Chapitre XII : Le premier repas

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Le lendemain matin, je me suis réveillé difficilement, il faut dire que la nuit avait été courte. J’ai pensé, encore et encore. Est-ce que je ressens vraiment quelque chose pour elle ? Oui, mais quoi ? Certes, sa comparaison douteuse à Jésus fait sourire, mais elle m’a rassuré comme elle pouvait. Même comme ça, je ne sais vraiment pas.
Alors que je m'apprêtais à partir de chez moi, ma mère m’a rejoint dans l’entrée pour me dire qu’elle était heureuse de pouvoir rencontrer Madeleine. Elle enchaîna sur la promesse de ne pas en faire trop quand ça arriverait, et proposa qu’elle vienne manger mercredi soir. Je dois avouer que ses réactions sont beaucoup moins terribles et oppressantes que ce que je m’imaginais. Je lui ai fait un sourire et suis parti en lui disant que je proposerais à Madeleine.
Arrivé au lycée, celle-ci m’attendait devant la grille. Dès qu’elle me vit, un sourire illumina son visage, et elle s’approcha de moi. Une fois à ma hauteur, elle m’embrassa la joue, ce qui me donna la sensation d’être traversé par un petit courant électrique. Je n’ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu’elle commença :

— Tu as l’air fatigué, dit-elle avec une voix légèrement inquiète tout en me passant un doigt sur la joue.

— Ouais, je n’ai pas beaucoup dormi, j’ai pensé à beaucoup de choses, surtout toi, nous, je ne sais pas trop.

— Tu t'inquiètes pour ce dont on a parlé hier ? Je t’ai dit qu’on pouvait revenir en arrière, prendre le temps qu’il faut. Si tu veux reporter ce petit dîner avec ta mère, on peut, mais ça serait dommage pour elle, dit-elle en souriant. Mais on peut.

Ces quelques mots échangés ont provoqué une certaine chaleur dans ma poitrine, son regard, son sourire, tout est sincère. J’ai repris alors avec une voix plus calme :

— Nan, je pense pas qu’il y ait besoin. Je crois que j’ai envie qu’elle te voie comme je peux te voir là. D’ailleurs, elle avait pensé à demain soir.

— Tu dis ça comme si tu voulais me faire fondre. Et ça marche, rigola-t-elle. Demain soir, ça doit être faisable. Allez, viens, on y va, je voudrais pas que tu rates ton premier cours à cause de moi.

— Tu n’as pas cours ?

— Non, je suis venue pour te voir. Je commence à 9h cette semaine, souria-t-elle.

Je l’ai embrassée sur le front, et suis parti en direction de mon rang. Quand je me suis assis à côté d’Henri, il me demanda ce qu’il s’était passé dans la nuit pour qu’un cours de mathématiques me fasse sourire autant. J’ai rigolé, et lui ai juste dit que j’étais content d’être là. Il me regarda, choqué que l’on puisse être heureux d’être en maths, et continua de sortir ses affaires.

L’heure suivante, Élisa me fit la même remarque. Elle me questionna sur mon état ; je lui ai donc parlé de ma petite conversation avec Madeleine hier soir et de ce matin. Elle s’étonna et me dit que je changeais vite d’avis pour quelqu’un qui doutait encore hier. À ce moment-là, j’ai senti mon sourire s’effacer doucement. Je lui ai alors expliqué que oui, j’ai douté, et qu’au fond je doute encore un peu. Mais les réactions sincères de Madeleine la veille et ce matin m’ont fait comprendre que, même si mes sentiments n’étaient peut-être pas aussi développés que je le pensais, j’avais envie d’être avec elle. Elle sembla convaincue, et nous sommes passés à autre chose.

Lors de la pause méridienne, j’ai proposé à Henri de se voir pour travailler ensemble sur notre programme pour l'élection du CVL. Il accepta sans aucune hésitation, mais me rappela que, encore une fois, je devrais l’attendre une heure, le temps de son cours d’allemand. Élisa proposa d’elle-même de me tenir compagnie pendant cette heure, comme la dernière fois.

Nous avons profité de cette heure tous les deux pour parler plus en profondeur de ce que je ressentais. Je lui ai expliqué point par point notre discussion, cette analogie amusante (qui la fit rire également), ma pulsion de vouloir la présenter à ma mère, mon questionnement nocturne, et enfin ce moment léger de ce matin. Elle m’a écouté tout du long, et me dit qu’il est vrai que j’avais l’air particulièrement rayonnant en arrivant en cours. Suite à ça, la conversation a suivi son cours pendant le reste de l’heure jusqu’au retour d’Henri. Une fois celui-ci arrivé, Élisa lui souhaita bonne chance face à la facette “administrateur” qu’il allait découvrir et supporter à partir de maintenant.

— J’aime juste les choses bien faites.

Il rigola en l’écoutant et lui fit la promesse qu’il allait me mater, ou du moins ne pas se laisser faire. Elle lui fit une tape sur l’épaule et partit en me demandant de : “ne pas traumatiser le p’tit”.

J’ai demandé au surveillant du foyer si Henri et moi pouvions aller sur une table dans la cour visible depuis la fenêtre pour travailler au calme sur notre programme, ce qu’il accepta facilement. Ça doit faire partie des avantages des élèves modèles, ou presque. Nous nous installons face à face sur cette table et commençons à travailler.

— Alors capitaine, c’est quoi notre programme ?

— Capitaine, carrément. Je ne sais pas, je pensais reprendre le même que les années d’avant : organisation d’un bal pour les terminales en fin d’année, débloquer de l’argent pour les clubs et tout.

— Hum, ça je pense que tout le monde va le proposer. Il faut que tu changes un peu, tu ne peux pas te reposer sur un bilan, il faut de la nouveauté ! s’exclama-t-il.

— Tu penses à quelque chose en particulier ?

— Une chorale.

— Une chorale ?

— Oui, avec un spectacle de fin d’année et tout, et on pourrait mélanger un peu ça avec le bal peut-être.

— Oui, ça peut être une bonne idée. Tu sais gérer une chorale, par contre ?

— T’inquiète pas pour ça. Avec celle de la cathédrale, j’ai appris plein de petits tips, et on peut toujours demander de l’aide aux professeurs. On a une spécialité musique ici. Et puis tiens, en parlant de musique, on peut faire un truc en commun avec le club de musique. Ou alors…

Pendant qu’il parlait, je n’ai pu m’empêcher de voir des étincelles dans ses yeux. Il a l’air d’être à fond dans ce projet. Je me demande même si je ne regrette pas un peu d’être la tête de liste du binôme. Je suis sorti de mes pensées par Henri qui agite sa main devant mon visage.

— Allô Marius ?

— Oui, excuse-moi, je me suis perdu dans mes pensées.

— Je vois ça, rigola-t-il. Alors t’en penses quoi ?

— Je pense que c’est un projet original qui a toutes les chances de porter notre candidature. Mais il y a marqué qu’on doit proposer au moins cinq trucs. C’était trois avant.

Nous avons continué à chercher des idées qui sortent un peu de ce qui est proposé d’habitude, et il faut dire qu’Henri a de bonnes idées. En plus de la chorale, il a pensé à faire changer les baby-foot du foyer qui, pour beaucoup, commencent à dater, d’utiliser les espaces verts inutilisés de la cour pour mettre des bacs à plantes et favoriser le développement de la biodiversité, et j’en passe. Après une bonne heure et demie de travail, nous nous retrouvons avec une liste qui contient une quinzaine de propositions.

C’est à ce moment que j’ai senti quelqu’un m’enlacer par derrière au niveau du cou. Je reconnais rapidement ce parfum aux fragrances de lys : celui de Madeleine. Elle s’assied à côté de nous et je lui demande ce qu’elle fait là étant donné qu’on est en plein milieu d’une heure de cours. Elle m’explique alors qu’elle m’a vu par une des fenêtres qui donnent sur la cour et donc qu’elle a dit vouloir aller aux toilettes pour passer me voir. Je souris face à cette attention mignonne, et lui dis de retourner en cours. Elle m’embrasse tendrement et s’en va aussi vite qu’elle était arrivée. Je l’ai encore ressentie, cette étincelle, un peu plus forte que la fois d’avant.

— T’as un sourire terrifiant, mon gars, me dit Henri en rigolant.

— Sois pas jaloux, mon p’tit, tu verras quand tu seras plus grand.

À ce moment, il fit une comparaison de nos tailles avec sa main, qui passait à environ cinq centimètres au-dessus de ma tête. Nous avons continué notre travail jusqu’à la sonnerie annonçant le début de la récréation et par défaut la fin de notre réunion.

Je rejoignis Madeleine devant le lycée et la raccompagnai jusqu’à son arrêt de bus. En attendant celui-ci, elle me prit par le bras et me raconta sa journée. Au fur et à mesure qu’elle parlait, j’ai senti une chaleur agréable se former petit à petit dans ma poitrine. Son bus arriva une dizaine de minutes plus tard, et je repartis l’esprit léger, avec l’impression d’être vidé de mes doutes.

Une fois rentré chez moi, j'ai foncé $dans le salon annoncer à ma mère que Madeleine viendrait bien manger mercredi soir. J'ai vu son visage s’illuminer, et elle dit qu’elle était contente. À cet instant, j’ai de nouveau senti un fin courant électrique me traverser le corps. Elle me complimenta sur mon air radieux, bien différent de celui de ce matin, et s’empressa d’aller prévenir mon père.

Le lendemain, Madeleine fut tout aussi attentionnée tout au long de la journée. Je la rejoignis devant le lycée en sortant des cours à 17h. Lorsque je la rejoignis, celle-ci paraissait dérangée par quelque chose. Je lui ai alors demandé ce qu’il se passait, et elle m’avoua être stressée et ne rien avoir à rapporter à mes parents. J'ai rigolé alors en lui disant que sa présence est un cadeau béni pour mes parents, ce qui n’est pas si faux. Elle me fit un sourire et me prit par la main. Après une dizaine de minutes de marche, nous arrivons chez moi. Cependant, je reste immobile devant la porte, incapable d’ouvrir celle-ci, mon esprit se remplit de pensées : et si elle ne plaisait pas à mes parents, que l’effet inverse auquel je m’attends arrive, si elle n’aime pas mes parents. Je suis sorti de mes pensées par Madeleine, qui me reprend la main et me dit avec une voix douce et posée :

— Ça va bien se passer, Marius.

Suite à ces mots j'ai senti mon esprit se vider lentement, et lui ai répondu avec un sourire et ouvre la porte.

Nous arrivons dans le salon où ma mère est en train de faire des papiers, et je lui présente Madeleine. Son visage s’illumina de nouveau en la voyant. Commence alors un échange courtois mais chaleureux entre elles. Madeleine s’excuse de n’avoir rien ramenée, mais ma mère l'a rassurée immédiatement en lui disant que le fait que je ramène quelqu’un est déjà un cadeau, qu’est-ce que je disais. Ma mère continua vers moi en me disant de lui faire visiter la maison et que nous pouvions attendre dans ma chambre, le temps qu’elle prépare le repas et que mon père rentre.

Commença alors une visite guidée de cette honorable bâtisse, qu’elle ne cessa de complimenter, ce qui fit sourire ma mère, qui nous écoutait de loin. Nous avons fini par ma chambre, où celle-ci analysa tout : photos, trophées d’échecs, livres.

— T’es flic et tu cherches de la drogue ou bien ? lui demandai-je en rigolant.

— Nan, je m’intéresse juste à mon roi, dit-elle en pointant mon jeu d’échecs.

— Tu es donc ma dame ? dis-je en rigolant.

— Peut-être pas encore, mais j’en ai bien l’intention, dit-elle en se rapprochant lentement.

Un silence d’un instant s’installa, et elle reprit :

— Tu pourrais m’apprendre à jouer aux échecs, peut-être.

— Je pourrais, souriais-je, mais là j’ai envie d’autre chose.

Sur ces mots, je me suis penché pour l’embrasser. Cette fois-ci, ce ne fut pas une petite étincelle sur mes lèvres, mais comme une explosion de chaleur s’allumant en moi. Elle me pousse sur le lit et finit assise sur celui-ci. Elle me regarde un instant avec un regard rempli d’une lueur presque divine, puis se relança dans un baiser plus fort que le premier. Je sens alors ses mains sur ma nuque, mes cheveux, ce à quoi je réponds en faisant de même. Le temps semble suspendu le temps de ce baiser, je suis littéralement pendu à ses lèvres, quand je suis soudainement ramené sur terre par un cri :

— AAAAH ! Maman ! Marius et sa chérie, ils font des bébés ! s’exclama Lison dans l’encadrement de ma porte.

— Quoi ? Non, pas du tout ! Je… nous… on... Et oui, on doit toquer à la porte avant de rentrer !

— Ta porte était ouverte.

Madeleine s’approcha alors de ma sœur, s’accroupit pour se mettre à sa hauteur et dit :

— Tu dois être Lison, j’ai entendu parler de toi. Moi c’est Madeleine, dit-elle en lui tendant la main. Je faisais juste un petit cadeau à Marius, ne t’inquiète pas.

Lison la regarda quelques secondes avant de lui serrer la main et de lui demander si elle voulait venir voir ses poupées, ce qu’elle accepta. Les deux sont sorties de ma chambre pour aller dans celle de ma sœur, pendant que je restais sur le lit, à encore me demander si ma mère avait entendu Lison.

Mon père arriva quelques minutes après dans ma chambre pour rencontrer Madeleine à son tour, mais ne trouva que moi derrière mon bureau en train de mettre au propre les propositions pour le CVL.

— Ta copine n’est pas là ? m’interrogea-t-il.

— Nan, enfin si. Je crois qu’elle est prise en otage par Lison, souriais-je.

— Je vois. Je vais aller la voir pour la libérer, rigola-t-il. Et tu feras gaffe : t’es décoiffé et ton col est mal mis, me dit-il, joint d’un clin d’œil avant de partir.

J’ai senti mon teint devenir rouge instantanément. S’ils n’avaient pas entendu, maintenant ils savent.
Madeleine m’a rejoint peu de temps après, juste avant de passer à table. Durant le repas, celle-ci passe un semi-interrogatoire par mes parents : école, résultats, activités extra-scolaires, religion… tout y est passé. Mais ça n’avait pas l’air de la déranger, comme si elle s’était entraînée. Ma mère affichait un sourire satisfait à chacune de ses réponses. À un moment, mon père demanda en rigolant :

— Et pourquoi avoir choisi Marius ?

Elle hésita un instant avant de répondre, me regarda attentivement, toujours avec cette lueur dans les yeux, et répondit calmement en mettant sa main sur la mienne :

— Parce qu’il est beau, gentil, attentionné… mais surtout, qu’avec lui je me sens bien. Il me fait me sentir bien. Je peux être moi-même.

En écoutant ses paroles, je me suis senti rougir de nouveau, mais pas de malaise, cette fois-ci. J’étais heureux d’entendre ça. Je pense bien que c’était la première fois que j’entendais quelqu’un dire ça en parlant de moi. Et puis, cette sensation de pouvoir être soi-même avec une personne, je la connais. Et le fait d’être cette personne pour elle, ça me rend simplement heureux.

— Eh bien, c’est très beau tout ça. Il semblerait que ça en laisse un pas indifférent, dit mon père en parlant de moi.

J’ai souri, simplement. Je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre en réalité. J’étais encore porté par ces mots qui résonnaient dans ma tête.
Le repas continua plus calmement. Madeleine aida à débarrasser et à mettre la vaisselle dans la machine. J’ai profité de ce moment un peu isolé avec elle, couvert par le bruit de la céramique, pour lui dire que je pense qu’elle a passé ce test avec brio et qu’elle a plu à tout le monde — et surtout à moi. Elle rigola, et m’embrassa sur la joue.

Elle ne tarda pas à partir, la soirée étant déjà bien avancée, et son père étant venu la chercher devant chez moi. Je n’ai pas eu l’occasion de lui parler, mais je pense que ça viendra

De retour dans le salon, mes parents m’ont exprimés leur avis plus que positif sur Madeleine, et qu’ils seraient très heureux de la revoir. J’ai senti une joie intérieure me remplir d’un coup. J’étais content. Content d’avoir proposé ce dîner, content d’avoir ressenti cette chaleur nouvelle quand elle est là, quand elle me parle, quand elle me regarde comme elle l’a fait ce soir. Tout sonnait juste. Tout ou presque. Il restait un petit coin dans ma tête, une question qui refusait de se taire : et si cette chaleur arrivée si soudainement, s’en allait tout aussi vite ? Mais j’ai chassé l’idée. Ce soir, j'étais heureux.

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