Chapitre 2

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Nous entrâmes dans un corridor à la charpente ronde toute en béton. À peine Andrei eut-il refermé la porte qu’un cliquetis inquiétant s’échappa de la serrure.

Chert*!

Le jeune homme, furieux, tira brusquement sur la poignée. La porte tremblait tout juste et ne s’ouvrit pas.

— Que se passe-t-il ? demandais-je, en retrait.

— Le verrou s’est pété. Il a bloqué le mécanisme. Sans doute la rouille…

— C’est grave ?

— Il faudra faire le tour quand on voudra rejoindre le couloir central.

— Super, ça fera marcher !

Andrei ne partageait pas mon enthousiasme. Ses bras retombèrent le long de son corps. Résigné, mon guide poursuivit son chemin dans le corridor mal éclairé, moi à sa suite. Nous passâmes un escalier puis un coude virant à droite une vingtaine de mètres plus loin. Dans ce nouveau couloir bétonné, je vis de chaque côté des rangées de portes ; en leur centre figurait une large manivelle. Andrei en choisit une parmi la dizaine que je comptais. Il déverrouilla l’accès d’un tour de poignée puis entra. Je le suivis mais restai sur le pas, suspicieuse, le temps que lumière terne du plafonnier ne s’allume. À l'intérieur de la pièce se trouvaient un désuet bureau accompagné d’une chaise et une étagère en métal. Ce tableau spartiate était complété d’un lit en ferraille corrodé. Une misérable douche sans rideau ni revêtement au sol se tenait dans un coin. Rien de plus. Mon guide s’empara des couvertures pliées sur le matelas.

— Tiens, quelqu’un a déjà préparé ça pour toi.

Il renifla les tissus rapidement, puis hocha la tête. Ils avaient l’air assez propres à son goût, bien que leur couleur terne et les quelques tâches sombres que je leur distinguais me rebutaient intérieurement.

Je posais mon sac sur le lit, pensant que Andrei allait me laisser quelques minutes pour m’installer. Mais il resta planté là et tendit vivement une main en direction de mes affaires. Je ne compris pas de suite où il voulait en venir. Mes yeux passèrent de sa main à sa tête dans une expression confuse.

— J’ai pour ordre de fouiller tes biens.

Sa phrase me figea sur place.

— J’ai remis mon téléphone à Vanika…

— Oui mais je dois m’assurer que tu ne caches pas une arme là-dedans.

— Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt, alors ?

Ses oreilles rougirent en une fraction de seconde. Andrei ne répondit rien à ma question. Toutefois, quelque chose le faisait réfléchir, je le vis dans ses yeux soudain inquiets. Un oubli, peut-être. Ou bien une interversion dans ses tâches.

Sa main restait pointée devant moi.

— D’accord, laisse-moi trente secondes, répliquai-je.

Je retournais mon sac sur le lit. Le contenu ainsi déversé, je jetais le cartable vide entre les mains du jeune homme. Il secoua la tête, de retour dans le monde présent. Le temps qu’il inspecte chaque poche, je me hâtais d’organiser sur le matelas vêtements et papeterie de bureau. Andrei jeta un œil à ce que je faisais, mon sac toujours entre ses mains. Je m'attendais à le voir tout remettre en bazar dans une frénésie digne d’un détective privée. À la place, il me dit brièvement, ses yeux qui détaillaient l’inventaire :

— Soulève.

Il pointa un doigt vers un premier objet.

— Soulève.

Je m'exécutais. Andrei en désigna un autre.

— Soulève.

— Tu ne vérifies pas toi-même ?

Niet. Soulève.

Rebelote. Il me fit faire cet exercice jusqu’à ce que l’intégralité du contenu soit passée au crible. Andrei n’avait toutefois pas pris la peine d’inspecter les sous-vêtements - exceptées les chaussettes dont il avait ce coup-ci pris les pelotes dans le but de les tâter. Dans le peu que j’avais embarqué ne figurait même pas un ordinateur portable, encore moins une tablette. Mon casque, sans mon smartphone, était devenu totalement inutile. Il n’y avait que de quoi me changer, écrire et me laver. L’objet le plus volumineux était mon drap de bain.

Le jeune homme me demanda d’ôter ma veste pour vérifier celle-ci, et promit de faire vite avant que l’humidité ne me trempe les os. Je lui demandais s’il en avait fini avec l’étalage sur le lit. Il approuva, à la suite de quoi je replaçais mon nécessaire de voyage dans le sac qu’il me rendit.

— Est-ce que tu dois me fouiller moi ?

Cette question était apparue dans mon esprit dès qu’il eut mentionné la fouille. Il répondit, sans même me regarder, d’un geste de la main traduisible par “ non, c’est bon “.

— O.K.

Il me jeta la veste.

— On a fini, alors ? demandais-je, le vêtement aussitôt remis sur les épaules.

— Qu’est-ce que c’est ?

Il tenait entre les doigts un petit objet noir et brillant. La vision de la petite chose me fit l’effet d’une douche froide.

— C’était dans une poche de ton sac.

— C’est une clé USB…

Il déboita le minuscule couvercle de protection. Je n’avais pas menti.

— Tu n’as pas d’ordinateur.

— Désolée, j’aurais dû la laisser à la maison… J’ai cette clé tout le temps avec moi, c’est pour les cours.

Andrei me regardait cette fois avec méfiance. Après un bref silence, il la mit dans sa poche.

— Je garde.

Ce fut à mon tour de changer de couleur. La panique soudaine me fit parler plus vite que je ne pensais.

— Non, s’il te plaît !

— Je te la rendrais avant ton retour. Peut-être.

— Promis, il n’y a rien de corrompu dessus !

— C’est ce qu’on va voir. Reste ici.

Mes supplications ne l’atteignirent pas. Il quitta la pièce à grandes enjambées et disparut à l’autre bout du couloir. Je ne l’avais pas suivi plus loin que la porte à manivelle, non sans continuer de lui crier que cette clé était tout ce qu’il y avait de plus inoffensif. Seulement, je l’avais trompé sur un point, et s’il en analysait le contenu, il se rendrait bien compte que ce dispositif n’était pas du tout un support de cours. Pas vraiment.

C’était une sorte d’almanach. Il comportait l’intégralité des films promotionnels d’IRIX - y compris ceux n’ayant jamais été diffusés. Ces vidéos, agrémentées de superbes fiches internationales, me permettaient d'appréhender la nature de ces guerriers que l’on appelle les Béhémoths. Des hommes de toutes les origines destinés à porter le fleuron de la technologie militaire humaine.

Dans mon emploi du temps figurait la matière d’électrotechnique. Le chercheur qui l’enseignait était un quadragénaire oscillant entre les amphithéâtres et les labos d’IRIX. C’était aussi un homme complètement dingue des Béhémoths. La majorité de ses cours et ressources gravitaient autour de ces soldats. Élève modèle de ma promotion, j’avais rapidement sympathisé avec ce professeur - et les autres, bien entendu. Sa reconnaissance envers mon excellent travail s’est traduite un jour par cette clé, donnée en main propre afin que je ne réalise ce qui devint plus tard “son mémoire de licence en ingénierie électronique favori”. Rien que ça.

Depuis, cette clé ne quittait jamais mon sac. Des heures et des heures de superproductions stockées sur ce dispositif. Des heures que je pouvais regarder inlassablement à la place de Netflix. Je ne réalisais que maintenant, les yeux rivés sur mes chaussures de marche toutes neuves, que je ne les verrais peut-être plus jamais.

***

*Chert ! : “ Diable ! ”, “ Merde ! ” en russe.

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