Chapitre 1

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Je cours.

Mes pieds s'enfoncent dans l'humus humide d'une forêt oppressante. Où que je pose le pied, une racine m'accroche, chaque branche fouette ma peau comme un fouet impatient. Mon souffle est court, déchiré, mais je n'ai pas le droit de ralentir. Je ne dois pas m'arrêter, pas maintenant.

Je fuis un monstre.

Mais ce n'est pas un de ces monstres imaginaires, issus des contes pour effrayer les enfants. Non. Celui-ci existe, froid, terrible. Son visage me brûle la rétine. Il est si familier. Si étrangement douloureux. Celui de mon père.

J'ai fugué. J'ai fait pire : je l'ai frappé.

Son regard... un mélange incandescent de choc et de rage pure. Ses yeux se sont écarquillés, et je sais que rien ne sera plus jamais comme avant. S'il me rattrape, je ne ressortirai pas de cette forêt intacte.

Alors je cours.

Un craquement ! Un souffle derrière moi... non, un grognement. Comme si la forêt elle-même m'annonçait le danger. Des loup surgissent du sous-bois. Ils m'encerclent, leurs yeux brillent, silhouettes grises et affamées. Mais je ne m'arrête pas. Je cours, encore et encore, le cœur battant contre mes côtes comme un oiseau pris au piège.

Et puis, au loin, une lumière ténue filtre entre les troncs.

Je m'y précipite, comme si ma vie en dépendait.

Merde.

Une falaise.

Une issue, mais un gouffre réel. Le vide. À mes pieds, l'absence.

Je freine, mes pensées s'emballent : sauter... retourner en arrière... fuir encore.

Mais derrière moi, j'entends son cri :

— KARA, FAIS PAS...

Je la reconnais, cette voix. Un mélange de désespérance, de peur, de colère. J'hésite, mon cœur refuse de se poser. Mon esprit craque.

Trop tard. Je n'ai plus le choix.

Je saute.

La chute est presque éternelle.

Je sens l'air me fouetter le visage, m'étreindre, me happer. Chaque seconde se dilate, je ne veux plus savoir ce que je fais. Ni où je vais. Ni ce qu'il arrivera après.

Puis l'impact, sans violence, comme une fin douce. L'eau glacée m'engloutit, me capture dans son silence absolu. Je ne frissonne même pas : ma peau est anesthésiée, mon esprit absent de douleur, de peur, de pensée.

La mer m'accueille. Elle me berce dans son calme absolu. Et je sens quelque chose...

Mes poumons se remplissent d'eau. Tout se brouille. Le soleil m'aveugle, le sel brûle mes yeux.

Maman...le seul mot qui me vint à l'esprit.

Je veux te revoir. Je veux que tu me prennes dans tes bras.

Si souffrir est le prix, je souffrirai.

Et puis mon corps descend, lentement, inexorablement.

Je perds conscience.

Et soudain... je suis ailleurs.

• • •

Je sens l'air froid. Une odeur de sous-bois, d'humus, de mousse. Je reconnais le craquement d'une branche sous un pas léger. Un hibou hulule, lointain.

J'ouvre les yeux. Le soleil n'est plus. À sa place, un autre astre : une lune partielle, argentée.

Je me redresse doucement. Je suis sur de la mousse. Moelleuse, réconfortante. Mes orteils frémissent, chauffés par une chaleur douce, légère.

Je tourne la tête. L'univers a changé.

— Oula, doucement. Vous allez vous faire mal.

Une voix m'interpelle. Je la reconnais à son accent léger, presque trop calme.

Je tourne la tête. Un jeune homme se tient près d'un feu, torse nu, la peau luisante sous la lumière lunaire. J'ai un arrière-goût amer dans la bouche.

Je sursaute et recule d'un pas, le cœur tambour battant.

— Qui êtes-vous ? ma voix tremble, étranglée, méfiante.

Il se lève, s'incline avec grâce, presque cérémonie.

— Je suis le Chevalier Rouge, pour vous servir, Madame.

Chevalier Rouge ? Et pourquoi m'appelle-t-il « Madame » ? Il est aussi jeune que moi !

Il esquisse un léger sourire, et s'éloigne pour raviver le feu.

— Excusez-moi... mais où est-ce qu'on est ?

Il ne se retourne pas tout de suite.

— Nous sommes dans le Bois d'Olympe, madame.

Il rallume méticuleusement un morceau de bois, le feu crépite plus fort.

Je fronce les sourcils. Le nom me frappe. À deux cents kilomètres d'où j'ai sauté...

Le mystère m'étreint.

— Si votre question est : comment sommes-nous arrivés ici... j'ai des ailes.

Je le fixe, interdite. Des ailes ? Un être ailé ?

Je sens l'invraisemblance de tout cela comme une gifle.

Cette fois, il se retourne.

— Je suis un hybride. Mi-homme, mi-phénix.

Mon souffle se bloque.

— C'est votre mère, la reine Dashka qui m'a sauvé de la colère des dieux. Il y a plus de deux cents ans maintenant

Ma mère ? Mon cœur se serre dans ma poitrine.

— Je voulais tant la rejoindre, j'ajoute dans un murmure sans le vouloir.

— Elle m'a dit de vous retrouver. Et de vous protéger... jusqu'à ce que vous vous révéliez.

Mon regard se fait intense. Je reprends mon souffle.

— Me révéler ? Pourquoi ?

Et... il lit dans mes pensées depuis tout à l'heure !

Il hoche la tête, d'un air mesuré.

— Excusez-moi, Madame, je pensais bien que vous vous poseriez des questions... mais peut-être pas que vous me les poseriez directement. Je ne veux pas qu'il y ait de malentendus.

Je respire lentement.

— D'accord... mais j'aimerais que tu arrêtes, s'il te plaît.

Il esquisse un sourire triste, presque doux.

— À votre aise, Votre Majesté.

Mes tempes battent la chamade.

— Et c'est quoi cette histoire de "Madame", "Majesté" ? J'ai l'air royale ? je crache presque.

— Bien sûr. Votre mère était reine. Alors... Vous êtes légitimement une princesse.

Une déflagration silencieuse secoue mon âme.

— Elle était... Reine ?

Le feu flambe, révélant son regard doré, intense, sérieux.

— Il y a beaucoup de choses que vous devez apprendre sur votre Royaume... et votre passé.

Je ferme les yeux un instant.

— Raconte-moi.

Le Chevalier rouge récupère un morceau de bois.

Il s'assoit à nouveau.

— Votre mère régnait sur Polexcendris, le Palais des Cendres. Vous êtes à moitié vampire, n'est-ce pas ? demande-t-il simplement.

Mon cœur saute. Je hoche la tête. Ma langue se noue.

— Et votre père... à moitié triton, à moitié humain. Très rare, voire impossible. Votre mère ne pensait pas qu'un enfant pourrait naître d'une telle union. Les hybrides sont censés être stériles.

Sa voix est douce, et pourtant chaque mot pèse sur mon âme.

Ses yeux me traversent.

— Mais vous êtes là. Et personne ne sait vraiment ce dont vous êtes capable. Peut-être accepterez-vous ces deux natures... Peut-être serez-vous parfois chauve-souris, parfois sirène. Ou peut-être ne serez-vous qu'une chose... ou rien du tout. Peut-être que vous êtes humaine.

Mon visage se contracte sous le poids de tout cela.

— Donc je ne suis qu'un être incertain ?

Il s'approche lentement, prend mon poignet dans sa main chaude, mesure mon pouls. Il pose sa paume sur mon front, sans rien dire. Je sens ses yeux me scruter.

— Vous avez l'air... humaine.

— Et ce n’est pas bien ?

— Vous n’avez pas envie de sang ? Ou une soudaine envie de plonger dans une mer douce ?

— Non je ne crois pas

— Très bien, alors il n’y a pour l’instant aucun souci à se faire.

Je reste un peu dans le flou quant aux explications ou conseils d’ailleurs, je ne savais pas. Je ne savais pas s’il disait vrai ou pas… Ma mère, une reine ? en voici une nouvelle.

Mais je crois qu'il y a un truc qui ne va pas chez moi. Pendant que ce chevalier rouge tournait le dos, je n’avais pas envie de fuir, ni de le frapper. Il n’a pas l’air méchant, ou vicieux… C’est pour ça que je ne pars pas ? je suis avec un inconnu en pleine forêt ? et qui me dit que je ne suis pas en train de rêver ?

— Excusez-moi, Princesse, je vous assure que tout cela est bien vrai, et je peux vous parler de votre mère... et de ce qui vous attend au palais, si cela vous rassurera

J'acquiesce lentement. Il esquisse un petit sourire.

— Il y a tant à découvrir dans ce monde... tant de créatures, tant de royaumes. Si vous le voulez, je vous guiderai.

Je relève la tête, le regard soudain plein d'étoiles tremblantes.

— Je veux bien.

Un silence se pose autour du feu. Il me regarde, avec soulagement.

— Il est temps de dormir. La route sera longue, semée d'épreuves. De rencontres, de dangers. Reposez-vous, profitez du calme.

Je hoche la tête.

— À une condition.

Il penche la tête.

— Je vous écoute.

— Tu peux m'appeler Kara. Et me tutoyer.

Il sourit. puis répond de manière solennel :

— Très bien... Princesse Kara.

Je ris doucement.

— Non, juste Kara. Et toi, c’est quoi ton prénom ?

Il me regarde, un instant suspendu.

— On m'appelle le Chevalier Rouge.

Je souris, :

— Ton vrai prénom. Celui que tes proches utilisent.

Ses yeux s'adoucissent. Et il murmure, sincère :

— Je m'appelle Calywen.

Un léger sourire fend ses traits. Mon cœur se desserre.

— Alors... Bonne nuit, Calywen.

Il répond avec douceur, la voix feutrée :

— Bonne nuit... Princesse.

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