Vous le savez, elle l'apprend : la huitième croisade est une campagne militaire lancée par le roi Louis IX, futur Saint Louis, en 1270 à la suite des menaces que le sultan mamelouk Baybars fait peser sur les États latins d'Orient.

Vous connaissez bien les évènements, Marika balbutie dans son savoir et l'apprends : Baybars attaque les restes des États latins d'Orient et prend Nazareth, Haïfa, Toron et Arsouf en 1265. Hugues III, roi de Jérusalem, débarque à Saint-Jean-D’Acre pour défendre la ville alors que Baybars est monté jusqu'en Arménie qui est à l'époque contrôlée par les Mongols.

— Les mongols ? s'exclame-t-elle.

Evidemment, en tant que Russe, elle connait les Mongols. Mais pas ce pan de leur histoire, bien sûr.

Outre qu'en septembre 1269, Jacques, roi d'Aragon, qui s'est couvert de gloire en reprenant aux musulmans d'Espagne les îles Baléares (1229) et le royaume de Valence (1238), envoie ses deux bâtards Fernando Sanchez et Pedro Fernandez en Terre sainte ; elle apprend, abasourdie (vous le voyez à ses yeux brillants et l'entendez à ses soupirs) que les Hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem et les chevaliers de l'ordre du Temple ont grand peine à les empêcher de commettre des imprudences face aux provocations de Baybars qui cherche à attirer les croisés dans ses pièges.

Outrée, Marika découvre qu'ils finissent par rentrer chez eux sans avoir obtenu de résultat notable.

Pourtant, et malgré la passion que vous décelez chez elle, la jeune femme s'impatiente.

— Où est donc Prinn dans tout ce bazar ?

Elle ne croit pas s'y bien dire, lui faites-vous remarquer, farceur.

— Le fameux Ludvig Prinn a été découvert par les templiers en plein milieu d'un marché local. Surpris de découvrir un européen en pleine Terre Sainte, surtout un européen qui sacrifiait, dit-on, des enfants et des vierges, qui dansait, évoque-t-on, nu et ensanglanté autour de stèle impies, à la lueur d'une lune de minuit ; surpris donc, ils décident de l'emporter sur leur bateau, vers la civilisation, pour l'emprisonner, de juste !

— Alors, vous avez trouvé ? s'exclame-t-elle, les yeux qui brillent.

— Oui... Mais hélas rien de plus...

— Continuons ! vocifère-t-elle à voix basse.

Ces moments sont beaux. Un paradis, même un jardin d'Eden ! Vous êtes Adam, elle, Eve. Vous croquez joyeusement le fruit du savoir, communiant autour de Prinn, cette pomme juteuse – ou plutôt ce serpent, si on suit son descriptif malfaisant.

Ça pourrait durer toujours...

Pourtant :

— La bibliothèque va fermer ! assénez-vous comme bémol.

— Mais il n'est que midi !

— Le temps passe vite, hein ? ponctuez-vous d'un clin d'œil, définitivement à l'aise. On penserait qu'on est le soir ! (Elle grommèle) Hm... Justement, il est midi. Et à midi, la bibliothèque Miskatonic ferme, jusque 01h30 PM.

— Et pour quelle raison, je vous prie ?

— Privilège de la gardienne des lieux, j'imagine. Pendant ce temps, elle mange et range, mais nous sommes nombreux à penser qu'elle organise des messes noires ! ricanez-vous, content de ce trait d'humour très à propos.

— Je n'ai pas ce genre de temps à perdre, moi ! claque-t-elle, très bas. Cachons-nous ! On poursuivra les recherches pendant qu'elle déjeune !

On dit que quand quelqu'un est choqué, son cœur saute un battement. Le vôtre viens d'en sauter quatre. Vous regardez Marika, pantelant. Prompt à mourir de stress. La jeune femme vous soutien, comme une infirmière soutien un pauvre vieillard. Enfreindre une règle ? Est-elle folle ? Est-ce son sang russe qui parle ? À ce qu'il parait, ces gens sont sans foi ni loi (surtout Staline) ! Ont-ils seulement des bibliothèques publiques dans leurs steppes ? Des universités dans leurs déserts ? des forces de l'ordre dans leurs sous-bois ? Des lois ?

Vous défaillez. Pourtant, ses yeux le disent : elle est sérieuse.

Alors, qu'allez-vous faire ? Sauter quelques battements de plus en campant secrètement dans les allées ? Dans ce cas, allez à vos risques et périls au 35

Billevesées ruskov ! Vous n'en écoutez rien, cette fille est insensée ! Vous sortez gentiment, comme un bon élève (que vous êtes) et allez promptement manger un résidu de sandwich à la cafétéria du campus en vous rendant au 25