Condoléances

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Toulouse, Quartier des Izards

Samira ne s’était pas moquée de sa collègue. Juliette s’était contentée d’une version végétarienne, mais elle avait apprécié la subtilité des épices et la cuisson de la semoule. Il était juste quatorze heures quand la capitaine Saada gara sa vénérable Xsara Picasso grise devant l’entrepôt de primeurs. Les quelques hommes qui trainaient sur le parking en fumant leur cigarette les dévisagèrent tandis qu’elles s’engageaient dans l’escalier extérieur menant aux bureaux. Samira leur cria une phrase en arabe à laquelle les hommes répondirent par des gestes obscènes en s’éloignant.

Qu’est-ce que tu leur a dit ? demanda Juliette.

« Je leur ai parlé d’une histoire à propos de leur mère et d’un chien, répondit-elle en riant.

— Tu ne crains pas de retrouver ta voiture avec les pneus crevés ?

— Oh non, ils savent qui je suis. »

Samira eut un ton plus modéré pour s’adresser à l’homme qui tenait lieu de réceptionniste et lui demanda des les annoncer auprès de Belkacem.

« Ton patron est prévenu de notre visite, ajouta-t-elle. »

Contrairement à son habitude, Aboubaker Belkacem sortit de son antre pour accueillir les visiteuses. En passant devant le bureau de Meriem, il lui demanda de leur apporter du thé.

« Prenez place, Mesdames ! dit-il en désignant les canapés.

— Tout d’abord, nous voulons vous adresser nos plus sincères condoléances pour la disparition de votre fils, déclara Juliette.

— Je vous en remercie de tout mon cœur, mais prenons le temps de boire un peu de thé avant de discuter. »

Sam fit un petit signe de tête à sa collègue, pour lui signifier qu’il fallait prendre le temps des palabres avant d’aborder le véritable sujet. Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles la capitaine s’enquit de la vie de la communauté et des affaires légales du caïd. Quand elles eurent bu la moitié du thé, Sam considéra qu’il était possible de passer aux choses sérieuses.

« C’est une bien vilaine affaire, déclara la beurette. La capitaine Delhuine va partager les informations qu’elle a pu collecter.

— Si vous le permettez, je vais commencer par les aspects les plus pénibles. Votre fils a été tué, je pourrais dire exécuté, par un individu disposant d’un grand savoir faire, je m'excuse des mots, dans le maniement des armes blanches. L’arme elle-même pourrait être un couteau de chasse ou de commando. Compte-tenu du contexte, nous penchons pour la deuxième hypothèse. Le mode opératoire correspond aussi à ce que l’on apprend dans les forces armées spécialisées. Enfin, le tueur a fait preuve d’un grand sang-froid, puisque son forfait accompli, il est tranquillement parti à pied sous les yeux des clients du café voisin.

— Vous voulez dire que c’est un ancien militaire ?

— C’est une hypothèse plausible. Je peux ajouter qu’il est arrivé en métro, par la station Jeanne d’Arc, et qu’il est probablement reparti de la même façon, par la station Capitole. Ce qui ne nous aide pas beaucoup. Il est grand, d’allure sportive, probablement blanc caucasien, mais nous n’en sommes pas certains.

— Pourquoi a-t-on voulu faire du mal à mon fils ?

— J’avoue que c’est une question qui me trotte dans la tête depuis le début. Le tueur est monté dans le camion avant que Khaled vienne boire son café. Il a pu observer les habitudes du marché et savoir qu’il y avait régulièrement des allers-retours entre le stand de votre cousin et le camion, mais ç’aurait aussi bien pu être Mansouri ou sa femme.

— Non, c’est presque toujours Momo, l’employé d’Ahmed ou Khaled quand il le remplaçait qui faisaient les navettes.

— Donc, nous avons deux options, soit c’est Momo qui était visé et par malchance c’est votre fils qui l’a remplacé au dernier moment…

— Soit le tueur était bien renseigné, compléta Abou, et c’est moi qui étais visé à travers Khaled !

— Aboubaker, intervint Samira, tu sais que nous devons te poser la question. Est-ce que tu as des ennemis qui pourraient t’en vouloir au point de s’en prendre à ton fils ?

— Sam, tu me connais, tu es presque de ma famille. Je suis un honnête commerçant, tous les négociants du MIN te le confirmeront. Je suis parfois dur en affaires, mais pas au point qu’on veuille s’en prendre aux miens. »

La capitaine eut du mal à retenir un sourire malicieux. Elle comprenait pourquoi ni les stups ni les mœurs n’avaient pu inquiéter Belkacem. L’individu était aussi glissant qu’une savonnette dans une baignoire. Elle laissa Juliette reprendre le fil.

« Si vous ne vous connaissez pas d’ennemis, pensez-vous que de nouveaux acteurs puissent venir perturber l’équilibre du marché ?

— Enfin Madame, on ne s’entretue pas pour des tomates ou des oranges !

— Certes, mais nos collègues des douanes interceptent régulièrement sur l’autoroute du Nord des camions venant de Belgique ou des Pays-Bas qui transportent des marchandises « hors taxes » sous les légumes.

— Je n’ai jamais entendu parler de ça à Toulouse ! répondit le négociant avec aplomb.

— Dans ce cas, Monsieur Belkacem, nous n’allons pas vous déranger plus longtemps. Vous pouvez venir reprendre la dépouille de votre fils à l’Institut Médico-Légal et faire votre deuil. Si toutefois d’autres événements venaient perturber la bonne marche de vos affaires, n’hésitez surtout pas à venir nous en parler.

— Je n’y manquerai pas Capitaine. Laissez-moi vous raccompagner ! »

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