Chapitre 19 (deuxième partie)

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Kaïra a regagné ses appartements, le cœur battant. La licorne l'a suivie tout ce temps. A la grande surprise de Dame Hilayna, elle demande aussitôt à ce qu'on la laisse seule.

- Majesté, je vais vous faire amener un repas léger. Votre journée a été éprouvante et…

- Dame Hilayna, merci de votre sollicitude, mais j'ai besoin d'être seule un moment.

- Bien, bien, mais...

- Il n'y a pas de mais.

La gouvernante sort de la chambre avec raideur, mais fait aussitôt préparer un repas pour sa souveraine. Elle ordonne aussi aux suivantes de ne pas la déranger, mais de se tenir prêtes à la préparer pour la nuit.

Enfin seule, Kaïra se laisse tomber dans un fauteuil, tourné vers la fenêtre. La nuit est tombée, le ciel d'été est clair, magnifique. Appuyant sa tête contre sa main, le coude posé sur l'accoudoir du fauteuil, elle ferme un instant les yeux. Les pensées se bousculent en elle. Owen ! Owen est là ! Il est venu jusqu'à elle, avec un présent incomparable… Même s'il est Gardien, ni elle, ni son Conseil ne peuvent minimiser la portée de ce cadeau. Elle redresse la tête et voit la licorne, debout au milieu du salon. Elle est magnifique et Kaïra ne peut s'empêcher de l'admirer. Mais elle a perçu comme un désarroi chez l'animal fantastique et comprend son désir de liberté. Elle est heureuse qu'Owen l'ait détachée.

"Il lui a redonné sa liberté. Et à moi… à moi, il offre la liberté. Mon amour ! Mon cher amour ! Que pouviez-vous m'apporter de plus rare, de plus précieux que cela… et vous… C'est vous que je veux, vous seul. Je dois vous faire accepter par le Conseil, et plus encore… par les Gardiens."

Lentement, elle se redresse dans son fauteuil et porte la main à sa chevelure.

"Vous seul pouviez comprendre le message de cette rose. Pourquoi dois-je vous pardonner ? De quoi ? Vous êtes venu… Je n'aurais pas dû douter de vous, moi non plus."

A cet instant, on frappe discrètement à la porte. Elle soupire. Ne peut-on pas la laisser un peu tranquille ? "Non, ce n'est pas possible… et surtout pas ces jours-ci."

- Entrez !

- Majesté, voici votre repas, dit Nemna, en portant un plateau avec précaution.

- Merci, Nemna.

- Avez-vous besoin d'autre chose ?

- Non, merci. Tu peux disposer.

La jeune fille s'incline avec respect et sort. Dans le couloir, Dame Hilayna l'attend.

- La reine mange seule, Nemna ?

- Elle m'a demandé de sortir.

- Hum. Bien.

- Avez-vous besoin de quelque chose, Madame ?

- Non, merci. Je vous rappellerai tout à l'heure, pour le coucher de la reine.

- A vos ordres, Madame.

Et la jeune fille s'éloigne.

**

Kaïra a dîné seule, comme elle le souhaitait. Maintenant, elle regarde son reflet dans la glace, ce visage royal qu'elle doit composer depuis qu'elle a pris la succession de son père. Au-delà de ce visage, Owen a su voir sa personnalité, a su percevoir sa solitude. Tout autre ne voit en elle qu'une reine, que le symbole d'un royaume à conquérir. Certains, parmi ceux qui ont défilé au cours de cette longue journée, seraient sans doute enclins à lui apporter leur soutien, leur aide pour gouverner. Mais aucun ne le ferait avec désintéressement comme Owen pourra le faire.

Nijma est en train de défaire sa longue chevelure, pendant que Naïna prépare sa robe de nuit. "Dire qu'Owen va dormir entre les murs de mon palais, cette nuit ! Qu'il sera si proche…" Elle retient difficilement un frisson, ce qui n'échappe pas à Nijma. Comme ses trois amies, la jeune servante a suivi toute la journée depuis les fenêtres du premier étage. Elles ont commenté entre elles la présentation des uns et des autres, soulignant parfois la beauté ou la prestance d'un jeune homme, la magnificence d'un cadeau. Toutes ont marqué leur désapprobation quand se sont présentés Galiané et plus encore, Bramé. Mais l'inconnu, le dernier homme, les a fait beaucoup parler.

Elles se sont demandé qui il était, ont tenté d'imaginer son visage, et se sont extasiées devant la licorne. Ce soir encore, alors qu'elles préparent la reine, elles ne peuvent s'empêcher de jeter régulièrement un petit regard vers le bel animal, couché sur le grand tapis au pied du lit de la reine.

Dame Hilayna veille avec son sérieux habituel à ce coucher, mais elle perçoit aussi l'excitation des quatre jeunes filles, excitation qui n'est guère surprenante. Avec soin, Nijma commence à coiffer la reine, passant lentement le peigne dans ses longs cheveux. Elle s'apprête à diviser l'épaisse chevelure pour faire la tresse, lorsqu'on frappe à la porte. Dame Hilayna s'empresse d'aller ouvrir. Limur est là. Il la salue bien bas et s'avance dans la pièce :

- Les Gardiens m'ont fait savoir qu'ils seront à votre service dès demain matin, Majesté, dit-il. Ils ont parlé avec l'inconnu et ne paraissaient pas soucieux.

- Ont-ils révélé quelque chose le concernant ?

- Pas à moi, Majesté.

- Merci, Limur. Vous pouvez disposer. Nous nous reverrons demain.

- Bonne nuit, Majesté.

- Merci, Limur. Pour vous aussi.

Et l'archer quitte la reine, volant légèrement au-dessus du sol. Il s'éloigne au bout du couloir, après avoir vérifié que les gardes assuraient bien leur service. Il s'apprête à s'engager dans le grand escalier, lorsqu'une voix lui parvient, d'un recoin du couloir.

- Limur !

Il redresse la tête, s'arrête et revient un peu en arrière. Il voit une ombre bouger. Puis l'homme quitte son abri pour faire deux pas vers lui. C'est l'inconnu. Il porte toujours son grand manteau et son visage est toujours caché.

- Comment connaissez-vous mon nom ? demande l'archer qui se souvient parfaitement ne pas avoir été nommé devant lui.

La voix qui lui répond fait entendre un sourire :

- Parce que je vous connais. Et qu'un ami reconnaît toujours un autre ami.

Et l'homme fait glisser légèrement sa capuche, dévoilant le temps d'un instant, dans la lueur d'une torche, son visage.

- Vous ? Ici ? C'est... vous ?

- Oui, c'est bien moi.

L'archer secoue doucement la tête, puis sourit en retour :

- Vous seul étiez capable d'un tel exploit… Alors, vous avez demandé sa main, vous aussi…

- Oui.

- Il faut la protéger, Maître O…

- Chut, ami... Ne prononcez pas mon nom... Seuls les Gardiens, pour l'heure, connaissent mon identité. Elle doit demeurer secrète le plus longtemps possible.

- Pardonnez-moi, je serai attentif. La reine vous a-t-elle reconnu ?

- Je ne sais... Je l'espère, mais je ne peux en être sûr. L'avez-vous vue à l'instant ?

- Oui. Elle se prépare pour la nuit. Dame Hilayna et ses suivantes sont avec elle.

- Pensez-vous qu'il me serait possible de la voir ? Une fois qu'elles seront sorties ? Je ne resterai que quelques minutes, vous avez ma parole, ajoute-t-il en voyant le pli soucieux qui s'est formé sur le front de l'archer.

Limur se tourne, jette un regard en arrière, vers la porte de la chambre de la reine. Puis il regarde à nouveau Owen.

- Venez avec moi. Ce sera peut-être possible. Je ne vous promets rien.

- Merci, Limur.

Discrètement, l'archer l'entraîne à l'étage en-dessous.

- Restez là, dit-il en le faisant entrer dans une petite pièce. Je viendrai vous rechercher quand Dame Hilayna et les servantes seront sorties.

Owen opine simplement.

**

Limur revient le chercher une demi-heure plus tard.

- Elles sont parties. Venez. Je vais faire s'éloigner les gardes durant un instant. Vous me rejoindrez quand vous les verrez passer et descendre l'escalier. Je resterai à la porte, vous devrez sortir quand je frapperai à nouveau.

- Je vous le promets. Merci encore.

Ils remontent tous deux à l'étage, Owen se cache à nouveau dans le recoin. Quelques instants plus tard, il voit les deux gardes royaux quitter leur poste et passer devant lui. Il attend que ceux-ci soient dans l'escalier et ne puissent plus le voir pour quitter sa cachette et s'approcher de Limur.

- Allez, souffle ce dernier, et n'oubliez pas. Vous sortez dès que je frappe.

Owen ne répond pas, mais hoche simplement la tête. Limur frappe à la porte de la reine et s'annonce sans entrer :

- Majesté, veuillez m'excuser. C'est moi, Limur. Pouvez-vous me laisser entrer ? C'est important.

La réponse de la jeune femme ne tarde pas.

- Un instant, Limur. Voilà, vous pouvez entrer.

La porte s'ouvre, mais ce n'est pas l'archer Aérien qui fait son entrée, mais Owen, toujours caché par son manteau. A peine entré, il fait tomber prestement sa capuche. Kaïra est debout au milieu de la pièce, elle a revêtu un vêtement pour couvrir sa robe de nuit. La lumière de la lune éclaire la chambre, lui donnant un aspect presque fantasmagorique. Il la fixe, éperdu, amoureux.

La surprise qui s'affiche sur le visage de Kaïra est de courte durée et le reconnaissant, elle se précipite vers lui. Il la prend aussitôt dans ses bras.

Elle porte sa main vers son visage, caresse sa joue, se remplit les yeux de son regard, de son léger sourire.

- Owen ! Quelle folie...

- Je n'ai que peu de temps... J'ai promis à Limur de sortir dès qu'il frapperait.

- Embrassez-moi...

Et sans plus attendre, il prend ses lèvres pour un long baiser passionné. Quand il s'écarte, elle lui dit :

- Moi aussi, je dois vous demander pardon, car j'ai douté que vous viendriez. Mais maintenant, je ne doute plus. Ni de vous, ni de moi.

- Je n'ai pas pu rester caché devant les miens, demain, ils vous diront qui je suis. Vous pourrez décider, avec votre Conseil.

- Mon choix est fait. Mais quel est le vôtre ?

- Vous. Sinon, je ne serais pas venu. Ou j'aurais rejoint les autres Gardiens.

- Demain matin, très tôt... Au-delà de l'Arbre des Nécessiteux, il y a un bosquet. C'est loin dans les jardins. On ne peut être vu depuis le palais. Allez-y discrètement, je vous y rejoindrai avant le Conseil. Nous pourrons parler plus longuement.

- J'y serai.

- Peut-être que vous devrez rester avec les autres Gardiens. Ne prenez pas de risque inutile. Si vous ne pouvez y être, je me serai au moins offert une agréable promenade.

Il hoche simplement la tête.

- Embrassez-moi encore...

C'est Limur, par sa frappe ferme, qui met fin à leur baiser. Owen remet sa capuche, Kaïra l'accompagne jusqu'à la porte, sa main frôle le bras du jeune homme alors qu'il s'apprête à la franchir. Elle reste deux pas en arrière, mais le regard amoureux qu'elle lui porte ne pourra être ignoré de Limur.

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