Un ami est passé. Enfin, mon ami est passé. C'est le seul à avoir gardé contact avec moi, depuis là-bas. Des fois, je me dis qu'il est idiot. C'est pas naturel de continuer à se parler après ça. Mais il reste. Je crois que c'est sa manière de faire pénitence. La guerre nous a tous changés, mais je crois qu'il a toujours été foncièrement bon. Il s'appelle Léo. C'est un doux nom, "Léo", ça coule dans la bouche. Mais ça coule moins quand on sait.

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Il vient contre son gré, j'en suis certain. Ça pue trop ici, c'est trop sale, je vois pas quel plaisir on peut prendre à venir me rendre visite ici, là, dans cette maison en particulier. Le pire c'est que je ne la quitte presque plus.

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Il est passé, et j'étais dans la cuisine. Katia, elle a ouvert la porte doucement, comme une chatte. Elle l'a fait entrer et ils ont chuchoté. La télé hurlait encore mais j'ai entendu. Elle lui a parlé du moment où j'ai pleuré à cause de la souris. Il a retenu sa respiration, ils se sont embrassés et il est rentré. J'avais bu pas mal à ce moment-là.

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Léo est venu dans la cuisine, tout souriant. J'étais avachi sur une chaise minable qui supportait à peine les kilos que j'avais pris en trop. Et il me parle, Léo, toujours avec son air si bienveillant. Tellement gentil que j'ai juste l'impression d'être un petit vieux qui aurait fait dans son froc et qu'un aide-soignant plus patient que les autres me dirait que ce n'est pas grave. Mais c'est grave, putain !

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Eh bien ! On peut dire que tu es un bon vivant, mon gars !

Ta gueule.

On se refuse rien, je vois !

Ta gueule.

Allez, trinquons !

Putain, mais ta gueule !

Au pays !

Bordel !

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Je me lève. Je plonge mes yeux dans les siens. Pendant un moment, je crois qu'il comprend qu'il m'a fait chier. Mais pas loin, il y a Katia, juste à mes côtés. L'envie me prend de lui balancer mon verre de whisky dans la gueule, qu'il se coupe et sente ses yeux lui brûler. Mais au lieu de ça, je ravale ma fierté. Je prends la bouteille et lui serre un verre. Je lui tends. Il le prend.

Au pays !

Et il boit.

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Tu sais, Katia s'inquiète pour toi. Elle voudrait comprendre. Tu pourrais lui parler de quelques épisodes, je ne sais pas… C'est terrible, mais elle veut savoir. Après ça, tu iras mieux, sans doute.

Lâche-moi.

Réponds-moi un peu, je ne te reconnais pas.

Arrête.

Tu n'es plus le même.

C'est toi qui n'es plus le même. Tu es revenu et tu fais comme s'il ne s'était rien passé. Tu es le moins honnête de nous deux.

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Je voudrais hurler, encore. Mais rien ne vient. Il répète les mêmes choses et bientôt, je m'y fais. J'ai les yeux dans le tunnel, mon whisky dans le nez et les images dans la tête. Il n'y a qu'un écho, résonnant, mais pas assez fort pour me perturber. Finalement, il abandonne.

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Il parle à Katia. Mais elle ne fait que me regarder. Elle voit que je la guette. Je regarde si elle boit ses paroles comme elle le fait avec la télévision. Parce qu'il est pareil. Il raconte ce qui fait du bien à tout le monde, mais il ne dit pas la vérité. Et ça me brûle, à chaque fois que je l'entends. Mais je ne dis toujours rien. Des fois je me figure que l'alcool a dissous ma langue. Si seulement il pouvait dissoudre mon corps tout entier…

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Je me suis endormi. Ils sont montés à l'étage, et je me suis réveillé. Je crois avoir entendu Léo lui dire qu'il prendrait soin d'elle pendant que je cuve ma pisse et ma vodka. Quant au reste, ça m'a percuté les oreilles. La part de moi d'avant aurait pleuré, mais j'ai continué à boire. J'ai fait semblant de dormir quand ils sont redescendus. Ils se sont embrassés furtivement dans l'encadrement de la porte et il est parti.

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Katia est revenue. Elle m'a regardé, fixement. Je crois qu'elle voulait que je pleure comme j'ai pleuré pour la souris. Je l'ai observée, elle avait les yeux mouillés. Elle a ouvert la bouche comme pour dire quelque chose, et elle est remontée. Là, seulement, elle a pleuré.

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