36 : Flight plan

3 minutes de lecture

« Un rôle, un film, c’est un peu comme chercher une réponse à une interrogation à un moment de notre vie. »

Emmanuelle Béart, Studio Magazine, juillet 2003.

Vol Londres-Dubaï

mi-juillet 1990

13:25

Ce blockbuster américain, diffusé par la compagnie aérienne British Airways sur le grand écran de son long courrier, t’insupporte.

Une violence gratuite, un scénario insipide, des personnages-hologrammes inconsistants, campés par des acteurs sans envergure et desservis par des dialogues aussi plats que peu inspirés – et la VO n’y change rien - : tout te fait fuir ! Tu ôtes tes écouteurs et te masses les paupières de lassitude.

Ton avion a décollé d’Heathrow plus tôt dans la matinée et se posera dans une heure et demi à Dubaï.

Dubaï, flamboyante perle arabique où seront tournées la plupart des scènes de Riyad.

Un choix par défaut de Stephen, lui qui n’a pas réussi à obtenir l’autorisation de filmer les décors naturels d’Arabie Saoudite, malgré le faux script-leurre qu’il avait rédigé pour convaincre les instances saoudiennes.

Son homosexualité notoire n’y est probablement pas étrangère, puisque passible de la peine capitale dans ce pays.

Résultat : le cinéaste s’est vu contraint de reconstituer des quartiers entiers de la ville de Riyad en plein désert arabique !

Une dépense supplémentaire qui grève un peu plus le budget colossal que nécessite la production de ce long métrage.

Le climat risque singulièrement de te changer de celui, nettement plus humide, de la cité londonienne, dans laquelle tu as joué, un mois durant, les premières scènes du film le plus important de ta carrière cinématographique.

Tu feuillettes à nouveau le scénario, pour la troisième fois depuis le décollage, sans parvenir à te concentrer sur ton rôle.

Mine de rien, tu appréhendes, en particulier la scène finale de lapidation.

De prime abord, ça ressemble à n’importe quel drame-adultère.

Sauf que la tragique bleuette n’est qu’un prétexte pour condamner le régime monarchique saoudien, qui impose aux femmes des conditions de vies indignes, sous tutelle masculine permanente.

En y réfléchissant plus sérieusement, tu te mets à douter : pour la première fois, quasiment tout ton jeu devra passer par le regard.

Voilée durant les trois quarts des scènes dans lesquelles tu apparaîtras, les coutumes locales imposant à la gent féminine le port du niqab comme unique tenue convenable, on ne pourra te reconnaître que dans l’éclat de tes prunelles ou dans le grain unique de ta voix – la même quelle que soit la version, française, anglaise, espagnole, italienne, allemande ou russe.

Un challenge que tu as finalement accepté en mémoire de ton père et de Philippe Garance, le garçonnet de douze ans qui perdit la vie dans l’attentat d’Avignon, alors qu’il était venu voir son idole jouer dans cette pièce écrite par Robert Hossein : Les amants de l’automne.

Tes pensées t’entraînent momentanément vers tes souvenirs d’enfance, d’adolescence et de jeune adulte.

Tes premiers pas de comédienne sous la direction de Papi, tes rôles les plus marquants ; l’amour avec Paul, votre mariage.

Un dîner aux chandelles à L’Orangerie (14) pour lui annoncer cet heureux événement tant attendu : la future naissance de votre fils.

Et puis, ta lente descente aux Enfers, le divorce qui s’annonce plus houleux, plus compliqué que prévu…

***

— Qu’entendez-vous par là, Maître ?

— Étant donné que vous vous êtes mariés sous le régime de la communauté légale, il exige la moitié de votre fortune et la garde exclusive de Jérémie…

Et si je refuse ?

— Il engagera alors une procédure pour vous déchoir de vos droits parentaux…

***

D’un mouvement de tête, tu chasses tes idées noires.

Te concentrer sur ton rôle, le film de Crozats avant tout !

« Ladies and Gentlemen, we are going to begin the descent on Dubaï. We kindly request you to get back to your seat, to raise your seatback and to fasten your seat belt… » (15)

Ton avion s’apprête à atterrir.

Dans moins d’une demi-heure, tu rencontreras enfin ton partenaire à l’écran.

Ton amant fictif, celui qui le deviendra également à la ville.

Ce jeune premier, vedette d’une télé-novella argentine.

Rodrigue Entoncès, de cinq ans ton cadet.

(14) : Ce mythique restaurant du quatrième arrondissement de Paris est étroitement lié au Septième Art, notamment parce qu’il a appartenu à Jean-Claude Brialy, et que son amie Romy Schneider y avait ses habitudes. L’établissement rend d’ailleurs régulièrement hommage aux plus grandes figures du cinéma : en 2018, une rétrospective fut consacrée à l’éternelle Sissi…

(15) : « Mesdames et messieurs, nous allons amorcer la descente sur Dubaï. Nous vous prions de bien vouloir regagner votre siège, de relever votre dossier et d’attacher votre ceinture… »

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