Et elles s'éparpillèrent I - Rage

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1 août, Marseille, France, Europe.

Pour tout un tas de raisons qu'elles n'avaient pas eu le temps et le courage d'expliquer, Maisie et Sun Mei avaient décidé d'avancer leur voyage de quatre jours. Ainsi, elles passeraient un peu plus de temps au Québec avant de débarquer pour dix jours en Chine.

Elles devaient partir le lendemain à l'aube aussi elles firent les adieux le soir. On but un peu, pour célébrer l’événement, un peu plus que d'habitude même.

Les deux célébrées se couchèrent tôt pour être prêtes à temps pour leur départ à l'aube. Il fut décidé que ce serait Blake qui les y conduirait : elle monta dans sa chambre de bonne heure, bientôt rejointe par Ekaterina qui, depuis quelques temps, s'endormait tôt. Bientôt, il ne resta plussur la terrasse qu'Antonio, Andris et Felicia. Nik s'était affalé devant la télévision mais il ne dormait pas. Il n'était ni assez tard ni assez imbibé d'alcool pour cela.

Les deux hommes sur la terrasse discutaient entre eux tandis que Felicia lisait un des livres qui peuplaient la bibliothèque du salon. Il était en ukrainien aussi elle peinait légèrement.

La conversation dévia rapidement sur leurs copines et Felicia tendit l'oreille.

— Tu sais, dit Antonio de sa voix rendue pâteuse par l'alcool, j'y croyais pas mes yeux la première fois que je l'avais vue.

— Qui ça ? demanda Andris, en reprenant une gorgée de bière.

— Kattie.

Andris se crispa sur sa chaise mais ne répondit rien. Lorsqu'Antonio continua, il avait les yeux rêveurs.

— D'ailleurs, c'est comme ça qu'elle s'est présentée. Elle m'a tendu la main, sa jolie main, et elle m'a dit : Kattie, enchantée, je suis en vacances. Elle avait une très jolie robe, comme si elle sortait à peine de soirée. Mais il était presque dix heures du matin. J'ai fait une blague et elle a rit, elle a un très joli rire.

Plus il parlait, plus Felicia se rendait compte qu'Andris était mal à l'aise. Il était livide, au bord du malaise. Elle voulu s'approcher de lui mais Antonio l'empêcha involontairement de s'en mêler en continuant son discours confus.

— On aurait pu rester des heures à parler ainsi. Je l'ai su dès que je l'ai vue, avec ses longs cheveux blonds, sa taille fine, sa robe flottante, ses yeux rougis. Et puis, brusquement, on est sorti du café, on est monté sur ma moto, je sentais ses bras contre mon dos – qu'est-ce qu'elle sent bon ! – et on est parti dans les rues de Frisco. On filait dans le vent, et je la sentais appuyée contre moi, serrée contre moi.

Le corps d'Andris était désormais parcourut de frissons. Pour tenter de se contrôler, il appela à la rescousse des images mentales de Maya Andrea. Depuis qu'il était arrivé à la villa, elle lui permettait de chasser de son esprit la pensée qu'Ekaterina était souvent très proche de lui. Bien trop proche.

Insensible à sa détresse, Antonio poursuivait, comme s'il était seul avec ses rêves et ses espérances. Sans doute pensait-il l'être. Mais face à lui, affalé sur sa chaise, Andris perdait peu à peu pied sur ses résolutions.

— Je l'ai encore plus aimée – à ce mot, Andris poussa un cri étouffé par son poing – quand elle a dit qu'elle voulait se faire tatouer aussi. Bien sûr, je comprends rien à ce qu'elle a écrit mais c'est le geste qui compte, non ?

Là seulement, comme si ce mot possédait des caractéristiques magiques, Andris lui répondit.

— Non.

Cela sembla réveiller aussi Antonio.

— Quoi, non ?

— Écoute, Tonio, dit-il en ajoutant un accent moqueur à son surnom, il y a un truc qu'il faut que tu saches. Non pas que tu sois mon ami, ou que je te doive quelque chose, mais je porte ça en moi depuis trop longtemps pour pouvoir le dissimuler encore.

Il se redressa sur sa chaise comme si s'asseoir correctement lui permettait de reprendre du terrain et du courage.

— De quoi tu parles ?

— Ça concerne ta copine.

S'il prononçait son nom, il n'était pas certain d'être capable d'aller au bout de son idée.

— Kattie, quoi ? Qu'est-ce qu'elle a ?

— Quand on était petits... quand on était petits, nos mères étaient très amies. On se voyait tout le temps. On avait beau habiter dans deux pays différents, c'est comme si on vivait juste à côté. Je suis venu de nombreuses fois ici.

Il désigna la maison.

— La chambre où tu dors, c'était la mienne. Dans ton placard, il y avait mes affaires et dans la salle de bains, ma brosse à dent. On jouait tard le soir dans le jardin, on s'amusait à se cacher dans tous les recoins de la maison pour que nos mères ne nous trouvent pas. On avait tous les deux la frousse de la cuisinière. Avec cette grosse spatule qu'elle utilisait pour remuer les crêpes, elle nous menaçait de tout raconter aux parents quand on s'aventurait dans son antre pour piquer des bonbons. C'est ici que j'ai passé les meilleurs étés de ma vie.

— C'est tout ce que tu voulais me dire ? Parce que si c'est que ça, ça valait pas la peine de parler, le coupa Antonio avec un faux rire.

L'ignorant, Andris prit une profonde inspiration.

— On est sorti ensemble. Pendant des années.

Comme un tempête qui prendrait sa source dans les mots, Antonio se leva d'un bond et se jeta sur Andris. Il agrippa son col, le faisant décoller de sa chaise et, le tenant à hauteur des yeux, il lui cracha presque à la figure :

— Espèce de...

Durant quelques secondes, il s'étouffa avec toutes les insultes qu'il aurait voulut lui cracher à la tête. Mais il ne termina pas sa phrase. Il n'avait pas de mot à mettre au bout, seulement des coups. Alors il frappa. Son poing s'abattit sur la pommette d'Andris. Il s'écrasa sur la terrasse. Felicia hurla et se précipita mais Antonio l'empêcha d'avancer en faisant écran avec son corps.

Lui n'avait pas de force pour riposter alors il utilisa la seule arme à sa disposition. Il parla.

— Je pourrais dire que ça ne me fait rien quand je te vois glisser ta main sur sa hanche, quand je te vois lui toucher les cheveux, prendre sa main, l'embrasser. Mais bon dieu, qu'est-ce que ça fait mal.

Et il ne parlait pas du coup qu'il venait de prendre.

Le surplombant de sa hauteur comme un Goliath des temps modernes, ignorant jusqu'aux cris que poussait Felicia, Antonio s'avança lentement vers Andris. Mâchoire serrée, poings fermés, yeux en fente, il était la personnification même de la colère. Jalousie, aveuglement, tout se mélangeait en lui pour créer le monstre qui se tenait là.

Sur des paroles broyées dans sa bouche, il plongea sur sa victime et tenta de le frapper de nouveau. Mais, une force à laquelle il ne s'attendait pas le ceintura et le retint avant que les dégâts ne soient plus graves. Antonio se débattit et son coude vint frapper la côte de Nik. Il se plia en deux sous le choc et laissa échapper Antonio qui se précipita sur lui. Mais Andris avait eu le temps de se relever et il l’attrapa pour le plaquer au sol. Avec l'aide de son ami, il l'immobilisa.

— Je te comprends, Antonio, dit Andris dans un filet de voix. Depuis des années, je ressents la même chose. Mais laisser sortir cette émotion, c'est ne pas la valoir, elle. Alors, si tu ne le fais pas pour toi, contrôle-toi pour elle.

Bien que légèrement apaisé par son immobilité forcée, Antonio se dégagea rageusement et, sans un mot pour eux, il rentra dans la villa.

Alors, la tension qui s'accumulait dans l'air sembla tomber d'un seul coup. Felicia se précipita vers les garçons, les larmes aux yeux. Elle leur apporta des chaises et courut chercher de la glace. Elle fit si vite qu'ils ne remarquèrent même pas son absence.

Tandis qu'elle appliquait le froid sur la pommette d'Andris et tentait d'évaluer les dégâts sur Nik, elle ne put empêcher sa main de trembler.

— Eh.

Andris attrapa son menton et la força à le regarder. Une larme perlait au coin de l'œil de la jeune femme.

— C'est nous qui nous nous sommes fait tabasser, on devrait pleurer. Pas toi.

— Mais si j'avais réussi à...

Nik la coupa.

— Tu as fait de ton mieux. Et puis, Antonio méritait la raclée qu'on lui a mis.

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