Hospitalité

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Ferme d’Aboubaker, près de Saissac

Meriem et Selima étaient occupées à parcourir les répertoires de l’ordinateur depuis plus de deux heures. Elles n’avaient encore rien trouvé qui leur paraisse digne d’intérêt. La tâche était ardue. Meriem ouvrait les dossiers et les documents et Selima essayait de traduire. Elles avaient affiché un site de traduction du russe vers le français pour compléter les connaissances de la Libyenne, mais le travail avançait trop lentement à leur goût.

« On n’arrivera à rien comme ça, lança Meriem, il y a trop de fichiers.

— Tu as raison, lui répondit Selima, et ce Russe n’est sûrement pas assez idiot pour garder des documents compromettants dans un ordinateur aussi vulnérable.

— On peut déjà rechercher des noms et des adresses ? ça nous aidera à remonter le réseau.

— On aurait dû commencer par là au lieu de partir tête baissée dans les fichiers. »

Quelques minutes plus tard, Meriem avait reconstitué une sorte d’organigramme, une liste de prénoms associés à des numéros de téléphone. La plupart étaient des 06, des abonnements français, mais il y avait aussi quelques numéros en Espagne et en Allemagne ainsi qu’un indicatif que Meriem ne reconnut pas tout de suite. Une rapide recherche identifia un préfixe originaire de Russie.

« Je ne sais pas à quoi cela pourra nous servir, mais c’est déjà ça, dit la jeune secrétaire.

— Attendons de voir ce qu’Abou en dira. Nous pourrons continuer plus tard si besoin. Pour le moment, je suis trop crevée. Il faut absolument que je dorme un peu. Réveille-moi quand il sera arrivé.

— Mounir a sûrement une chambre pour les invités, tu veux que je lui demande ?

— Pas la peine répondit l’amazone, j’ai repéré un canapé dans la grande pièce, ça me suffira.

— Comme tu veux, je vais aller voir comment ça se passe dans la remise. »

Meriem frappa à la lourde porte. Mounir vint lui ouvrir, un fusil de chasse en bandoulière. Polounin était affalé dans un angle opposé à la porte. Il avait de nouveau les mains bandées, mais les pansements étaient propres. Il semblait somnoler, mais Mounir ne le quittait pas des yeux.

« Avec ces gars là, on n’est jamais sûr, précisa le gardien en arabe.

— Sais-tu à quelle heure Abou doit venir ? demanda Meriem.

— Il n’a pas précisé, mais le plus souvent il arrive vers trois heures, quand l’activité se calme au marché.

— Fatima pourrait nous préparer à manger ?

— Bien sûr, tu n’as qu’à lui demander, il y a tout ce qu’il faut. Moi je reste ici pour surveiller ce gars.

— Tu veux qu’on t’apporte quelque chose ?

— Oui, merci, et pour lui aussi, compléta Mounir en désignant le Russe de la pointe de son fusil. Chez nous, l’hospitalité, c’est sacré ! »


Meriem retrouva la vieille femme dans la salle commune. Elle était déjà affairée à éplucher des légumes. Meriem prit une chaise et s’installa en face d’elle.

« Vous êtes ici depuis longtemps ?

— Nous sommes arrivés en France après l’indépendance. Mounir avait un peu travaillé pour l’armée française, alors nous étions en danger. Nous venions juste de nous marier. Nous ne savions pas où aller, mais Mounir avait déjà un cousin qui travaillait dans les fermes près de Montauban, alors nous sommes venus dans la région. C’est là que nous avons connu Abou. Quand son affaire a commencé à prospérer, Mounir a travaillé pour lui, au marché, puis quand est arrivé l’âge de la retraite, Abou lui a proposé de venir nous installer ici, pour nous occuper de sa ferme. Cela fait maintenant presque dix ans.

— Et toi, tu as aussi travaillé pour Abou ?

— Non, j’avais commencé des études d’infirmière, à Oran, alors j’ai pu travailler dans des cliniques ou des maisons de retraite. On dit maintenant aide-soignante. Des fois, quand un ami d’Abou est blessé, il l’amène ici et je peux le soigner. Je sais nettoyer les blessures et faire les pansements. La personne que vous avez emmenée ici a les mains très abimées.

— Oui, je crois que nos amis d’Espagne étaient assez en colère contre lui ! plaisanta Meriem.

— C’est un Russe, c’est çà ?

— Oui, je crois que c’est lui qui a tué Khaled.

— Qu’Allah ait pitié de lui ! Il va souffrir longtemps.

— Mounir demande qu’on lui apporte à manger.

— Ce sera prêt dans peu de temps. Je leur apporterai le repas. Ton amie viendra manger avec nous ?

— Je crois que je vais la laisser dormir, elle a conduit toute la nuit, et la nuit d’avant aussi. »

Il était presque seize heures quand la voiture de Belkacem se présenta à la ferme. Mounir avait reçu un appel téléphonique et il attendait son patron à proximité du portail, le fusil bien toujours calé dans son coude, une précaution inutile car tout véhicule s’approchant de la ferme était visible à cinq cents mètres.

« Tu as fait bonne route ? demanda le gardien lorsqu’Aboubaker fut descendu du véhicule.

— Comme toujours Mounir, la montée depuis Saissac me rappelle un peu les paysages du bled. Tout va bien ici ?

— Oh oui, le Russe est enfermé dans la remise, Selima le surveille. Meriem est à l’intérieur avec Fatima. Entre boire un peu de thé, je vais reprendre la garde.

— Avec plaisir. »


Mounir laissa son patron se diriger vers la maison et se dirigea vers la remise.

« Abou vient d’arriver, je crois que tu devrais aller le retrouver, tu as sûrement beaucoup de choses à lui raconter.

— J’y vais, répondit la jeune femme en rangeant son arme. »

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