Nouvelle concurrence

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Toulouse, Quartier des chalets - Canal du Midi

Rachid Zekkal gara sa voiture sur un espace autorisé et s’acquitta du paiement pour une heure de stationnement. Il avait beau être l’un des principaux lieutenants d’Abou Belkacem, il ne souhaitait pas attirer l’attention sur lui par des actes de délinquance urbaine, aussi minimes soient-ils. Il avait déjà fait le tour des revendeurs dans le quartier du Mirail et près de l’université Toulouse-Capitole, en centre ville. Au Mirail, personne n’avait rien remarqué d’anormal. Rachid n’en fut pas surpris, ce quartier était sous le contrôle étroit des Maghrébins et personne ne se serait risqué à chercher à s’y implanter sous peine de graves désagréments. Dans le secteur de l’Arsenal, par contre, on lui avait rapporté que de nouvelles têtes avaient fait leur apparition, encore assez discrètes. Des blancs, exclusivement, plutôt du nord avaient précisé ceux qui les avaient repérés.

Zekkal marcha vers la place Roquelaine et entra dans un petit bar. Il se dirigea vers la serveuse et lui dit quelques mots. L’employée ouvrit une porte donnant sur l’arrière de l’établissement et lui fit signe d’entrer. Le local servait à la fois de bureau et de réserve pour les boissons. Des caisses de soda et des futs de bière étaient entassés sans ordre. Un homme au teint mat était assis à une petite table couverte de documents comptables.

« Salam aleykoum, Mehdi.

— Que la Paix, la Miséricorde et la Bénédiction d’Allah soient sur toi, Rachid. Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de ta visite ? Veux-tu un peu de thé ou autre chose ?

— Je veux bien du thé, oui. »

Le gérant du bar se leva et alla chercher deux verres et une théière dans le coin de la pièce. Il prit le temps de servir la boisson selon les usages. Quand Rachid eut terminé la première gorgée, il entra dans le vif du sujet.

« Dis-moi Mehdi, as-tu constaté des changements dans le quartier ces temps-ci ou des événements anormaux ?

— On a bien sûr beaucoup parlé de ce qui s’est passé sur le marché, tu transmettras mes condoléances à Abou.

— Merci pour lui.

— Sinon, il n’y a rien de bien nouveau, les affaires sont assez calmes, la police ne nous emmerde pas trop.

— Les filles ne t’ont rien rapporté ?

— En fait, si, puisque tu m’en parles. La semaine dernière, j’ai entendu Amina qui se plaignait de voir des filles blanches qui tapinaient dans son secteur. Elle a dit qu’il y en avait deux ou trois qui se relayaient à l’angle de la rue Christophe Colomb et du boulevard Matabiau, le long du canal.

— Elle a dit d’où elles venaient ?

— Pas à moi en tout cas, mais on peut lui demander, elle doit être dans le coin à cette heure-ci. Tu veux que je la fasse appeler ?

— Oui, s’il te plait. »

Mehdi se leva et alla interpeller un client du bar avant de revenir s’asseoir face à Zekkal.

« Si elle n’est pas occupée avec un micheton, elle sera là dans dix minutes.

— Nous avons tout le temps. Parle moi de ta famille, comment vont les enfants ?

— Ils grandissent et l’ainé ne veut plus aller à l’école. Tu crois qu’Abou pourrait lui trouver un job ?

— Quel âge a-t-il ? demanda Rachid.

— Il vient d’avoir seize ans. Je ne veux pas qu’il reste à trainer tout seul à la maison.

— Je vais en parler à Abou. Je te dirai ça. »

Comme annoncé, après quelques minutes, la porte s’ouvrit pour laisser place à une grande femme noire, très maquillée, habillée d’un mini-short en imitation panthère et d’un top trop petit de deux tailles.

« Amina, répéte à Rachid ce que tu m’as dit il y a quelques jours à propos de ces nouvelles filles ? »

Dans un mauvais français, lointain souvenir de l’Afrique francophone, Amina renouvela ses griefs.

« Y a des filles blanches qui viennent balader leur cul le long du canal. Au moins trois ! Et un type qui passe régulièrement dans une grosse bagnole. Je crois qu’il les surveille.

— C’est quel genre ces filles ?

— C’est pas des françaises, ça c’est sûr. Je ne sais pas quelle langue elles parlent, mais elles ressemblent à des filles de l’Est, des Russes ou des Ukrainiennes peut-être. »

La femme fit semblant de cracher par terre.

« Quand elles arrivent, celles-là, elles pourrissent tout et leurs macs sont hyperviolents. Une cousine qui travaille à Paris m’a raconté.

— Merci Amina, on va s’occuper de ça. Fait passer le mot aux autres filles. Gardez vos distances et rapportez à Medhi tout ce qui vous parait anormal, il me transmettra. Si on vous fait des embrouilles, dites-le aussi, on interviendra. C’est compris ?

— Oui, c’est bien compris. On dira tout à Mehdi. Puisque je suis là, Medhi, je pourrais avoir un peu de thé ? on se pèle dehors. »

Rachid quitta le bar et remonta la rue jusqu’au pont Matabiau avant de bifurquer à gauche sur le boulevard, côté canal. Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer l’une des filles qu’Amina avait mentionnées. Il s’assit sur un banc et alluma une cigarette, le temps d’observer le secteur. Il sortit son téléphone et photographia discrètement la pute qui déambulait sur le trottoir d’en face. Du fait de la distance, la photo n’était pas terrible, mais on pouvait quand même discerner une femme très jeune aux traits indiscutablement slaves. Comme Rachid terminait sa clope, une Audi noire s’arrêta à la hauteur de la fille. Celle-ci s’approcha de la portière. Rachid ne voyait pas bien, mais il lui sembla distinguer une main tendue vers l’intérieur puis la voiture repartit dans la circulation. Pas le temps de discuter les prix, pensa Rachid, plutôt un arrêt pour relever les compteurs. Il en avait assez vu. Il retourna à sa voiture pour aller rendre compte à Abou.

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