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LA TOUSSAINT – LES MORTS

Des tours majestueuses de nos vieilles Cathédrales aux flèches ajourées de nos grandes églises, aux modestes campaniles des plus humbles chapelles, bourdons à voix sonore, clochettes argentines, confondez vos accents. Sonnez, sonnez à toute volée, cloches de notre France!

Que vos gais carillons, emportés par le vent, répétés par l’écho, perçant la voûte des cieux, chantent à nos héros, à nos petits soldats, l’hymne de notre amour, de notre reconnaissance. N’est-ce pas la Toussaint, la fête de nos aïeux, la fête de nos parents, la fête des petits anges arrachés à nos bras?

N’est-ce pas la Toussaint, la fête des martyrs, de ceux qui, pour leur Dieu et pour leur sol natal sont tombés, autrefois, dans l’arène et meurent aujourd’hui sur les champs de bataille?

Au cours de cette année, les célestes cohortes ont grossi leurs légions. Des rives de l’Yser aux montagnes des Vosges, en passant par l’Artois, la Champagne et l’Argonne, sur les bords de la Marne, de l’Aisne et de la Meuse, les meilleurs de nos fils ont ajouté une glorieuse page à celles qu’avant eux, dans notre noble histoire, avaient déjà écrites Duguesclin le Breton; Jehanne la Lorraine; le chevalier Bayard, le sans reproche. A torrents, depuis quinze mois, le sang français a coulé; à flots il coulera encore. Les vainqueurs de Bouvines, de Rocroy d’Austerlitz, d’Iéna ont de dignes héritiers en nos preux d’aujourd’hui. Tout autant que jadis, porte-drapeau du droit de la liberté, de l’indépendance, la France veut vaincre les barbares; comme au temps de jadis, la France les vaincra.

La tâche est rude, la tâche impose de durs et pénibles sacrifices? Et après?... Alors que loin du feu, les esprits parfois s’inquiètent, s’énervent, s’irritent, là-bas, en première ligne, le soldat s’impatiente de ne pas aller assez vite de l’avant, le soldat attend, la rage au cœur, l’heure de la charge glorieuse d’où, peut-être, il ne reviendra pas. Il le sait et il n’hésite pas, il le sait et il court: la mort peut le frapper, il ne la craint pas parce qu’il n’a pas à la craindre, parce qu’il est certain, qu’au-delà du tombeau, une vie meilleure l’attend.

... « Tous les soldats ne sont pas chrétiens, tous ne partagent pas notre foi en l’immortalité de l’âme, tous ne croient pas à la récompense suprême. »...

C’est vrai, mais qui peut pénétrer les secrets de la Providence? Notre Dieu, Dieu de justice et de bonté, tient compte des circonstances et ne laisse sans récompense aucune douleur, aucun sacrifice pour la bonne cause. Nous n’avons pas voulu la guerre, nous la subissons. Et les braves, fauchés à la fleur de l’âge, par la criminelle volonté de Guillaume, ne trouveraient pas grâce devant la justice divine!...

L’abbé Nottin, curé-archiprêtre de Vitry-le-François: un brave, il l’a mille fois prouvé au cours de la bataille de la Marne; un bon citoyen, il l’a démontré durant l’occupation allemande, alors qu’ayant assumé, volontairement, l’administration de sa ville abandonnée par ses représentants, il discutait les volontés de l’ennemi; le Journal officiel a signalé à l’admiration de tous les patriotes son héroïsme et son courage civique; un saint, depuis quatorze mois constamment au chevet des blessés, il leur apporte les consolations de l’heure suprême, l’abbé Nottin, répétons nous, disait, la semaine dernière, à la mère d’un petit soldat qui venait d’expirer dans ses bras: « N’ayez aucune crainte, Madame, votre fils est au Ciel. D’une part, il était bon chrétien; d’autre part, il a tellement souffert. Puis, il était si résigné, comme le sont d’ailleurs tous ses camarades. Je vous en donne ma parole, il est entré tout droit dans le Paradis. »

Ce ne sont pas, dans la bouche du vénérable vieillard qu’est l’abbé Nottin – nous avons personnellement l’honneur de le connaître depuis 24 ans – ce ne sont pas, disons-nous, banales consolations. Le bon curé de Vitry a vu tant de souffrances physiques et morales, a assisté à tant de morts depuis septembre 1914, qu’il parle à coup sûr.

Rassurez-vous, femmes de France, vos fils sont heureux.

Sonnez, sonnez à toutes volées, cloches de notre France, chantez la gloire de nos soldats, de nos martyrs, sonnez, sonnez!...

Quoi donc! la voix des cloches s’altère, elles sonnent plus, plus, plus lentement; elles gémissent, à leur tour, égrenant en soupirs les tintements du glas.

Jusque dans les clochers, les hymnes de deuil remplacent les cantiques d’allégresse.

En même temps, les cimetières, d’ordinaires vides et déserts, les cimetières tristes et lugubres s’animent, se peuplent; les tombes se couvrent de fleurs; les croix, les monuments disparaissent sous les couronnes.

C’est la fête des morts, la fête de nos pères, de nos enfants, de nos amis, la fête de tous ceux quinous aimaient, hier encore et que nous ne verrons plus.

Combien, parmi nous, ne peuvent fleurir leurs tombeaux, s’agenouiller sur la terre où leurs proches dorment leur dernier sommeil? Il est là- bas, dans les plaines du Nord et de l’Est, de vastes cimetières que ne bornent ni murs ni clôtures, des nécropoles aussi étendues que l’immensité, aussi profondes que les vallées, qu’aucun mausolée ne signale et que marque seulement une forêt de petites croix, faites de bouts de bois.

Pleurez femmes de France, pleurez douces fiancées, vos larmes sont saintes, vos pleurs recueillis précieusement par le Souverain Maître sont sacrés, ils sont un adoucissement à votre peine, un calme, une consolation à votre chagrin.

Pleurez vos morts, tandis que sonne le glas du 2 novembre; glorifiez vos héros quand les joyeux carillons s’envolent vers le Ciel. Les cloches de la Toussaint et les cloches des Morts sont sœurs, elles chantent, elles pleurent, à la fois: les soldats de France, les défenseurs du Droit, de la Liberté et de la Civilisation.

P. HUET-SAINT-POL.

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