché ma relation. Suite à ce bref échange, je rejoins mes parents et nous rentrons pour le saint dîner dominical.

Le lundi matin, lors de la récréation, j’ai rejoint Madeleine dans la cour. Elle était en train de débriefer notre sortie de samedi à sa meute de copines. Je suis arrivé par derrière, l’ai prise à la taille puis l’ai embrassée sur la tête. J’ai rapidement participé à la conversation avant que la sonnerie ne signe la fin de cette si courte pause. Avant de s’en aller, Madeleine me donna un baiser chaleureux, mais les paroles de mamie Paulette tournaient en boucle dans ma tête, et ce baiser, bien que rempli d’envie, ne provoqua rien de particulier en moi. Je rejoins ma classe pour deux magnifiques heures d’EPS. Alors que nous étions en train de nous échauffer au sol avec Élisa, j’étais plongé dans mes pensées à revoir en boucle ce baiser et me souvenir de la discussion avec ma grand-mère. J’ai été sorti de celles-ci par Élisa :

— Tu as l’air préoccupé par quelque chose, Marius.

— C’est compliqué, soupirai-je.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

— Je doute…

— C’est profond, ce que tu me dis là. De quoi tu doutes ?

— De mes sentiments pour Madeleine.

— Oh… je vois.

Nous avons continué de parler de ça le reste de l’échauffement. Je lui ai raconté la conversation, le baiser. Elle est allée dans le sens de ma grand-mère en me disant qu’en effet, c’était peut-être rapide, mais qu’une bonne conversation avec la principale concernée pourrait peut-être améliorer les choses. Tout le long de la conversation, j’ai pu voir Henri nous écouter de loin, faisant mine d’être concentré à fond dans ses échauffements. Le reste du cours ne nous a pas permis de continuer notre conversation. Il faut dire que c’est assez compliqué de papoter quand on fait du demi-fond. Le reste de la journée s’est passé dans le plus grand des calmes. J’ai profité de la pause méridienne pour envoyer un message à Madeleine pour lui demander de nous voir à la fin des cours afin de parler de quelque chose.

À la fin du cours d’anglais, Mme Maurice nous demande de rester, Henri et moi. Elle a commencé à nous dire qu’elle avait l’impression que ça s’était arrangé entre nous depuis la dernière fois, et continua sur les élections du CVL qui arrivaient en demandant qui était finalement délégué entre nous deux. Henri, sans la moindre hésitation, prononça mon nom. Elle me regarda alors et me dit qu’étant donné que je n’ai pas été élu à proprement parler, ça serait une bonne idée qu’Henri soit au moins mon suppléant. J’ai répondu que j’aurais bien voulu, mais que depuis deux ans, c’est Élisa qui s’occupe de cette mission, tout cela en la désignant du doigt : elle nous attendait dans l’encadrement de la porte. Mme Maurice et Henri se sont tournés vers elle, et celle-ci affirma tout de suite que ça ne la dérangeait absolument pas de ne pas le faire. Mme Maurice sourit et s’exclama que l’affaire était réglée. Henri et moi sommes sortis et avons rejoint Élisa.

— C’est quel genre de trahison ça, après ces deux années de bonheur, lui dis-je.

— Tu ne peux pas te passer de moi à ce point ? souria-t-elle.

— Non, ce n’est pas ça, juste que j’aime bien travailler avec toi sur ces projets et tout. Non pas que je n’aie pas envie de le faire avec toi non plus, finis-je en me tournant vers Henri qui acquiesça.

— Je comprends, mais j’en avais un peu marre : toujours les mêmes conseils, les mêmes projets, et puis je n’ai plus trop le temps.

— D’accord. Bon, eh bien il semble que ça va être entre nous deux, dis-je à Henri en lui tapant sur l’épaule.

Nous sommes sortis du lycée et avons été rejoints par Madeleine qui m'attendait devant celui-ci. Je lui ai alors dit pour ma future candidature pour le CVL avec Henri. Elle me fit un sourire et demanda si c’était une idée de celui-ci tout en le regardant. Il changea rapidement d’expression, passant d’un sourire à visage blême, et expliqua que c’était la volonté de notre prof principale, ce qu’Élisa et moi confirmons. Nous nous quittons rapidement avec les autres, Madeleine et moi devant parler. Je l’emmène dans le parc en face du lycée et nous nous asseyons sur un banc. Je lui explique alors les mots de ma grand-mère, le baiser d’un peu plus tôt, mes doutes sur ce que je ressens vraiment pour elle. Non pas que je ne ressente rien : j’aime passer du temps avec elle, lui faire plaisir… mais d’un autre côté, je ne ressens plus ce que j’ai pu ressentir lors de notre premier baiser dans ce même parc. J’ai parlé comme ça durant un peu plus de cinq minutes, face au visage neutre de Madeleine. Une fois fini, elle me regarda fixement dans les yeux pendant une dizaine de secondes avant de parler :

— T’es en train de me plaquer, Marius ?

— Non, non, pas du tout, m’exclamai-je.

— Ah. J’ai eu peur que ce soit ça, durant un instant.

— Non. C’est bien ce que je t’ai dit : c’est que depuis que j’ai parlé avec ma grand-mère, je doute. Mais quand on s’est vus plus tôt ce samedi, j’ai apprécié tous ces moments avec toi. Mais depuis, je ne sais pas, quand j’y repense, c’est bizarre.

— Bien. C’est normal de douter, dit-elle calmement. Même les apôtres, à certains moments, ont douté du Christ, et Pierre l’a même renié. Et pourtant, après, ils l’ont aimé. Peut-être que ta grand-mère a un peu raison, dans le sens où c’est allé un peu vite. On pourrait continuer plus doucement, revenir un peu en arrière, sourit-elle.

— Oui, pourquoi pas. Je pense que ça aidera, et ça prouvera aussi que ma grand-mère avait tort sur ce coup-là.

— J’ai en tête une petite phrase qui résume bien comment on devrait faire, je pense : En toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour.

— Éphésiens 4:2, chuchotai-je.

— C’est ça. J’en connais un qui a révisé, sourit-elle avant de se pencher pour m’embrasser.

J’ai d’abord cru que ce baiser n’avait rien de plus que celui de ce matin, mais après quelques secondes à l’appuyer un peu plus, j’ai eu l’impression de sentir une petite étincelle sur le bord des lèvres. Nous sommes restés sur ce banc une petite heure, collés l’un à l’autre à parler. Une fois rentré, je suis allé dans le salon où ma mère regardait une émission. Je me suis assis dans le fauteuil face à elle et lui ai dit une chose que je n’aurais jamais cru lui dire :

— Maman, j'aimerais te présenter Madeleine.

L'apparition d’un grand sourire sur son visage fut instantanée, mais elle fit mine de rien et se contenta d’un :

— Avec plaisir.

Pour le coup, sa réaction était loin de ce que je me serais imaginé, m’attendant plus à une avalanche de questions. À vrai dire, je ne m’attendais à grand-chose, car je me suis surpris moi-même à lui dire ça. Je ne sais pas tellement ce qu’il m’a pris, ça m’a pris soudainement. Moi, qui une heure avant parlais de faire les choses plus doucement… Comment je vais expliquer ça à Madeleine, surtout que maintenant je sais que je ne peux plus revenir en arrière. Je suis monté dans ma chambre pour envoyer un message à la principale concernée pour lui annoncer la chose. Elle aussi l’a très bien pris, me disant que si c’est ce que je voulais, elle le voulait aussi. Le dîner s’est étrangement bien passé aussi, aucune remarque de ma mère sur Madeleine, mis à part qu’elle l’avait dit à mon père, qui fut aussi ravi qu’elle.

La vaisselle faite, je suis remonté dans ma chambre. J’ai passé la soirée assis sur mon lit, avec Cardinale sur les genoux, à me demander pourquoi j’avais fait ça. Même si j’ai senti cette petite étincelle, de là à vouloir la présenter à la matriarche… Je me demande si je n’ai pas fait ça pour me forcer. Maintenant que c’est dit, je ne peux plus revenir en arrière. J’en viens à me demander si le fait de n’avoir jamais eu de relation de ce type ne me pousse pas à tout faire pour qu’elle réussisse. Est-ce que je n’essaie pas juste de cocher cette case, pour faire sourire aux repas de famille ? Pour faire plaisir, tout simplement. Et puis, plus je repense à ce que Madeleine m’a dit, plus je doute. Elle a vraiment osé faire une analogie où je suis saint Pierre… et elle, Jésus ? Après plusieurs heures à me torturer l’esprit, je suis revenu au point de départ, voire même plus loin, en me demandant une seule chose : Est-ce que je ressens vraiment quelque chose pour elle ?

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