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Note de l'auteur: réponse à un défi portant sur la prostitution. Le contenu de ce texte est donc à caractère pornographique. Merci d'en tenir compte avant de commencer la lecture.

Elle n’a pas de nom. Ou plutôt, elle en a trop eu pour se souvenir du premier, celui qu’on appelle « le sien ». Ses noms, ce sont les autres qui les lui donnent, au gré de leurs envies. Celui qui revient le plus souvent est Salope. « Tu aimes ça, hein, Salope ? » « Alors, Salope, tu suces ? » « De toute façons, tu peux pas comprendre dans quelle merde je suis : t’es qu’une Salope ».

Au début, elle n’aimait pas. Mais maintenant, cela n’a plus d’importance. Ces phrases sont vides de sens et elle ne les entend plus. Un petit sourire, en coin, un haussement de sourcils fugace comme le vol d’un papillon… et puis ils oublient. Elle se remet à genoux comme on lui apprenait, enfant, avant de commencer à prier. Au bout de quelques minutes, c’est fini. Des petits gémissements déplorables, un ou deux grognements. Elle s’amuse presque de cette faiblesse : il suffirait qu’elle serre les dents et tout s’arrêterait pour eux. Pour elle aussi.

Parfois, elle n’a même pas à les toucher. Elle doit se concentrer sur son corps et ignorer leurs regards avides comme s’ils n’étaient pas là et qu’elle prenait plaisir à cette absence. C’est encore plus dur comme ça : elle ne peut même pas cacher son visage pour s’épargner la peine de sourire. Elle accélère sur la fin pour que ça s’arrête plus vite. Là encore, elle entend les soupirs qui témoignent qu’elle a bien fait son travail.

Car on appelle cela un travail.

Pour elle, un travail, c’est un boulanger qui se lève à quatre heures pour pétrir sa pâte et la vendre le reste de la journée ; une femme d’affaires qui trottine en tailleur, un portable vissé à son oreille politiquement correcte en ordonnant la vente des stocks ; ou encore le maître d’école qui apprend aux enfants combien font deux et deux, qu’il ne faut pas taper sa petite camarade parce que ce n’est pas gentil et que l’argent ne peut pas tout acheter dans la vie. Le maître d’école a dû très mal faire son travail, au vu de ceux qui défilent entre ses nuits.

Toute peine mérite salaire.

Cette phrase tourne en boucle dans sa tête, au rythme monotone de sa tête qui n’en finit plus de se balancer. Elle a mal aux cervicales à force. Il faudra qu’elle change de technique d’ici quelques minutes histoire de reposer ses muscles. Mais il a l’air d’aimer ça et de ne pas vouloir passer à autre chose. Elle change de posture pour soulager un peu ses lombaires, douloureux à force de remonter la rue sur ses talons trop hauts et de se cambrer pour accentuer la chute de ses satanés reins.

Elle arrive à court de maquillage. Ça fera vingt balles à débourser avant la fin du mois. Donc une passe de plus que d’habitude. Et puis, la semaine dernière, elle a dû prendre moins parce que c’était « la semaine de repos » comme elles appellent ça avec les autres filles. D’ailleurs, on dit les filles, jamais les femmes. Elle se demande souvent pourquoi. Pourtant, une fille, c’est innocent ; ça fait tout sauf ça. Une femme par contre… n’est-ce pas le propre d’une femme de susciter le désir d’un homme ? Alors pourquoi on dit toujours les filles ? Cette question lui sert de nouvelle rengaine tandis qu’elle se redresse enfin. Elle a les muscles maxillaires complètement raides après avoir gardé la bouche ouverte aussi longtemps. Pas de baiser : il fait partie de ces hommes qui ne veulent surtout pas savoir quel goût ils ont. Apparemment, c’est aussi un de ceux qui n’aiment pas se sentir impuissant car il reprend la direction des opérations.

Elle a mal au ventre.

Son regard accroche l’horloge qui trône sur le mur. Vingt-et-une minutes. Un demi-sourire vient éclairer son visage, ce qui a pour effet d’accélérer le rythme. S’il dure encore dix minutes de plus, elle pourra lui faire payer la demi-heure supplémentaire.

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