Ça faisait longtemps que je n'avais pas entendu tel silence. La télé éteinte, Katia dans la chambre, le café déjà fait. Il n'y avait plus de bruit. Plus d'odeur de pisse. C'était une heure à laquelle j'aurais normalement été couché, alors l'éclairage différait. J'avais quelque chose dans le ventre, encore le goût des biscottes et du café, et ma femme m'avait touché. Tous mes sens étaient confrontés à de nouvelles choses. Ou plutôt à la nostalgie.

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Et pourtant il y avait le reste. Il y avait cette arme entre mes mains, dont je ne cessais de sortir et de rentrer le barillet. Il y avait l'attente d'un ennemi. Un adversaire avec qui j'avais partagé les mêmes rangs. Tout était propre, mais j'étais encore sale. Et là, c'était le grand nettoyage de printemps. Quand il passerait la porte, ça pèterait, et tout se terminerait.

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Le temps s'écoule, et je repense encore à quel point il était terrifié. Il a pleuré. Jamais je ne l'avais entendu le faire. Je sais désormais qu'il est comme moi. C'est une drôle de manière de se réconforter. Mais dans quelques heures, on ne sera plus similaire. Le pire c'est que je n'ai pas peur pour moi. Léo est un chien fou. Il était moins courageux, moins fort que nous. Mais j'ai peur de devoir tuer à nouveau. Tuer mon frère d'arme.

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Pourtant tu dois le faire.

C'est l'heure.

Tu savais qu'ils deviendraient tes ennemis.

Trahison.

Trahison, c'est un mot qui effraie.

C'est un grand mot.

Il te définit.

Mais tu as bien agi.

Tu trahis la parole perverse.

Tu trahis le pacte noir.

Tu trahis ma naissance.

Ainsi, je pourrai m'effacer.

Après la haine.

Après le meurtre.

Après la vengeance.

Je partirai.

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Il est là. L'Homme de poix, le Visage, la Souris, il est là. Je savais que cette lumière, ce silence, ce goût, cette odeur, toute cette propreté et ce filtre devant mes yeux étaient irréels. Il se dresse à côté de mon fauteuil, et je suis figé. J'ai la main crispée sur mon arme, mon corps dirigé vers la porte, et les murs se mettent à suinter. Est-ce que c'est ça, la réalité ? Ce beau réveil était encore un songe ? Je n'ai pas changé !

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Mais tu es sur le point de changer.

Regarde.

Ils disparaissent déjà.

Ils ont disparu, dès qu'ils ont su que tu dirais le mot.

Il en reste une poignée.

Leurs cœurs sombres s'embarrassent de honte.

La vérité assèche leurs gorges.

La peur creuse leurs ventres.

L'oubli disparaît, et la mémoire gonfle.

C'est une tumeur dans le sommeil.

Ils savent qu'ils ne pourront pas oublier.

Ils savaient.

Ils s'effacent.

Bientôt ce sera moi.

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Et moi ?

Et moi ?

Vais-je disparaître encore ?

Ce canon, dans ma main, s'il reste une balle, dois-je me l'infliger ? Dois-je aller contre le hasard qui m'a déjà sauvé ? Ai-je le droit d'oublier, maintenant que j'ai souffert ? Maintenant que j'ai admis ? Et si je le dis, qu'est-ce qui va changer ? Si je le dis aux gens de la télé, je risque quoi ? Je vais être jugé, et après ?

J'ai peur.

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Un soldat.

Il n'a pas peur de mourir.

Mais il a peur pour son honneur.

Tu l'as perdu en tirant.

On ne restaure pas le déshonneur par la vérité.

Mais ce serait justice.

Embrasse la honte.

Alors, peut-être.

Tu oublieras.

Et ils oublieront.

Nombreuses sont les guerres perdues dans l'oubli.

Mais tu n'oublieras qu'en étant purifié.

Soit par les flammes.

Soit par la vérité.

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L'Histoire est écrite par les vainqueurs. Et nous avons vaincu. Mais c'est faux.

Si je le dis, tout le monde saura.

Ce sera justice pour le peuple de cet autre pays.

Ce sera justice pour moi.

Je veux pouvoir oublier.

C'était une terrible erreur.

Je ne veux pas devenir comme ça.

Pas comme La Terreur.

Un moteur gronde.

Une Chevrolet.

Un homme en sort.

J'entends frapper.

Je reste à ma place, figé.

Il ouvre.

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