En avant les vacances II - Gare et Voiture

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17 juillet, Marseille, France, Europe.

Ekaterina courrait partout. Enfin, autant que ses talons hauts le lui permettaient. À bout de force, elle se résigna à les retirer pour soulager ses pieds. Le matin, en se levant, elle avait voulu se faire belle. Sans doute l'arrivée d'Antonio y était pour quelque chose. Désormais, elle n'était plus qu'une boule de nerf habillée d'une robe à fleurs, pieds nus.

Elle croisa son regard dans un miroir du vaste vestibule et sourit pour se donner du courage. Elle ne resta pas longtemps plantée devant la glace. Il y avait encore beaucoup à faire avant l'arrivée des invités. Bientôt, elle repartit dans sa course, pour récupérer à la buanderie les serviettes qui manquaient dans les salles de bains du deuxième étage.

Elle les trouva rapidement, enfouies sous un tas de draps propres. Elle repassa en coup de vent dans le rez-de-chaussée. À la cuisine, Honor, qu'on avait chargé d'aider la cuisinière à préparer les repas, coupait quelques fruits de saison au-dessus du bol en verre. Au menu ce jour-là : salade de fruits.

Ekaterina s'arrêta devant elle.

— Tu as vue Felicia ? Les bouteilles d'eau sont encore dans la voiture.

Honor lui répondit sans interrompre le mouvement du couteau sur les fruits.

— Je crois qu'elle est déjà partie avec Blake.

Ekaterina jura et Honor esquissa un sourire. Un grand fracas se fit entendre dans la pièce voisine.

— Kat, tu n'y tenais pas à ce vase, de toute façon ? cria Sun Mei à travers la cloison.

Ekaterina ouvrit de grands yeux ronds comme des soucoupes avant de se précipiter dans le couloir. Sun Mei se tenait devant un fracas de porcelaine, sur la pointe des pieds pour ne pas marcher dessus.

Ekaterina contempla les dégâts et brusquement, une corde cassa en elle. Soudainement, les larmes affluèrent sous ses paupières et elle éclata en sanglots saccadés. Ses genoux tremblèrent une micro-seconde avant de la lâcher. Elle s'écroula sur le sol, son corps entier secoué par les tremblements.

Sun Mei la rejoignit en un pas et enroula ses bras autour d'elle.

— Chhh... murmura-t-elle en la berçant.

Honor, alertée par le bruit, se précipita dans le couloir. Elle se plaça à côté des deux filles et commença à caresser les cheveux blonds d'Ekaterina. Les larmes finirent par se tarir et Ekaterina releva la tête.

— Il faut que je m'occupe de...

Elle chancela en se relevant et Honor la retint par le bras.

— Tu devrais aller te reposer.

Sun Mei hocha la tête en accord.

— Ça fait trois jours que tu bosses comme une forcenée. On peut prendre le relais. Va-t'allonger.

Ekaterina soupira et finit par céder après s'être assurée que toutes les tâches qu'elle s'était confié allaient être réalisées par l'une ou l'autre avant l'arrivée des invités.

Assise dans sa voiture, les deux mains sur le volant, position dix heures dix, Felicia se garait. Le parking de la gare était vaste. Trop même. Elle avait eu un mal fou à trouver une place. Elle sortit du véhicule et Blake en fit de même du côté passager. Lorsqu'elle aura dix-huit ans, ça lui semblera étrange de conduire seule, sans un copilote pour lui indiquer la route à suivre.

Elle claqua la portière, ferma la voiture et se dirigea vers le grand bâtiment de pierre blanche surmonté de son toit en verre. Blake la rejoint en trois foulées.

— Tu ne veux toujours pas me dire qui est la troisième personne qu'on doit récupérer ?

— Non, tu verras.

— Je la connais, au moins ?

— Qui ça ?

— La meuf que tu as invité !

— C'est pas une "meuf".

— Alors, je le connais ?

— Oui.

Blake du avoir capté un léger changement dans la physionomie de Felicia car elle se tourna franchement vers elle et lui attrapa le coude.

— Ne me dis pas que c'est...

— Théo ? Non.

Et Felicia fit un véritable effort pour prononcer son nom d'un ton neutre.

— Alors, est-ce que c'est...

Felicia dégagea son bras.

— Tu verras bien.

Elles entrèrent dans la gare de Marseille-Saint-Charles. Après un petit coup au panneau indicateur, elles s'engagèrent dans le flot des voyageurs. Le train en provenance de Paris-Gare-de-Lyon venait d'entrer en gare. Elles se postèrent près d'un lampadaire pour attendre.

— Felicia et Blake ? demanda une voix avec un fort accent derrière eux. Je suis Antonio.

Elles se retournèrent et Blake s'empressa de lui serrer la main. Felicia était pétrifiée. Bien sûr elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit le portrait craché d'Andris. Mais quand même. Quand Ekaterina disait qu'elle était passée à autre chose, elle ne mentait pas !

Antonio était tout le contraire. Son opposé parfait. De loin, il semblait plus vieux, plus mûr, plus aguerri. De près, tout était encore plus contradictoire. Son crâne chauve, ses tatouages, tout ce qu'Andris n'aurait jamais fait. Après l'avoir fixé plus longtemps que nécessaire, elle réussit enfin à tendre la main pour la lui serrer.

Sa bouche esquissa quelques mots. Elle les aligna auprès de ses oreilles pour comprendre ce qu'elle avait dit.

— Leur train arrive dans cinq minutes au quai K.

Ses propres mots sonnaient creux. Elle avança d'un pas raide vers l'endroit qu'elle avait désigné. Tandis qu'elle marchait, Antonio et Blake sur ses talons, un millier de questions cognaient l'intérieur de son front. Est-ce que c'était vraiment une bonne idée d'inviter Andris ? Pourquoi Nik avait-il parlé de culpabilité ? Comment Antonio réagira-t-il en voyant Andris débarquer ? Et Andris ? Il y avait un autre point qui n'avait pas été réglé : que dirait Ekaterina ?

Bon sang, dans quoi s'était-elle fourrée ?

Ils arrivèrent sur le quai en même temps que le train. Parfaite synchronisation. Selon sa grand-mère, c'était présage de malheur. Mais l’instinct et sa passion pour la superstition n'avaient pas souvent raison. Pour se calmer, elle pensa à toutes les fois  où les prédictions de sa grand-mère s'étaient révélées fausses. Elle n'en trouva pas assez pour penser que tout allait bien se passer.

Soudain, elle les vit arriver, leurs sacs de voyage sur le dos. Sans même les connaître, il était facile de savoir lequel des deux avait envie d'être là et lequel n'était pas venu de son plein gré. Un grand sourire s'étalait sur le visage de Nik. Il était visiblement aux anges. Et juste à côté, Andris tirait une tronche d'enterrement.

Blake se retrouva soudain tout près d'elle.

— Ne me dis pas que tu as fais ça ? Tu veux mourir, peut-être ?

Felicia ne lui répondit pas et s'approcha des garçons qui venaient à sa rencontre.

Elle serra Nik dans ses bras. Il colla sa bouche contre son oreille.

— Andris va sans doute vouloir tous vous étriper dès que vous dormirez. Il est de mauvaise humeur depuis qu'il a compris où on allait.

Elle hocha la tête avant de désigner Antonio.

— Je te présente Antonio.

Nik le détailla de haut en bas, enregistrant chacun des détails de son apparence.

— Je sais, répondit-il après sa minutieuse inspection. Nikita.

Il lui tendit une main que l'autre s'empressa de serrer avec un sourire. Ce seul mouvement des lèvres fit frémir sa moustache.

Nik se détourna rapidement de lui pour se jeter dans les bras de Blake.

Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les cinq assis dans la voiture. Felicia avait repris son poste de chauffeur, Blake à ses côtés. Entassés sur la banquette arrière, les garçons ne prononçaient pas un mot. Andris était appuyé contre la vitre et regardait le paysage défiler, comme si cela pouvait le dispenser de voir les autres occupants de la voiture. Antonio se pencha en avant pour interpeller Blake.

— Elle m'a beaucoup parlé de vous, dit-il.

Les filles hochèrent la tête avant de retomber dans un mutisme apaisant. Mais visiblement, Antonio ne voulait pas s'arrêter là.

Il tourna la tête vers Nik qui était posté entre lui et Andris.

— Vous devez être le copain de Felicia, alors ? hasarda-t-il imprudemment.

— Absolument pas ! s'exclama-t-il en retour avant de jeter un coup d'œil à la conductrice. Sans vouloir t'offenser, Feli, se reprit-il. On est seulement de vieux amis qui se retrouvent.

Felicia sourit dans le rétroviseur en réponse.

Antonio jeta un regard par-dessus l'épaule de son voisin.

— Et lui ?

— Non plus. Il est fiancé, lui murmura Nik en se penchant vers lui.

— Je t'ai entendu, grogna Andris.

Antonio se rapprocha encore un peu plus.

— Il ne devrait pas être super heureux ?

Nouveau grognement. La proximité des trois garçons dans la petite voiture était trop importante pour étouffer les sons.

Nik s'écarta pour s'appuyer contre le dossier de son siège.

— C'est compliqué, donna-t-il seulement pour explication.

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