Capitalisme russe

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Toulouse, Hôtel de Police

Comme tous les lundis, le briefing était étendu à tous les agents et officiers du service. Samira, qui avait assuré la permanence lança les présentations.

« Nous avons bien progressé pendant le week-end sur le côté algérien des meurtres de la semaine passée. Nous savons avec quasi-certitude que les victimes du canal et de l’église russe ont été exécutées dans une ancienne épicerie du quartier des Minimes, qui appartient indirectement à Belkacem. Nous savons aussi que l’enlèvement, et donc probablement l’assassinat, de la prostituée a été mené par un certain Rachid Zekkal, que l’on connait comme l’un des lieutenants de Belkacem. Je laisse Juliette vous parler du volet russe.

— Pour ce qui est des Russes, nous progressons plus lentement, mais nous avons maintenant l’identité et l’adresse de l’homme qui aurait exécuté le fils Belkacem dimanche dernier. Il s’agit d’un certain Igor Polounin, qui vit au Busca et qui conduit une Range Rover Evoque noire. Nous ne l’avons pas encore appréhendé, car nous espérons qu’il va pouvoir nous mener au véritable donneur d’ordre de cet assassinat. Nous attendons également les retours des services de renseignement pour en savoir d’avantage sur l’individu.

— Et la fille blessée sur le parking de Rangueil ? demanda quelqu’un.

— Aux dernières nouvelles, elle était toujours dans le coma au CHU. Nous n’avons pas encore pu l’interroger, précisa Samira.

— Merci, conclut Ange. Nous avons progressé, mais il nous manque des éléments irréfutables pour coincer les commanditaires des deux côtés. Samira, avec ton groupe, je souhaite que vous passiez au crible la nébuleuse Belkacem. Interrogez tout le monde, les Mœurs, la Financière, le fisc… Je veux tout savoir de ses affaires, de ses réseaux et de tous ceux qui travaillent pour lui, en commençant par ce Zekkal. Même chose côté Russe, Juliette, tu me prépares un topo sur la communauté russophone de Toulouse et de la région. Cherche s’il le faut du côté des associations, de la chambre de commerce… partout où des Russes apparaissent aux premières places.

— On peut demander à Clem, elle est douée pour les recherches sur le web, suggéra Samira. »

Clémence Topard faisait partie de la nouvelle génération d’officiers de police, formés à l’utilisation intensive des outils digitaux. Ses collègues, pour la plupart peu férus de ces nouvelles technologies, étaient généralement trop heureux de lui laisser cette tâche.

« Je vous laisse distribuer le travail, essayez de m’apporter des éléments pour ce soir. »

Les trois chefs de groupe terminèrent le tour d’horizon des autres affaires avant que chacun ne reparte travailler sur ses dossiers.

Un peu avant la fin de la matinée, Clémence revint avec une liste d’associations.

« J’ai identifié une dizaine d’associations en lien avec la Russie. La plupart ont pour objectif l’apprentissage de la langue russe ou la découverte de la culture russe. L’une des plus importantes tient un café linguistique, du côté du Capitole.

— Ça te dirait d’aller y faire un tour dans l’après-midi ? proposa Samira. Histoire de lever le nez de ton clavier.

— Oui, c’est une idée, je ferai un saut là-bas. Je planche aussi sur les entreprises dans lesquelles les intérêts russes sont présents. Depuis que les Européens et les Russes collaborent pour lancer des satellites, il y a un peu plus d’activités mixtes dans la région. Je t’ai trouvé trois sociétés françaises qui ont été reprises, au moins en partie par des entrepreneurs russes. Je t’ai noté les noms des entreprises, les dirigeants avec leurs adresses connues. Si tu veux que je creuse sur ces personnes, je le ferai un peu plus tard.

— J’ai aussi une boîte de sécurité, Homeland Security. Juliette m’a demandé de fouiller un peu. Elle est liée à ce gars, Igor Polounin, qui conduit une Range noire.

— Pas de problème, je t’apporte tout ça en fin de journée. »

Clem retourna à ses écrans pour en savoir davantage sur Homeland Security. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver les premières informations sur l’entreprise. Homeland Security avait été créée trente ans plus tôt par un ancien officier de l’armée française, Louis Marin, sous le nom de Marin Sécurité. Spécialisée dans la mise à disposition de personnel affecté à des tâches de surveillance et de gardiennage, l’entreprise avait vécu à un niveau modeste avant qu’elle ne signe un contrat important avec le groupe Daurat, qui s’était accompagné d’un important apport de capitaux de la part de cette même société. La spécificité de Marin Sécurité était de n’employer que d’anciens militaires, au départ issus de l’armée française et en particulier de la Légion, puis avec le contrat Daurat, le recrutement s’était élargi à d’anciens soldats de l’armée russe. À la lecture de la fiche, Clem fit aussitôt le rapprochement, Daurat faisait partie des trois noms qu’elle venait de fournir à Samira. La coïncidence était trop évidente pour ne pas approfondir les investigations sans attendre.

Les entrées concernant le groupe Daurat occupaient plusieurs pages sur l’écran de recherche. Clem affina ses critères pour commencer par l’origine de l’entreprise. Daurat faisait partie du long héritage de l’industrie aéronautique toulousaine, remontant aux origines de l’aviation commerciale. Le développement avait atteint un stade majeur avec la création de Sud-Aviation et le succès de Caravelle. Daurat avait ensuite continué de supporter la croissance de l’aéronautique et de l’espace, tout en préservant son indépendance financière, restant à l’écart des grandes concentrations industrielles de la fin du XXe siècle. Les descendants du fondateur avaient été approchés en deux mille dix-sept par un intermédiaire alors qu’ils recherchaient de nouveaux investisseurs pour pérenniser le groupe. Outre un volume significatif de capitaux propres, le partenaire proposait un accès à de nouveaux marchés, en particulier auprès de Roscosmos, l’agence spatiale russe. Les négociations avaient pris de nombreux mois, mais deux ans plus tard, Alexander Leonorov annonça la prise de contrôle du capital du groupe Daurat aux marchés financiers. Les réactions furent mitigées, partagées entre la volonté de conserver un industriel majeur sur la région toulousaine et le risque de voir la technologie française captée par des intérêts étrangers.

Clem nota le nom du nouveau dirigeant et réorienta ses recherches sur ce nouvel axe.

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