Un amour

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1 mars, San Diego, Californie, USA, Amérique.

Un canapé moelleux, une vue splendide, un rayon de soleil levant balayant la pièce : que leur fallait-il de plus pour qu'ils se sentent heureux ? Oksana sentait que cet instant pouvait approcher de ce qu'elle aimait appeler la perfection.

— Est-ce que tu voudrais des enfants ? questionna soudainement Tessy d'un ton innocent, la tête reposant avec délicatesse sur ses genoux.

Oksana faillit s'étouffer et piqua un fard.

— Euh... Non... Enfin si... mais..., réussit-elle à bafouiller.

Il l'avait prise au dépourvu. Elle se garda quelques minutes de silence pour réfléchir en elle-même et lui offrir une réponse digne de ce nom.

— J'en veux trois, finit-elle par exposer calmement.

Son copain poussa un soupir. Elle détourna le regard de son reflet dans la gigantesque baie vitrée pour le poser sur lui. D'une main distraite, elle caressait ses cheveux coupés à ras.

— Trois ? C'est tout ?

Elle pouffa.

— Pourquoi ? Ça ne te suffit pas ?

Il prit un air tout à fait sérieux pour lui rétorquer :

— Tu sais, chez moi, la moyenne d'enfants par femme est plutôt de l'ordre de cinq.

Ses grands yeux aux cils ourlés qui avaient fait baver d'admiration tant de photographes contrastaient avec l'effet professeur-je-sais-tout qu'il tentait d'adopter. Y renonçant enfin, il pencha la tête en arrière afin de guetter la réaction d'Oksana.

— Oh !

Sa bouche prit une forme adorable, comme un petit rond de surprise.

— Et bien, on sera là pour faire baisser la moyenne éthiopienne, argumenta-t-elle alors que ses joues se rubéfiaient. Et pour monter le taux de fécondité ukrainien. C'est un pays européen, ils ne doivent pas vraiment être des champions dans ce domaine.

Tandis qu'elle déblatérait, Tessy s'était relevé et la regardait, une lueur d'admiration au fond des prunelles. Elle s'interrompit soudainement.

— Tu ne m'écoute pas.

C'était une affirmation plus qu'une question : elle connaissait son copain mieux que son frère et sa sœur. Elle secoua la tête en soupirant.

— Oksana... murmura Tessy en prenant son menton en coupe pour capter son attention.

Son ton était devenu plus doux et il l'enrobait comme un câlin à la framboise. Elle se plongea dans son regard, leurs yeux s'accrochant comme des aimants, sombres et passionnés chez l'un, céruléens et bruns amoureux chez l'autre.

Sans arrêter de la fixer, le jeune homme glissa une main entre deux coussins du canapé et saisit une minuscule boîte de la couleur de sa peau. Elle s'échappa de ses doigts longs et fins pour atterrir au creux de la main de sa compagne.

D'une main tremblante, le regard hésitant, elle l'ouvrit sous l'œil tendu de Tessema.

— Oksana Maksimovna Te-ka-te-chen-ko - ou peut importe commet tu prononces ton nom de famille - veux-tu m'épouser ?

Des yeux aussi étincelants que la bague dans le coffret se levèrent vers son visage. Mais les uns brillaient de larmes de bonheur et la seconde de diamant.

— Bien sûr.

Et un sourire s'éparpilla sur leurs mines heureuses comme au premier jour du printemps.

Ils restèrent de longues minutes à demi-allongés dans leur canapé, la tête de la jeune femme reposant dans le creux de l'épaule de son fiancé, leurs pieds entrelacés et leurs mines resplendissantes, occultant le monde extérieur pour jouir uniquement du moment présent.

— Tkachenko, murmura-t-elle finalement, et sa voix se perdit dans le silence de l'appartement.

Mais Tessy l'avait entendue parler. Elle répéta.

— Oksana Maksimovna Tkachenko. On prononce Tkachenko.

Il rit.

— Tekachenko, Takatcheko... Non, je n'y arrive pas.

Après un silence, il ajouta :

— De toute façon, bientôt tu seras Madame Oksana Alemayehou ; ma femme.

Un sourire rêveur s'épanouit sur les lèvres de la jeune femme. Elle remuait ces mots dans son cœur, les rendait délicieux à l'oreille.

Une ride assombrit soudain son regard. Tessema, toujours à l'écoute des battements de cœur de sa petite femme, le comprit avant même qu'elle ne se soit relevée sur un coude pour le regarder dans les yeux.

— Il faut que j'appelle ma sœur.

Son ton n'invitait aucune réplique. Elle sonda une dernière fois les yeux du jeune homme qui, d'un seul regard, fut capable de l'encourager. Enfin, elle se releva et attrapa son téléphone qui trônait sur un guéridon avant de s'enfermer dans leur chambre.

Tessema l'attendit sans bouger d'un millimètre. Il voulait de tout son être la rejoindre et la serrer encore un peu entre ses bras mais il savait qu'elle avait besoin d'un peu d'espace. Alors il la laissa seule avec le combiné et sa petite sœur de l'autre côté de l'océan Atlantique.

Il repensa à sa propre famille qu'il avait quittée pour emménager aux États-Unis. Il songea à ce fils, à ce frère, à ce neveu, à cet ami, que ses proches avaient perdus au profit d'un article dans les magazines de mode, d'une photo sur les panneaux publicitaires et d'un bref coup de fil annuel. Il ne regrettait pas d'être parti. S'il n'avait pas pris cette décision, jamais il n'aurait rencontré Oksana entre deux changements de tenues d'un prestigieux défilé. Elle était son rayon de soleil, celle qui donnait un but à ses journées. Elle faisait danser les papillons de son estomac et courir les frissons sur ses bras. Elle était tout pour lui. Le mannequinat est un univers si brutal et impitoyable qu'il songea que si elle n'avait été là, rien ne laissait présager qu'il serait encore en vie à ce jour pour l'épouser.

L'appel se prolongeait. Il hésita à intervenir, même en coup de vent, pour s'assurer que tout allait bien. Les murs étaient épais. Si elle pleurait, si elle suppliait sa sœur, il ne l'entendrait pas. Mais il se retint.

Alors, il songea à cette sœur, seule qui pouvait savoir, à l'instant précis, comment elle allait. Kattie. Oksana parlait très peu de sa famille mais il se souvint avoir entendu son prénom être prononcé dans une conversation. Il ne l'avait jamais rencontrée. Tout ce qu'il savait d'elle, c'est qu'elle avait vingt-trois ans et enchaînait les tubes avec son groupe de chanteuses internationales.

Parfois, lorsqu'elle se sentait d'humeur nostalgique, Tessy se rappelait qu'Oksana allumait leur lecteur CD rétro et écoutait à en avoir les larmes aux yeux la voix mélodieuse de sa sœur entrecoupée des chants de ses amies.

Elle avait un frère aussi, plus âgé mais qui aurait pu être son jumeau tant ils avaient été proches dans le passé. Tessema ne connaissait même pas son prénom. Bien qu'ils n'en aient jamais parlé, il se doutait que c'était pour elle un sujet tabou. Alors il la laissait éluder sans la forcer. Il attendait que le temps la libère de ses craintes et se livre à lui.

Son pays natal lui manquait. Il s'en rendait compte car lui-même ressentait le même sentiment pour son Éthiopie. Parfois, alors que la nuit les enveloppait de son manteau de velours, il l'entendait rêver en ukrainien et en russe, des songes de petite fille qu'elle avait quittés comme lui, pour rencontrer l'Amérique.

Tessema voulait découvrir ce passé, cette vie qui avait été la sienne. Il voulait la connaître entièrement. Il lui faudrait du temps pour y parvenir mais il attendrait et il atteindrait son but.

La porte s'ouvrit enfin et il la vit venir vers lui. Elle s'assit près de son corps et il l'entoura de son bras.

— Je vais en Belgique, la semaine prochaine. J'ai appelé Greg. Il me donne une semaine de libre.

Il soupira en entrelaçant leur doigts pour ne former qu'un unique bloc de paumes.

— Je t'accompagne.

Elle secoua la tête.

— Non, non, impossible. Christine t'a placé sur le shooting de Laura. Tu ne peux pas le louper.

Elle avait raison. Tessy le savait mais il ne voulait pas l'accepter. Alors, tandis qu'il ruminait entre ses dents en cherchant une solution qui n'existait pas, ils restèrent là à regarder San Diego vivre sa journée de l'autre côté de la vitre.

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