Chapitre 1 - Écume - Partie 1

3 minutes de lecture

 La tempête était passée. Les vagues avaient perdu de leur hauteur. Le bleu électrique du ciel dominait de nouveau l’horizon. Le rugissement du vent s’était tu. Pourtant, une masse blanchâtre flottait à la surface, légèrement chahutée par la houle. Cassant la monotonie de flots redevenus calmes, elle n’avait rien de naturel. D’ailleurs, les espèces animales qui daignaient s’en approcher ne savaient que faire d’un tel intrus dans leur quotidien. La forme était singulière, s’ils avaient eu quelques autres références dans leur amas cérébral, ils auraient pu la juger humanoïde. Un mouvement répété l’agitait. Les jambes et les bras bougeaient régulièrement en suivant les perturbations de l’immense étendue d’eau.

 Un animal, un peu plus curieux que les autres, s’approcha en effectuant des cercles concentriques. Il alternait entre approche et observation minutieuse. C’était la première fois qu’il observait de si près une espèce qui n’avait rien en commun avec lui.

 Quand le corps émergea, semblant reprendre vie d’un seul coup en sortant la tête de l’eau, le petit curieux utilisa une technique de protection universelle et ayant prouvé son efficacité dans le monde du vivant : la fuite. La masse blanche montrait enfin son visage. La jeune femme à la peau terne, lisse et ruisselante regardait en haletant autour d’elle, à la recherche d’un hypothétique refuge, ou d’un objet flottant lui permettant de retrouver un semblant de stabilité, un peu de répit.

 Elle agissait par réflexe, effectuant des gestes amples et démontrant une aisance toute particulière dans la nage. Elle tourna sur elle-même à plusieurs reprises, cherchant une issue. Son regard s’arrêta sur un point qui avait disparu, recouvert par une vague. Elle resta dans cette position, attendant d’apercevoir une nouvelle fois le salut. Elle sentit son corps emporté par la houle et le point sombre réapparut. Il semblait se situer loin, mais c’était le seul but qui lui était offert. Rassemblant ses forces, elle commença à nager dans cette direction. Comme si son corps lui en avait intimé l’ordre, elle plongea. Ce qu’elle observa était magique. Sa vue offrait une capacité étonnante : elle pouvait voir parfaitement à travers les eaux cristallines de l’océan. Ses yeux s’adaptaient, lui dévoilant une faune majestueuse. Les animaux, transparents pour la plupart, ondulaient lentement. Certains ressemblaient à des méduses, d’autres à de longues et fines toiles étirées sur plusieurs mètres. Plus au loin, son regard fut happé par une immense structure sombre, coupant net les rayons lumineux qui plongeaient dessus. Elle eut la confirmation que le point lointain aperçu à la surface cachait quelque chose de bien plus étendu.

 Le fait de se retrouver perdue et seule au milieu de cet environnement immense l’angoissait. Malgré le péril qu’elle courait, la jeune femme progressait aisément. Elle ne craignait pas l’eau. Cependant, la fatigue commençait à se faire sentir. Ses durées d’immersion se raccourcissaient, mais elle tenait bon. La masse sombre emplissait de plus en plus d’espace. Ses efforts payaient. L’approche la motivait. Son corps, fin et long, était clairement taillé pour la nage. Ses gants palmés aux longs doigts pénétraient l’eau et permettaient une progression efficace. Ses longues jambes fuselées et musclées la propulsaient vers son potentiel havre.

 Durant les phases de plongée, elle pouvait observer une vie foisonnante autour d’elle. La plupart des êtres ressemblaient à de longs fils transparents ondulant au gré du courant, d’autres, plus ramassés, avançaient par à-coups. La visibilité était excellente. La lumière filtrait à travers l’eau en donnant des reflets miroitants même aux animaux les plus ternes. La faune était totalement indifférente et vaquait à ses occupations : se nourrir ou fuir. En plongée, elle se sentait totalement dans son élément, beaucoup plus à l’aise qu’en surface.

 Peu à peu, des courants différents entraient en jeu. Sa nage se complexifiait. Pour compenser, son esprit était focalisé sur le frêle rivage qui commençait à se dessiner de plus en plus distinctement. Elle arrêta un instant son effort pour découvrir un peu plus la nature de la masse sombre. Cela ressemblait à un immense amas de tout et de rien, qui flottait de façon compacte à la surface. Il semblait s’étendre bien plus loin qu’elle ne le pensait. Il faudrait encore un long effort pour toucher à son but. Reprenant courage, elle plongea de nouveau. Sa peur semblait se tarir à mesure qu’elle avançait, s’effaçant peu à peu devant un espoir émergeant.

Annotations

Vous aimez lire Philippe Ruaudel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0