14 : Swimming-pool

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« C’est plein d’chlore au fond d’la piscine /

J’ai bu la tasse tchin-tchin /

Comme c’est pour toi, j’m'en fous /

J’suis vraiment prête à tout /

Avaler que m’importe /

Si l’on me trouve à moitié morte… »

Isabelle Adjani,

extrait de son titre Pull Marine, co-écrit avec Serge Gainsbourg (1983).

Vidéo-clip réalisé par Luc Besson.

La maison du Cap

Cap Camarat

Ramatuelle (83)

juillet 1989

Le vent, le cri. Le thème du film Le Professionnel coule gracieusement sous tes doigts. Aériens, ils pianotent, courent sur les touches ivoire-ébène d’un Pleyel immaculé juché sur une estrade. Une robe fourreau, de faux airs de Mademoiselle Coco. Des lunettes noires pour une de ces nuits blanches abusivement qualifiées de tropéziennes. Une soirée très select signée Barclay. L’homme à femmes, l’empereur du microsillon. Depuis un duo improbable avec Le Schmoll – alias Monsieur Eddy (4) - sur un plateau de télévision, Paul et toi faites partie du "clan".

Ta popularité atteint des sommets depuis que Russia a raflé toutes les récompenses cannoises au dernier festival. Succès critique, succès public. Et toi, tu affiches avec insolence un bonheur conjugal retrouvé, cette image du couple exemplaire. Même tes relations avec Jérémie se sont apaisées. Une entente cordiale. Au point que certains magazines te sollicitent pour poser avec lui. Tu refuses, prétextant ne pas vouloir exposer ta sphère privée. Une sphère mise à l’index par cette même presse, celle qui ne se gêne pas pour épingler les incartades d’un Werner tout sourire. Ces incartades que tu démens bec et ongles par procès interposés. Une publicité qui le sert et accompagne la sortie très controversée de son dernier bouquin : Une France, un pays, une patrie.

Pendant que tu conclus ce morceau avec virtuosité sous les acclamations du gratin mondain, Paul se plie avec prestance à l’exercice de la conversation de salon et y excelle. Il se fond dans cet univers particulier, intrigue sous ses allures de félin. Ambivalent, son charme ravageur séduit les foules.

Les verres d’alcool se colorent d’atoll. Tu bois bien sûr, mais pas davantage que les autres convives. Une musique plus forte, plus pop, des flirts sans gêne sous un clair de lune teinté Riviera, à l’ombre caressante des feuilles d’un palmier d’apparat. Une jactance sans sel, noyée de superficialité intéressée.

Alors comme ça, tu as décliné James Bond ?

Stephen, le pilier de toutes ces mondanités est présent. Comment pourrait-il en être autrement ?

Oui, j’attends que l’Amérique me propose des rôles plus consistants…

Tu as bien raison, ma fille ! Nul besoin de se prostituer pour mettre Hollywood à tes pieds. La french touch, ce n’est pas de s’allonger au premier rencart pour une poignée de dollars…

Des éclats de voix près de la piscine. Des éclaboussures chlorées, des smokings gris-mouillés. Trois hommes se boxent dans le bassin bleuté. Kamel Souari, jeune premier de type maghrébin révélé par le dernier Bertrand Blier, S-system, star montante black du rap hexagonal, et… Paul. L’échange de coups se muscle, les gentlemen n’en sont plus. Eddie Barclay est contraint de faire intervenir son service d’ordre. Bien avant l’arrivée des gorilles, Crozats se jette dans l’arène. Sa corpulence est une armure qui sépare les gladiateurs.

Emmène-le ! Emmène-le vite…

Stephen…

On n’est pas dans un troquet de banlieue en train de fêter la troisième mi-temps d’un match de rugby à coups de taquets dans la tête, Sol ! C’est une soirée VIP. Et la moindre de choses quand on a le privilège d’y être convié, c’est de savoir se tenir. Seulement, ton homme n’a pas l’art et la manière…

Je suis sûre…

Ne complique pas la situation plus qu’elle ne l’est, s’il te plaît ! Éclipsez-vous sur-le-champ, c’est tout ce qu’il vous reste à faire.

***

A l’arrière de la Lincoln, Wagner, Paul et toi…

Tu vas me faire la gueule encore longtemps ?

Ce sont mes amis, Paul ! Mais ça, tu n’en as rien à foutre, ça t’est complètement égal…

Tes amis, les bronzés ? Première nouvelle ! Tu parles d’une nuit blanche…

Oui, j’ai des amis blacks, j’ai des amis beurs, que ça te plaise ou non ! Je n’ai pas à justifier mes accointances en fonction de la couleur de leur peau…

On fréquentait déjà une pédale d’un peu trop près ; je pensais que c’était l’exception qui confirme la règle, je m’étais habitué. Seulement, ça ne suffit pas, il me faut supporter ces sales races…

Paul !

Je les hais, Solenn. Ils usurpent leur place dans notre monde. Les vérités assassines qui émaillent mon essai les hérissent, ils ne peuvent les entendre. C’est de là que tout est parti…

Je ne te comprends pas, je ne te comprends plus…

Évidemment que tu ne comprends rien à la réalité des choses, tu vis dans ta bulle, protégée de toute cette vermine qui pollue tes concitoyens. Tu effleures à peine la misère en soutenant Les Restos une fois par semaine, et après tu rentres avenue Foch te lover confortablement sur ta méridienne, un scénario à la main.

La limousine américaine s’arrête devant l’entrée du Byblos. Tu ne lui parles plus. La coupe est pleine.

Le hall, la suite, la salle de bains. Un filet d’eau brûlant sur ton corps pour oublier.

Il est là, nu derrière toi. Tu ne veux pas, il décide. C’est lui qui décide. Toujours.

***

9 heures. Ton époux dort encore. Une arabesque se dessine sur son dos. Tu la contemples, songeuse. Tu te retires du lit avec la légèreté d’une ballerine. La finesse d’une maille sur l’épiderme, le room-service. Des chuchotements presque étouffés, un pourboire discret pour ne pas le réveiller. Petit-déjeuner anglais, une tenue confortable enfilée à la hâte. La réception.

Bonjour, y a-t-il des messages pour moi ?

Bonjour, Madame Avryle. Oui, Monsieur Crozats a laissé ceci pour vous.

Tu t’empares du bristol que l’on te tend et le lis, avide.

***

Septembre.

Patiente jusqu’en septembre avant de recontacter Barclay.

Je sais que tu as d’autres projets en vue, ce single n’est pas une priorité.

Concentre-toi sur le festival d’Avignon, la pièce d’Hossein.

Le mistral emportera avec lui les vacances estivales et les impairs de ton mari. La rentrée effacera tout.

Amicalement.

Papi.

***

Un trouble perceptible.

Tout va bien, Madame ?

Très bien, merci… Vous pouvez renvoyer la limousine, je vais marcher un peu.

***

La plage de Pampelonne.

Tu ôtes tes sandales pour fouler le sable jusqu’au rivage.

La mer vient lécher tes pieds habillés d’un vernis pastel, comme un appel.

Il est trop tôt pour mourir…

(4) : Claude Moine, dit Eddy Mitchell à la scène.

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