Chapitre 2 : Souille

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Il pue ici. Je crois que je m'y suis fait. La cuvette des chiottes est remplie d'un jaune presque brun. Je me rappelle que je bois trop, mais franchement, je m'en fous. Je m'écœure, mais une fois la chasse tirée, ce n'est plus qu'un mauvais souvenir. Là où c'est alarmant, c'est que même une fois partie, ça pue tout le temps la pisse, ici.

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Je vais dans la cuisine. Tout pue aussi. Il n'y a qu'en faisant du café que j'oublie la crasse dans laquelle je vis. Le café pour les odeurs, et les bières, le whisky pour le reste. Pour moi, y'a pas d'autre solution pour oublier la merde.

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J'ai vu ça un jour. J'ai honte de l'admettre, c'était à la télé. Des types montraient qu'il y avait des particules de merde partout. Une chasse tirée, et la merde se colle aux murs, l'air de rien. Et mes murs sont tellement jaunes. Y'a pas que la clope, c'est sûr. Y'a pas que la merde non plus.

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Y'a la merde humaine, la pisse, le moisi des joints de la douche, l'huile collée à la hotte de cuisine, les éclaboussures de bouffe, les cadavres de mouches, les corps de moucherons, et la putain de souris morte sous le chauffe-eau que je peux pas atteindre, et la putain de souris morte sous le…

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Je suis pas comme ces blaireaux qui passent leur temps devant la télé. Un peu comme Katia, ma femme. Je sais pas d'où lui est venue cette idée-là, de regarder tous ces trucs, mais de toute façon, je m'y fais pas. Tout est faux là-dedans. Je l'ai bien vu quand j'étais là-bas. Mais l'envie d'en parler me manque.

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On dit que les soldats, quand ils reviennent de guerre, ils reviennent avec un poids énorme et qu'il leur faut soit un pilier familial énorme avec une confiance indéfectible, soit une thérapie terrible mais qui soulage. Mon poids, je le gardais pour moi.

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C'est pas sa faute à Katia. Je sais bien que c'est pas sa faute. Elle fait tout son possible ma Katia. Elle veut comprendre, elle voudrait bien être ce pilier, mais ça marche pas. Toutes voudraient être des béquilles pour leur homme, ces femmes. Toutes. Mais ça peut pas. On peut pas s'appuyer sur elles avec nos secrets. On peut pas faire se tenir un ours sur le dos d'un oiseau.

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Je m'installe dans le salon, avec ma femme. À la télé, c'est une vieille série. Un truc humoristique qui prend les spectateurs pour des cons. Un truc qui signale quand il faut se marrer, avec des rires préenregistrés. J'ai toujours détesté ça, et encore plus maintenant. Et elle rit, ma femme, discrètement.

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À une époque, elle aurait ri aux éclats, mais comme elle sait ce que ça me fait, elle le garde pour elle, son rire. Je la vois qui rit, non sans insouciance. Je me rappelle qu'à un moment ça allait mieux. Et là, avec son gros ventre rond, il y a un bonheur qui manque. A partir de quand ça a pu commencer à m'irriter, de la voir rire ainsi ?

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