Défaitisme

7 minutes de lecture

L’être humain est, on l’a vu, créatif pour critiquer, mais aussi très imaginatif, au point de raconter toutes sortes d’histoires, mythes et légendes. Toutefois, là où il est le plus fort, c’est pour trouver des excuses.

« Je suis nul en langues », « Ce n’est pas fait pour moi », « De toute façon je n’aime pas les langues », « Je n’ai pas le temps », « Je ne suis pas assez intelligent pour parler l’anglais », « Je n’ai pas de mémoire », « Je n’ai pas les gènes pour ça », « Je suis trop vieux pour apprendre des langues, c’est trop tard »… et tant d’autres… Lorsqu’il s’agit de s’inventer des excuses, on est imbattables.

C’est le pire état d’esprit qu’on puisse avoir. À force de se trouver une palanquée d’excuses, on finit par ne jamais agir, et ne jamais progresser.


Tout d’abord, être polyglotte n’est pas une question d’intelligence, mais une question… d’apprentissage (ça coule de source, hein). Nul besoin d’être surdoué, hypermnésique ou doté d’une mémoire eidétique pour apprivoiser une langue étrangère. C’est accessible à n’importe qui ayant un minimum de capacités mentales. Nul en maths, discipline élitiste associée à l’intelligence, je ne devrais pas être doué en langues, si ? Pourtant… Au passage, chacun de nous posséderait plusieurs intelligences, mais comme ce n’est pas le sujet ici, vous avez un lien dans les sources si ça vous intéresse.

Également, je ne vois pas ce que viennent faire les gènes là-dedans. Je suis l’un des rares de ma famille à parler plus de deux langues, alors que je descends de pieds-noirs. Peut-être les gènes jouent-ils effectivement un petit rôle là-dedans, donnant plus de facilités à quelques individus, certes. Je n’ai pas les compétences pour y répondre, mais pour moi, ça ne pèse rien, et ce genre de trouvailles scientifiques sorties du chapeau, généralement, je m’en méfie.


Si vous pensez que pour y arriver, vous devez apprendre un régiment de mots par cœur… vous avez tout faux. Le cerveau humain ne marche pas comme ça. Il y a une grosse différence entre « apprendre par cœur » et « connaître par cœur ». L’apprentissage, c’est de l’adaptation, de l’assimilation, du mimétisme, de l’habitude, de la répétition, de l’association, de la compréhension. Le par cœur, ça ne nourrit que la mémoire à court terme : vous apprenez des choses en les récitant sans contexte quitte à faire surchauffer la machine et vous vous en souvenez sur le moment, mais dans l’heure qui suit ou le lendemain, vous aurez tout oublié. Beaucoup de souffrance pour pas grand-chose. Ce n’est pas rentable, et nous, les humains, on n’aime pas ça.

Pour connaître une chanson par cœur, vous l’avez écoutée et en avez maintes fois répété les paroles, non ? Pour apprendre à danser, vous avez imité les danseurs et répété les mouvements ? Et les répliques de vos films préférés, vous les avez mémorisées en les écoutant et les répétant en boucle ? Sans parler de l’aller-retour de chez vous au travail ou en cours, que vous parcourez maintenant sans réfléchir, concentrés sur votre téléphone (à pied) ou en écoutant la radio (en voiture).

« Apprendre par cœur », c’est du bourrage de crâne ; « connaître par cœur », c’est le résultat du mimétisme, de l’association, de la compréhension et de la répétition – d’où la récurrence du verbe « répéter ». La mémoire trie des milliards de données par jour et ne retient que celles qui se démarquent des autres : celles qui se répètent et celles qui s’associent à des concepts connus ou des émotions fortes. Au bout d’un certain temps, celles-ci finiront dans la mémoire à long terme. La mémoire sémantique, plus précisément (lien dans les sources). Nul besoin donc de vous farcir la liste Swadesh de votre langue cible pendant des mois. Nul besoin d’apprendre des mots bêtement ; pour mieux apprendre, il faut d’abord comprendre. La répétition et l’association sont les deux mamelles dont la mémoire est alimentée. La mémoire, ça s’entraîne et ça s’entretient. Avec le temps, vous ferez des miracles !

Vous remarquerez également que le mot « préféré » est revenu deux fois, ce qui implique la notion de plaisir. Oui, on apprend mieux en s’amusant et c’est une chose fondamentale qu’on a tous oubliée avec le temps. Pas d’inquiétude, on y reviendra souvent, à ce « plaisir ».


On n’est jamais trop vieux pour apprendre des langues, et même pour apprendre tout court. Un proverbe japonais dit même qu’ « on commence à vieillir quand on a fini d’apprendre ». J’ai connu un homme qui commençait à apprendre le russe à un âge plutôt avancé (40 ou 50 ans ; j’ai dit « avancé », pas « vieux »).

On dit que les enfants apprennent plus facilement que les adultes… C’est vrai, peut-être car ils n’ont que des habitudes, des notions, des repères à assimiler en masse. Une fois tout ça acquis, on apprend de moins en moins vite… du moins, on en a l’impression. Sans compter que les enfants ont accès à une myriade de jeux et jouets qui leur permettent de comprendre le monde qui les entoure, disposent d’une ouverture d’esprit énorme et posent des tas de questions, n’ont ni filtre, ni arrière-pensée, ni préjugé, ne sont pas encore victimes d’idées reçues, privilège leur permettant d’apprendre en abondance… Et, évidemment, ils ont le sacro-saint droit à l’erreur, dont ils profitent allègrement avant qu’il ne soit trop tard. Il est vrai, également, que les connexions synaptiques dans le cerveau sont plus nombreuses qu’à l’âge adulte, mais ça ne veut pas dire que les capacités d’apprentissage diminuent avec l’âge… au contraire. Une fois qu’on a assimilé des repères, tout devient plus aisé, naturel, instinctif et, comme on le verra a posteriori, plus on apprend, plus c’est facile d’apprendre.

Et, comble de tout, pour apprendre une autre langue… il faut laisser certains repères pour en assimiler d’autres, ce qui demande déjà deux fois plus de travail. Car les différences entre deux langues ne résident pas que dans le vocabulaire, mais aussi dans l’expression, la grammaire, la syntaxe, la culture… Même deux langues aussi proches que le français et l’italien sont différentes en plusieurs points ! Apprendre une nouvelle langue, c’est assimiler une flopée de nouvelles notions et habitudes, de nouveaux repères… en quelque sorte, c’est redevenir un enfant. Tant que votre cerveau fonctionne bien, il est encore capable d’apprendre. Il suffit de le stimuler.

Ne vous laissez donc pas freiner par cette fausse croyance qu’il n’est plus possible d’assimiler de nouvelles langues étrangères après l’enfance.


Le meilleur pour la fin. Vous êtes nuls en langues ? Vous pensez que ce n’est pas fait pour vous ? Vous n’aimez pas ça ? Alors, comment avez-vous fait pour apprendre votre langue maternelle ? Parce que vous devez bien la parler, non ? En tout cas, si vous êtes ici, je suis prêt à le parier sans trop me mouiller. Mais, pour la parler, il a bien fallu l’apprendre à un moment donné… Comment avez-vous fait ? À tout hasard, je dirais… écoute, immersion, mimétisme, assimilation, répétition, habitude… Oui, au contact de nos parents, on est directement exposé à notre langue maternelle ; impossible d’y échapper. Et le pire, c’est l’école… là, c’est fini, on n’en sort plus. Avec les amis qu’on se fait, on ne peut plus ne pas apprendre notre langue natale.

Rappelez-vous : pour parler votre langue natale, plus que l’apprendre, vous l’avez vécue, vous avez plongé dedans. Appliquez ça pour les langues qui vous font rêver et votre vie changera. Vous n’avez pas le temps ? Prenez cinq ou 10 minutes, pendant vos repas, au petit déjeuner, avant de vous coucher ou aux toilettes au lieu de jouer à Clash of Clans, par exemple, pour faire une ou quelques leçons. C’est largement suffisant, pourvu que vous soyez réguliers. Préférez cinq minutes chaque jour plutôt que deux heures d’un coup chaque semaine et vous verrez la différence. Vous ne pouvez pas voyager ? Pas grave, plusieurs méthodes sont listées plus loin.


Entre nous, je n’ai pas toujours été bon en langues. Moyen en compréhension écrite, mauvais en compréhension orale, je bafouillais un anglais des plus exotiques – accent français, bonjour –, mon vocabulaire était limité… Je n’ai fini qu’un livre en anglais, pour enfants, avec le dictionnaire. Oui, car j’essayais de progresser en lisant sans écouter, ni parler la langue (on fait tous des erreurs). Bref, si vous me lâchiez en Angleterre ou aux États-Unis, c’était la panique. Je n’ai parlé anglais couramment que très tard, lors de ma première année de faculté, précisément, la vingtaine passée, quand j’ai commencé à regarder des séries en version originale sous-titrée. Il ne m’a suffi que d’un petit effort : lire les sous-titres. Et depuis, mon niveau d’anglais a décollé. J’ai joint l’utile à l’agréable. Bon, je triche un peu, car ma période d’anime japonais m’a beaucoup entraîné. Mais j’ai commencé quelque part. Et si j’y suis arrivé, vous le pouvez aussi.

Surpassez votre réticence envers les sous-titres car « on ne peut pas suivre les images », on s’y habitue très vite. D’ailleurs, les mêmes personnes m’ont déjà dit faire autre chose en écoutant une émission ou un film à la télé en version française. Pour ceux qui me répondront qu’ « ils ne regardent pas des films et séries pour apprendre des langues », posez-vous les bonnes questions : si vous ne commencez pas par là, à quel moment allez-vous vous jeter à l’eau ? Il faut y mettre du vôtre. La balle est dans votre camp.

Vous pouvez apprendre des dizaines de langues et bien les parler. Il suffit de le vouloir et de s’y intéresser.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ayaël Kazuo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0