Chapitre 1 - 2/2

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La neige disparu en un instant. Le paysage, devenu noir, n’était ponctué plus que par de faibles lumière, plantées à égales distances les unes des autres. Nous venions d’entrer dans un tunnel. Le train, se déplaçant à une vitesse déjà moindre, décéléra davantage.

Vanika reprit son sérieux à nouveau.

— Je t’avais dit que nous arrivions.

L’entrée dans ce boyau m’avait immédiatement refroidie. La Dakhma se trouvait là, tout près. J’allais bientôt savoir à quoi – et à qui – j’allais avoir à faire. La mine critique de ma sœur devait avoir déteint sur moi.

— Naila, écoute-moi bien.

Le ton de sa voix n’avait plus rien à voir avec celui de la femme aimante qu’elle a toujours été. Si les Sibériens étaient des gens aussi graves que prétendu, alors Vanika les dépassait peut-être à cet instant..

— Tout est planifié. Tu n’auras qu'à suivre les agents qui encadreront ton stage, mais seulement…

Elle se racla la gorge, paupières plissées, ses yeux profondément ancrés dans les miens. Ses mains, liées entre elles, reposaient sur la table comme l’aurait fait un embaucheur posant une ultime question.

— Là-bas, je ne te demande qu’une seule chose : ouvrir grand tes oreilles. Ne joue pas les têtes brûlées, ne prends pas les devants dans une situation qui t’échapperait à coup sûr. Juste, retiens bien tout ce que tu entends. Si les Sibériens ont bien un rapport avec ce bateau, peut-être laisseront-ils échapper un détail, aussi petit soit-il.

Ses membres se relâchèrent à la fin de sa consigne. Les miens firent de même, mais seulement car son regard, terriblement obscurci, venait de s’éclairer à nouveau. Elle était redevenue cette personne soucieuse d’il y a deux minutes.

— Tu as bien compris ?

— Pas d’intervention, répétai-je. Juste noter ce qui est suspect dans un coin de ma tête.

— Parfait. Ah, une dernière chose. C’est Snow Fire qui me l’a suggéré…

Elle se tourna vers le siège à côté d’elle, occupé par son sac. Celui-ci étant plutôt vide, elle en extirpa immédiatement un smartphone identique au mien sur lequel elle pianota un petit moment. Enfin, elle me tendit l’objet. Sur l’écran figurait le visage d’un jeune homme, cheveux de jais en bataille et sourcils broussailleux, une mâchoire d’apparence solide et des yeux impossibles à oublier ; Ils étaient d’un orange vif, une discrète pupille noire placée au centre de chaque iris. J’aurais juré que ce type me regardait précisément, que son image fixe pouvait bouger à tout moment et que ce reflet dans ses mirettes n’était autre qu’un feu en furie. Je demandais simplement à Vanika :

— Qui est-ce ?

— Inutile de le savoir. Mais si tu le vois dans la tour, retiens-le. Idem s’il parle, même si ce n’est que pour demander l’heure. Retiens tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait.

— Et comment il s'appelle, au moins ?

Elle parut hésiter. Ses pensées devaient tourner dans sa tête à vive allure, autant que ses yeux passaient de son téléphone à son reflet dans la vitre de la cabine.

— Il s’appelle Hugo.

C’est tout ce qu’elle me révéla de lui.

Le train s’immobilisa peu après, mes questions toujours en suspens sur mes lèvres. Le crissement des freins s’accompagna d’une désagréable odeur de métal brûlé. Vanika se leva la première, enfila son manteau tactique et jeta son sac sur l’épaule, son livre balancé à l’intérieur en moins de deux. Je fis de même avec ma veste softshell de sport et mon sac de cours, celui qui me suivait sans relâche depuis mon entrée au collège. À côté de ma superviseure équipée, j’avais l’air de la parfaite touriste qui recherchait un coin où faire du ski de fond.

Je détaillais furtivement l’espace qui s’étalait au-dehors, mais ne vit pas grand-chose. Il était trop sombre par rapport à l’éclairage dans notre wagon. Je me distinguais mieux que les silhouettes qui s’affairaient derrière la fenêtre. Un type ouvrit la porte de l'extérieur, monta et attendit que nous nous retrouvions à sa hauteur. Mais juste avant qu’il ne s’adresse à nous, Vanika pivota vers moi en me tendant la main.

— Donne-moi ton téléphone.

Je ne réfléchis pas. Je le lui remettais et lui demandais, curieuse :

— Pour quoi faire ?

— C’est interdit ici. Andreï te montrera comment joindre tes proches. Il y a une salle pour ça.

Se tournant vers l’homme, elle lança :

— Bonjour, Andreï. Tu feras ça, n’est-ce pas ?

Le susnommé hocha la tête. Il marmonna un “m’dame” à demi mâché par le col qui remontait presque au-dessus de sa bouche. Si son visage était quasiment celui d’un ado, cheveux et yeux clairs, nez en trompette et pas une ride, ses oreilles étaient celles d’un lutin. Immenses, comme sa veste – ouverte sur un polo noir – aux manches trop grandes et le pantalon dont la ceinture, pourtant serrée au dernier trou, ne le retenait qu’à moitié. Néanmoins, je me détendis car je supposais que nous avions la même tranche d’âge.

— Veuillez me suivre.

Il s’éclipsa, Vanika sur les talons. Elle me fit remarquer l’absence de quai et me montra la barre à tenir si je ne voulais pas chuter sur les graviers. C’est en descendant que je remarquais la longueur de notre train. Des hommes, tous vêtus pareil, s’affairaient à décharger des caisses puis à en monter d’autres en braillant en russe. En fait, notre train ne comportait qu’un seul wagon passager - le nôtre - avec ses compartiments. Le reste mêlait plateformes et bétaillères dans une succession des deux qui n’en finissait plus.

Lorsque nous prîmes un peu de recul, je pris conscience que notre arrêt s’était fait dans l’antre sinistre d’une gigantesque gare : les embranchements de rails se mêlaient sur des milliers de mètres carrés, sous un dôme de pierres et de béton. La superstructure au-dessus de nous ressemblait à un ciel de ciment noir, dont les étoiles n’étaient autres que la faible lumière de lampadaires placés ici et là. Nous ne distinguions pas l’entrée de notre tunnel. En revanche, il y avait bien d’autres sorties à droite comme à gauche, avalant des rails qui n’avaient peut-être jamais servi tant ils étaient délabrés.

Nous quittions la gare en nous enfonçant dans une galerie à peine plus étroite que celle d’où venait notre diesel. Vanika et Andreï s'étaient mis à parler en russe à côté de moi, et je fis mine de ne pas paraître agacée de ne rien comprendre. Cela dit, je captais quelques mots, puisqu’ils échangeaient vraisemblablement des banalités. Le froid mordant me fit frissonner, à la suite de quoi je remontais mon écharpe jusqu’à mon menton. Vanika le vit et m’assura :

— Ils te donneront de meilleurs habits, ne t’inquiète pas.

— C’est clair que par rapport à Naples, le climat ici n’est pas très tendre, répliqua Andreï.

Il avait cet accent propre aux Balkans.

— Tout le monde parle le russe, ici ? demandai-je vivement.

Il haussa les épaules.

— Beaucoup maîtrisent l’anglais sans trop de problèmes. Au pire, que sais-tu parler d’autre ?

— L’italien et le français. Je m’entraîne au russe.

— Cool, ça devrait le faire.

Il s’arrêta à côté d’une alcôve. Dans la roche excavée était fichée une porte rongée par la rouille. Andreï était sur le point d’ouvrir la bouche, mais Vanika le devança :

— Je vais attendre le directeur ici. Il ne devrait pas être long.

— Exact. Je pense que nous le croiserons en chemin, affirma l’autre.

— Naila, Andreï va te montrer tes quartiers. Je reviendrais vers toi dès que nous aurons fini de discuter, monsieur Catenae et moi.

Je hochais la tête. Vanika poursuivit sa route dans le tunnel pendant que le jeune faisait affreusement grincer les gonds inutilisés de la porte. J'en déduisis sans peine que cet accès était loin d’être le principal… Le crissement de l’acier me fit penser à une myriade de cris amalgamés. C’était comme si Andreï venait d’ouvrir la porte d’un Enfer dont j’ignorais tout.

La seule question que je me posais était de savoir si le Kazakhstan avait été une option plus ou moins lugubre…

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