Chapitre 11 : Inutile

3 minutes de lecture

Il n'y a rien que je puisse dire. Rien qui vaille la peine pour toi. Je savais pas qui tu étais quand tu as passé la porte, mais je sais depuis longtemps qui je suis pour toi. "C'était une erreur", "Je suis désolé", "Pardon", "J'y ai pensé tous les jours". Je sais que ce sont des mots qui veulent plus rien dire. Pourtant, je les pense. Et ce sont ces mots qui m'ont fait admettre le crime que j'ai commis.

###

Je ne sais pas ce que je peux faire. Est-ce que si je disais ce que tu veux entendre, tu te sentirais vraiment mieux ? Et si je te disais ça : "La douleur, je sais pas ce que c'est. La peur, je sais pas non plus ce que c'est. J'ai tiré, comme ça. Ça m'a rien fait."

Est-ce que ça te libèrerait ?

Est-ce que ta vengeance serait plus savoureuse ?

Je sais que t'y crois pas non plus.

###

La vérité, c'est que je serai libéré. J'aurais pu me tuer. Ce n'est pas la première fois que je sors cette arme de son coffre.

J'ai passé ces trois dernières années à la regarder, à la caresser, à me demander si ce serait justice. Si tu m'as autant écouté, avec ces machines, tu sais déjà que me tuer serait ma délivrance.

Il n'y a que Katia qui me retient.

Katia, et la chose qui pousse dans son ventre.

###

J'ai du mal à croire que j'en parle si peu. Que j'y pense si peu.

Elle a un ventre bien rond.

Un ventre que je mentionne, et que j'évite aussitôt.

Un enfant pousse en elle.

Il est de Léo, je le sais.

J'ai passé tant de temps à me remémorer le couloir, la chaleur, le peuple de la trappe, que j'ai mis de côté ce qui se passait chez moi. J'ai préféré l'ivresse à la vérité.

###

J'ai feint le sommeil quand ma femme couchait avec mon ami, sous mon toit. Ce ventre, je l'ai ignoré, tout ce temps. Je n'ai fait que me dire qu'il manquait quelque chose quand je le voyais. Qu'il y avait un bonheur sous mes yeux, mais que je ne pouvais pas voir.

Moi aussi, j'aurais pu avoir les deux amours de ma vie. Mais ce que j'ai fait m'a privé de ce bonheur.

Je n'y ai plus droit, et c'est justice.

###

Je n'ai pas peur de la mort. Je l'ai côtoyée longtemps. Je n'ai pas même peur de ce qui se passe après. J'ai passé tout ce temps dans l'incertitude, alors l'inconnu n'est rien. Et l'honneur… Perdre mon honneur… Je l'ai déjà perdu en appuyant sur cette gâchette. En succombant à la chaleur, à la Terreur, à tous ces éléments qui nous ont fait tirer.

###

C'est terrible. C'est plus que terrible.

Mais y'a pas d'épopée.

Y'a pas de destin.

Y'a qu'une erreur.

Une erreur affreuse, un sursaut, des secondes où tout a changé.

Je ne suis pas un diable. Je n'en suis pas même un suppôt.

Je me suis seulement trompé.

Tu n'obtiendras rien en me tuant.

Y'a pas de repos, pas d'enfer, juste du néant.

###

D'ailleurs, qu'as-tu fait aux autres ? Léo s'est tué, mais les autres ? Tu sais ce qu'ils sont devenus, non ? L'homme de poix m'a parlé, avant que tu viennes. Il disait qu'ils disparaissaient. Qu'il en restait une poignée. Tu sais déjà, non ? Il ne me parle que lorsque je suis seul, mais toi, tu as tes micros. Alors, qu'as-tu entendu ? Ils sont morts, eux aussi ? Ils ont abandonné ? Tu les as tués ?

###

Non… Tu ne crois pas en la vengeance.

Tu es armé pour te défendre, pas pour me tuer.

Tu veux seulement t'assurer que je souffre.

Davantage.

J'ai peur.

J'ai tout le temps peur.

Pas de la mort, de l'inconnu, du reste…

J'ai peur de moi.

Et je regrette.

Ce n'est rien pour toi, je le sais, mais tu dois l'entendre.

Nous avons tous regretté.

Nous n'avons jamais oublié.

Les mots ont éclaté hier, comme des obus.

Mais il n'y avait personne pour les écouter.

###

J'ai parlé à Katia.

Je te parle, à toi.

Et maintenant je voudrais en parler au monde.

Mais c'est comme tu as dit.

On va s'en offusquer un instant, et on oubliera immédiatement.

Alors voilà, étranger.

On a déjà perdu.

J'ai perdu dès l'instant où je me suis enrôlé dans cette guerre.

Tu as perdu dès l'instant où elle a éclaté chez toi.

On a déjà perdu.

Donc tu peux me tuer, je te supplierai pas de m'épargner.

Mais ça changera rien.

###

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Brice Gouguet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0