Première Partie

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 J’ai ouvert les yeux dans un monde en fusion fait de feu, de chaleur, de lumière. J’en étais rempli, j’en étais l’essence, l’univers, le tout. Et lorsque, mû par une impulsion soudaine, j’ai posé le pied hors du noyau brûlant, je me suis retrouvé englouti par les ténèbres, suffoqué par la terre dure, compacte, infranchissable. Toutes ces sensations me traversèrent, m’habitèrent pour ne plus former qu’un autre univers, une autre essence, un autre tout. Je venais de naître en ce monde.

 Et j’avais soif de connaissance.

 J’ai immédiatement su comment façonner la terre à mon gré afin de me frayer un chemin dans ses entrailles ténébreuses. Elle était riche et pleine d’enseignements. Chaque pierre, chaque remblai, chaque couche détenait sa propre histoire, aussi vieille que le monde même. J’étais si petit, minuscule et insignifiant comparé à ce que je traversais avec un soin tout particulier.

 Je réussis à creuser ma première caverne souterraine où j’élis rapidement domicile. Proche du noyau incandescent qui demeurait ma source d’énergie principale, une douce chaleur s’y diffusait avec bienveillance et une lueur diffuse m’éclairait de sa présence. La terre et la roche s’étaient exécutées de bonne grâce, me donnant la mainmise sur elles ; elles faisaient à présent partie de moi, comme tout le reste. Néanmoins, cette grotte n’était qu’un premier jet, une tentative. Si j’étais destiné à devenir le roi de ce monde, il me fallait une résidence digne d’exercer mon nouveau statut. Un projet qui me prit un temps incommensurable pour le mener à bien.

 Combien exactement m'en fallut-il pour achever mon œuvre sacrée ? Des heures, des jours, des semaines, des mois, des années ? Je ne sais, la notion de temporalité me paraît tellement abstraite, encore aujourd’hui. Ce que je sais en revanche, c’est que j’y mis toute mon âme et toute mon énergie, et qu’aujourd’hui encore, il s’agit de mon œuvre la plus précieuse, la plus chère à mon cœur. Je bâtis un véritable palais souterrains aux multiples alcôves, aux centaines de chambres et de salles, aux plafonds gigantesques, aux couloirs et aux accès labyrinthiques. Je façonnai bientôt des meubles à même la roche pour mon propre confort égoïste. J’adorais tout particulièrement le fauteuil dans lequel j’aimais à réfléchir aux raisons de mon existence et à sa finalité, mais aussi à paresser sans autre but que celui de profiter de l’instant présent.

 Sans plus d’objectif, je m’amusai à explorer les limites de mon propre corps : je changeai à l’envi d’apparence et réussis à me fixer un point d’ancrage dans ce monde, à en faire enfin partie dans mon entier. J’aimai tout particulièrement mes pieds aux orteils allongés qui me permettaient de m’élever davantage comme pour toucher le lointain plafond du bout des doigts, mes mains fines aux longues griffes et la longue queue de chair noire qui me poussait au bas des reins. Celle-ci était d’ailleurs d’un usage plus pratique qu’esthétique : dans les méandres de mes galeries inégales, elle me permettait de conserver l’équilibre sans plus d’effort de ma part. Elle évolua en membre préhensile par la suite, ce qui m’offrit de nouveaux horizons. Plongeant mon regard dans le noyau incandescent de la Vie, je décidai de lui rendre hommage, me créant une longue crinière de poils roux sur le sommet du crâne, qui me descendit jusqu’aux épaules et dans la nuque. Parfaite. Mon apparence était désormais parfaite.

Je suis votre roi, à présent.

 Il manquait un artifice pour faire de moi un véritable roi aux yeux de la terre, du feu, de la lumière et des ténèbres. Il me fallait un ornement inhabituel et reconnaissable entre mille. M’inspirant de la dureté de la roche, j’imaginai deux cornes semblables à la texture annelée se recourbant en spirales de chaque côté de ma tête, et j’y ajoutai une couleur dorée – ou plutôt crème ? A bien y réfléchir maintenant… – pour leur donner une aura particulière, et les démarquer par rapport au reste de mon anatomie.

 Je pris alors place dans mon fauteuil favori et agençai le reste du monde qui se pliait à mes moindres caprices. La longue vie qui s’annonçait à moi me promettait de grandes choses. Et j’étais heureux.

 Une petite voix me souffla un jour à l’oreille que cette vie emplie de solitude ne pouvait pas être la finalité de l’existence qu’on m’avait insufflée. Mais de quoi donc se mêlait-elle ? J’étais le plus heureux sur cette terre, à régner dans un monde qui n’appartenait qu’à moi, à moi seul et ce, pour l’éternité.

 L’évidence me frappa comme un coup de poignard : j’étais seul. Irrémédiablement seul, et condamné à le rester, à ne partager mon royaume avec personne. Le doute s’empara de moi : était-ce bien là la finalité de mon existence ? Une grande tristesse m’envahit à la pensée de finir mes jours ainsi, alors que cela ne m’avait jusqu’alors jamais traversé l’esprit. À quoi bon vivre sans personne avec qui partager mes joies, mes désirs, mes déceptions et mes peines ?

 Je levai des yeux embrumés vers le plafond de rocaille loin au-dessus de ma tête. Y avait-il là quelque part un autre univers inexploré qui répondrait à mes attentes ? Je n’y tins plus, je me hissai, perçai la roche de mes griffes et creusai, creusai, à la recherche du bonheur ultime. Après un temps qui me parut interminable, une vive lumière m’aveugla, je me hissai dans sa direction dans un monde vide, poussiéreux, vaste plaine aux horizons infinis et ternes. Je jetai un œil de tous côtés, rien. Pas âme qui vive. M’étais-je trompé ? Mon cœur se serra. Étais-je bel et bien destiné à vivre seul ?

Non, cherche mieux, susurra encore cette voix à mon oreille.

 Alors, je m’exécutai, je cherchai avec ferveur celui ou celle qui m’accompagnerait dans mon règne, mes désirs, mes rêves, même si je devais parcourir des distances infinies pour le ou la trouver. Je te trouverai, toi auquel mon existence est liée. Nous régnerons sur ce monde ensemble et à jamais.

 Les fruits de mes recherches demeurèrent vains. L’obscurité s’abattit sur le monde de la surface et le froid s’enfouit dans ma chair, s’intercala entre mes os, me causa des frissons désagréables le long de l’échine. M’avouant vaincu pour cette fois, je m’enterrai à nouveau dans ma résidence souterraine, bienveillante et chaleureuse, dans l’attente d’un moment à nouveau propice pour poursuivre mes recherches. Et je continuai à chercher encore et encore, sans répit.

Je n’aurais de repos de te trouver, toi auquel mon existence est liée.

 Quel fut cet imperceptible mouvement, comme une caresse, qui effleura un beau jour la frontière terrestre entre le monde de la surface et le mien ? Je dressai la tête vers le plafond de rocaille, tendis le cou à l’extrême, dirigeai mes oreilles pointues dans la direction de ce frémissement léger, à peine discernable, afin d’en percevoir le son. Aucun bruit, seulement une sorte de… vibration lointaine. Elle s’éloignait. Non ! Reviens ! Ne me laisse pas !

 J’atteignis la surface, le cœur battant, le souffle court, avant même de réfléchir à ce que je faisais. J’avais suivi la vibration depuis les souterrains, creusant de nouvelles galeries désespérées, jusqu’à ce qu’elle se précise, s’intensifie. J’avais percé la surface, comme la première fois, et regardé tout autour de moi avec espoir et excitation. Plus bas sur la plaine se découpait une frêle silhouette blanche sur la terre brune. Une vague de chaleur et de joie me submergea avec une telle force que j’en eus les larmes aux yeux. Enfin, je n’étais plus seul. Désormais, nous étions deux.

 La silhouette s’approcha de moi, pas à pas, sans me voir tout d’abord. D’apparence frêle, elle était fine, la peau anormalement claire, et de courts poils blancs désordonnés s’étalaient sur son crâne. Non… pas des poils. Ce qui lui servait de crinière battait, avait une vie propre qu’il consacrait à cette deuxième essence. Celle-ci me paraissait si petite et si vulnérable.

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