3 — Ce Que Nous Sommes: L'Architecte de l'Ordre

4 minutes de lecture

La nuit était tombée depuis longtemps sur Paris lorsque Maxime Montalban s'autorisa enfin ce geste qu'il se refusait en présence de quiconque : il passa une main tremblante sur son visage. La fatigue n'était pas physique — son corps, comme son esprit, était entraîné à l'endurance. C'était une usure qui venait de la vigilance constante.

Sur l'écran de son smartphone personnel, la notification de l'application Surveillance luisait dans l'obscurité de son appartement privé. Le sujet s'était déplacé. Encore. Maxime fixa l'icône bleue pulsant doucement sur la carte, comme le battement d'un cœur étranger. Ace avait quitté son refuge près du canal Saint-Martin et se dirigeait vers l'est de la ville.

Il posa le téléphone sur la table basse en verre, le regard perdu dans les lumières de Paris qui scintillaient à travers les immenses baies vitrées de son penthouse. Ces mêmes lumières qui, à l'autre bout de la ville, vacilleraient imperceptiblement au passage de sa sœur. Ces mêmes lumières qui s'éteignaient parfois complètement, avalées par ce vide qu'elle transportait comme d'autres portent un parfum.

Trente-cinq ans de contrôle absolu, d'empire bâti sur la précision et la maîtrise, et pourtant, dans ces moments de solitude, Maxime sentait ce qu'il refusait d'admettre le jour : la peur. Pas une peur ordinaire, celle qui fait battre le cœur et fuir le danger. Une peur plus ancienne. La peur de ce qui ne peut être dompté.

Son téléphone vibra à nouveau. Cette fois, ce n'était pas l'application Surveillance, mais un message de Mademoiselle Dubois. Le rapport complet de l'évaluation d'Antonia était disponible. Maxime le consulta immédiatement, ses yeux parcourant les données avec avidité.

« Anomalie détectée à 11h43 : interruption temporaire de la performance optimale. Durée : 4 minutes et 27 secondes. »

Son front se plissa imperceptiblement. Antonia ne connaissait pas les interruptions. Sa faim de connaissance était constante, insatiable. Qu'avait-il bien pu se passer pendant ces 4 minutes et 27 secondes?

Il revint à l'application Surveillance, superposant mentalement les deux informations. À 11h43, Ace se trouvait à plus de dix kilomètres de l'école d'Antonia. Trop loin pour une influence directe, et pourtant...

Maxime se leva, incapable de rester immobile plus longtemps. Il s'approcha de la baie vitrée, son reflet se superposant aux lumières de la ville. Derrière son image impeccable — costume trois pièces parfaitement ajusté même à cette heure tardive, cheveux d'un noir d'encre tirés en arrière sans la moindre mèche rebelle — il voyait autre chose. Une ombre. Un doute.

Son besoin de certitude absolue vacilla, et cette sensation lui était intolérable.

Il tourna le dos au spectacle froid de son empire nocturne. Ses pas le menèrent vers son bureau en ébène de Macassar, un bloc massif taillé dans l'autorité elle-même. D'un geste précis, il activa une console de surveillance discrète qui fit surgir une myriade d'écrans : données financières, réseaux logistiques, flux d'informations cryptées. Son monde.

Il s'assit, le dos droit, comme à son habitude.

Dans l'esprit de Maxime, Ace s'infiltrait comme un poison, niant la vie elle-même. Sa présence effaçait l'énergie du monde, comme si l'existence même était trop lourde à porter. C'était la seule explication que son esprit pouvait tolérer. Accepter qu'Ace puisse atteindre Antonia à travers la distance, c'était admettre que ses défenses, ses calculs, ses précautions — tout cela pouvait être rendu insignifiant par ce vide ambulant qu'était devenue sa sœur.

Antonia était son ancre, le parfait contrepoint de l'entropie. Sa soif de connaissance brûlait comme un feu qui dévorait les ténèbres, substance face au vide. Si elle vacillait, tout vacillait.

Il revit en pensée le visage de la petite fille, ses yeux fauves si avides. Son esprit dériva vers l'incident du "braquage à domicile" — cette petite tragédie orchestrée avec une précision chirurgicale pour libérer Antonia de parents biologiques insignifiants et l'intégrer à son monde sous la tutelle d'Irène et Roxy. Un mal nécessaire. Il avait investi en elle plus qu'en quiconque.

Un signal lumineux clignota soudain sur un écran annexe, moins grave mais plus irritant.

« Alerte Mineure : Perte d'Inventaire non Autorisée (Branche Champs-Élysées) »

Maxime pinça l'arête de son nez, un geste rare de contrariété. Inès et Ava. Les jumelles Karpel. Leur existence tissait une blessure constante dans la trame de son ordre parfait. Elles ne représentaient pas la menace existentielle d'Ace, mais un chaos mesquin, cette bassesse humaine qu'il s'efforçait d'éradiquer. Elles prenaient, désiraient ce qui appartenait aux autres, sans aucune conscience du plan supérieur. Il les tolérait, car les éliminer aurait été admettre son échec à contenir la nature humaine de ses propres sœurs. Mais leur parasitisme lui rappelait quotidiennement que le chaos n'était pas seulement une force extérieure ; il rongeait l'intérieur même de sa famille.

D'un geste las, il balaya l'alerte vers un écran périphérique. Encore un désordre qu'Irène devrait rectifier à l'aube, encore une fissure dans l'édifice parfait qu'il s'efforçait de maintenir.

Maxime se rappela leur réveil dans ce monde, ces premiers moments de conscience où ils avaient réalisé leur nature, leur lien. Ils n'étaient pas une famille au sens humain, mais quelque chose de plus ancien, de plus fondamental. Des concepts devenus chair. Des forces devenues conscience.

Il avait pris la tête de ce septuaire dès le début, naturellement, inévitablement. L'Orgueil ne pouvait qu'aspirer à diriger. Pendant des années, il avait bâti Superna Corps comme un vaisseau pour leurs existences, une structure où chacun pouvait exprimer sa nature sans détruire le fragile équilibre du monde. Tous l'avaient accepté — sauf Ace.

Son attention revint à l'icône bleue d'Ace, qui s'était immobilisée. Elle avait trouvé un autre refuge pour la nuit.

Maxime se leva de nouveau, retournant vers la fenêtre d'un pas délibérément mesuré. Il leva lentement le poing et le serra jusqu'à ce que ses jointures blanchissent, défiant la nuit et la ville entière.

Sa détermination se reforma, reprenant ses droits sur la peur. Il devait planifier, réaffirmer son contrôle. Il devait s'assurer qu'Antonia ne vacillerait plus.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Sebreton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0