Chapitre 5

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Aujourd’hui,

Lilly,

J’ai été vidé, pendant des années. Depuis ma naissance même, si je réfléchis bien. J’ai supporté ce vide, en le remplissant d’amour, en m’engageant dans des relations amicales, amoureuses ou familiales, à fond. Je remerciais le ciel, de ressentir. Car il vaut mile fois mieux souffrir, pleurer, se sentir brisé, aimer, rire plutôt que de ne rien ressentir. Ces sentiments vous transperces de part en part, vous prouve que vous êtes vivants. Sinon, sans rien, sans eux, vous êtes morts. Alors j’ai fait en sorte d’être vivante.

Balayant le manque d'amour de ma mère, balayant les trahisons de mes amis et leurs moqueries sur mes vetements, mes cheveux sales ou pourquoi j'avais encore raté l'émission samedi soir, car si on a tendance à l'oublier, l'innocence des enfants reste la plus atroce.

Jusqu’à ce que l’amour crée un nouveau vide. Plus profond, plus insurmontable. J’ai bu pour m’endormir, j’ai embrassé des hommes inconnu pour redonner une autre fonction à mon coeur, que celle de faire circuler le sang dans l’ensemble de mon corps. Ne pouvant jamais aller plus loin avec ces hommes, j’ai pris un avion sur un coup de tête pour découvrir un bout du monde. Je me suis perdue en route, mais comme dit le proverbe : "se perdre pour se retrouver".

Au fond, j'espère qu'en découvrant le monde, j'allais découvrir qui j'étais, j'allais avoir une ilumination de savoir où était ma place.

J’ai gravi des montages, sentant chacun de mes muscles souffrir, je me suis placé au bord du précipice pour admirer la vue, tout en étant chancelant face au vide, à cause du vent. Triste métaphore de ma vie. Je sortais courir en pleine nuit quand l’alcool ne m’envoyer pas rejoindre Morphée. Je répondais à ces hommes dans la rue, espérant recevoir un coup, espérant marquer ma peau. Je voulais ressentir plus fort. Je voulais vivre plus fort.

Rien ne me faisait vraiment peur, rien ne faisait vraiment battre mon coeur. Je souriais, je découvrais, je m’épanouissais. Mais je ne ressentais rien. Le vide. Le néant. La mort. Mon corps était devenu une armure de peau vide de l'intérieur, sans âme, où chaque organe remplissait sa fonction principale : cerveau - coordonner ; coeur - irriguer ses copains. Ce vide, je pensais que seule la mort pourrait le combler. C’est pour ça que je me suis retrouvée sur ce quai, à deux doigts de sauter, quand j’ai senti étrangement et finalement, la vie revenir en moi. Une vague de chaleur s'est propager jusqu'au plus profond de mon âme.

Alors j’ai fui, face à ma faiblesse, honte de moi d’avoir donné tant d’importance à un homme, sans m’en donner autant à moi-même, suivi mon coeur à l’autre bout de la France, et j’ai vécu. Le plus loin possible de ce qui était capable de me tuer : l’amour.

Il y a deux ans et 1 mois,

Joan

Elle est là, au bord du quai. Je ne peux pas sentir ce qu'il se passe dans sa tête, mais je la connais. Je sais que si je n’interviens pas, elle va sauter. Je n’ai jamais vu ce regard là, je n’ai jamais vu son corps si lasse, si faible, si abattu. C’est comme si, elle avait le sentiment d’avoir finalement affronté toutes les batailles de sa vie. Mais il y aura d’autres demain. Il y aura le karma qui se chargera de faire payer à ceux qui ont blessé son coeur. Et puis surtout, il y aura moi. Dans 8 ans, je pourrais à nouveau m’occuper d’elle, prendre soin d’elle.

Bientôt Lil, ne renonce pas à toi. Ne renonce pas à moi.

A quoi bon continuer…

Bizarrement, elle est encore connectée à moi, comme si le lien que nous formions, était si puissant, qu’il résistait à n’importe quoi, dont ma destitution. Alors je tente pour le tout, et je tente de la raisonner. Mes yeux ne la quittent pas. Quelqu'un de l'extérieur pourrait s'imaginer que je suis un psychopathe en train d'épier ma future proie.

Je te promets qu’après la pluie, le soleil parvient toujours à trouver un moyen de transpercer les nuages.

Son coeur s’accélère. Sa tête s’agite. Elle va sauter. ELLE.VA.SAUTER.

Hurler n'aidera pas.

Boum boum boum. Boum boum boum.

Le train arrive en gare et le bruit de son coeur masque ses paroles. Je n’entends que lui, qui me hurle qu’il en peut plus. Il bat si fort comme s’il voulait se faire entendre par le monde entier, comme s'il voulait que sa douleur s'impreigne dans tous les coeurs présents autour, comme s'il savait qu’il le faisait pour la dernière fois.

Si tu veux renoncer à toi Lilly, fais donc. Mais je ne t’abandonnerais pas moi. Tu m’entends ? Parce que je peux crier encore plus fort.

Son pieds droit s’avance. Le gauche le double.

Je dois agir. Cette fois, je le peux vraiment.

Mes doigts attrapent son bras. Je la tire en arrière, juste assez longtemps pour que le train entre en gare. Lorsque mes doigts rencontrent sa peau, je suis élécrifié, brulé, heureux. Sa peau est douce, chaude et halée. Ce lien physique est peut etre bien moins puissant que mon lien mental avec elle, mais il me rappelle pourquoi je me suis battu jusque là et pourquoi il est nécessaire de nettoyer mon âme.

Lil, je me battrais pour toi. Je vais te montrer combien le monde est beau.

Aujourd’hui,

Lilly,

  • Tu veux te joindre à nous ?

Je tourne la tête vers Peter. Il est toujours aussi craquant et aussi sûr de lui. Son regard vert me rappelle ceux de ma grand-mère. Une femme remarquable qui manque cruellement à mon monde. Son visage est rayonnant, aucun trace de rides d'inquiétudes ou de lassitude sur son visage. Peter fait partie de ce groupe de personne pour qui la vie a toujours dû être un long fleuve tranquille, posé sur sa barque, se laissant border par le courant.

Oser venir jusqu'à moi pour me demander de le rejoindre devant le regard interressé et choqué de ses amis, ne semble pas le préoccuper. Comme si lui répondre un "non" ne serait pas une statistique à prendre en compte.

  • J’admire la lune, en redressant la tête vers le ciel.
  • La quoi ?
  • La lune, Peter. L'astre lumineux au dessus de nos tête.
  • Oh mais c’est que madame se souvient de mon nom…

Je me tourne à nouveau vers lui, et son grand sourire est contagieux et fait vibrer certaines parties de mon corps que je ne connaissais plus ou peut-être pas. Mon coeur rate à nouveau un battement et je me demande si je ne vais pas frôler la crise cardiaque à cause de lui. Mes barrières m’empêchent de mettre des mots sur ce que je ressens. Mes organes vitaux ont érigés des murs si haut et si épais que plus rien ne parvient à les transpercer.

J’essaye de garder contenance mais mon cerveau m’a abandonné, laissant pour un temps, le mât entre les petites mains de mon coeur. Alors je lui réponds que je les rejoindrais plus tard, espérant me débarrasser de lui.

J’ai encore besoin d’être un peu seule.

Sauf que Peter n’est pas du même avis. Il s’assoit à côté de moi, bien trop près pour que je sois obligé de sentir l’odeur de sa peau et de son parfum. Ces derniers m’attirent comme un papillon de nuit serait attiré par la lumière. Ses bras sont croisés par dessus ses genoux et sa tête est tournée vers moi.

  • J’adore la lune moi aussi. Si tu me laisses faire, je t’emmènerais la voir chaque soir.
  • Je m’en sors déjà très bien sans toi.
  • Non, Lilly. Ce que je veux dire… c’est que je t’emmènerais là où tu peux mieux la voir.

C’est que monsieur a aussi retenu mon prénom…

Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais tout mon être ne veut pas fuir. Je me sens en sécurité. Je me sens à ma place. Sa simple présence semble éloigné les souvenirs douloureux. Pourtant je sais que ce n'est pas bien, mais quelque chose me fascine dans la manière qu'il a de me regarder.

Du coin de l’oeil je vois que Peter observe mon visage et mes lèvres ont décidé de lui faire le cadeau d’un sourire. Au loin, j’entends les amis de Peter l’appeler, puis je sens son téléphone vibrer contre ma cuisse. Peter sort son téléphone, c'est un message et sans trop le vouloir, je parviens à lire par dessus son épaule, qu’il souhaite rester un peu avec moi.

Je ferme les yeux quelques secondes, juste pour laisser à mon esprit la possibilité d’enregistrer ce moment de plénitude. Je souhaite qu'il s'éloigne mais pour rien au monde je souhaiterais qu'il le fasse. Puis je tourne à mon tour la tête vers Peter. Je crois qu’il veut parler mais ne veut pas gâcher l’instant. Or, ce que les gens ont tendance à oublier, c’est que les yeux parlent, plus sincèrement et avec des mots que seul le coeur peut entendre. C’est sûrement pour ça que j’ai le sentiment de suffoquer quand il me regarde. Ses yeux sont comme un océan où je suis en train de me perdre. Je sens le rouge me monter aux joues et je me sens comme une enfant prise sur le fait.

Certains silences valent bien plus que n'importe quel mot.

  • Lilly, tu es magnifique, dit-il en attrapant une mèche de mes cheveux.

Quand la pointe de ma mèche arrive au niveau de ses doigts, je réalise qu'il est surpris de son geste.

  • Je peux te raccompagner ?
  • Peter, on ne se connait pas, donc non. Tu ne me « raccompagneras » pas, dis-je en mimant des guillemets avec mes doigts, pour bien lui faire comprendre que je ne suis pas dupe.

Je hais les compliments pour cette raison. Peter use de ces mots, comme tout être humain qui se respecte, pour obtenir quelque chose derrière. En finissant ma phrase, je réalise que le regard de Peter devient vide, comme s’il ne parlait plus la même langue que moi, jusqu’à ce que la lucidité revienne.

  • Oh mon Dieu, Lil, non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais juste m’éloigner de mes amis qui nous observe…

Mon regard se pose instinctivement sur son groupe d’amis. Je reconnais le visage des deux garçons, mais pas celui des trois filles qui les accompagne. L’une d’elle ne me quitte pas du regard, et je comprends très vite pourquoi. De base il sortait en groupe, contenant 3 filles et 3 garçons. Et étant donné la proximité des deux filles et garçons restant, le calcul est vite fait.

  • Peter, cette fille toute seule est ta…
  • Non, c’est une amie. Je crois qu’elle espère quelque chose… oh mon dieu que ça fait prétentieux de dire ça… Lil, c’est une amie. Rien de plus. J’aimerais qu’on s’en aille si tu le veux bien. Je veux juste... être prêt de toi ?

Il finit sa phrase dans une question, comme s'il ne savait plus comment formuler ses désirs. Ces quelques échanges me révèlent une autre facette de la personnalité de Peter. Moins sur de lui, moins fort. J’ai l’impression que ma présence le déconcerte, comme si je l’intimidais. Si quelqu’un écoutait mon coeur, il réaliserait que sa présente me déconcerte aussi.

Après un long moment de silence, je me lève en jetant un dernier regard à la lune.

- Lil.

- Pete.

Peter se leve à son tour en me tendant la main et nos yeux ne se détachent pas pendant plusieurs secondes. Est-il vrai que nous tombons amoureux en fixant quelqu'un dans les yeux plus de 30 secondes ? Les avons-nous déjà atteint ?

Mon coeur ne retiendra donc jamais cette putain de leçon.

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