Chapitre 36 (deuxième partie)

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Au matin, Adena ne fait aucune remarque en voyant Owen sortir de la chambre de la reine. Puis tous gagnent le grand hall du palais où la dépouille du prince Galiané doit être amenée. Une brève cérémonie de recueillement est prévue avant que le corps du prince ne soit porté à travers toute la ville, afin que les habitants puissent lui rendre un dernier hommage. Il sera ensuite mené dans la crypte sacrée, en présence uniquement de la famille royale et des prêtres de Sala. La princesse Jébora a demandé au Grand Maître de participer, ce qu'il a accepté.

Après le dernier hommage rendu au prince, et alors que la famille royale se trouve encore dans la crypte sacrée, les Gardiens, Kaïra et plusieurs dignitaires du régime se tiennent dans la grande cour du palais. Songeant à la cérémonie qui se termine en ce moment-même, la jeune souveraine repense à ce qu'elle a vécu lors du décès de son père. Elle pousse un léger soupir qui n'échappe pas à Olaf qui se tient près d'elle.

- Maître Olaf, j'aimerais vous poser une question.

- Je vous écoute, Majesté, dit-il en se tournant vers elle.

- Quand... Quand vous êtes revenus en Rankir, vous vous êtes rendus au palais, n'est-ce pas ?

- Oui, bien entendu.

- Est-ce que... Est-ce que la Salle des Morts...

- Elle n'a pas été violée. Les vôtres et tous vos ancêtres reposent toujours en paix. J'ai pu le constater par moi-même.

Le soulagement s'affiche brièvement sur le visage de la jeune souveraine. Puis elle fronce légèrement les sourcils et murmure pour elle-même :

- Il est une chose que j'ai omise de dire à Owen… Il faut peut-être qu'il le sache…

- Que vous disiez quoi, Majesté ? demande Olaf.

- Oh, je parlais pour moi-même…

Elle tourne son visage un peu sur le côté, mais Owen est trop loin d'elle.

- Maître Olaf, peut-être cela vous parlera-t-il… Avant de quitter ma ville, je me suis rendue une dernière fois dans la Salle des Morts. Je voulais me recueillir sur les tombes de mon père et de ma mère, ignorant que je pourrais y revenir et si j'y reviendrais un jour. Et… Et il s'est produit quelque chose… d'étonnant.

- Quoi donc ? demande le Gardien, vivement intéressé.

- J'ai eu comme une vision, en posant la main sur la statue de ma mère. Savez-vous qu'elle tient une petite fleur dans sa main droite ? En l'effleurant, c'est comme si elle s'était mise à battre, comme un petit cœur. Et là… J'ai vu… J'ai cru que c'était moi, tant elle me ressemblait, mais non, c'était ma mère, toute jeune. J'en suis presque certaine. Et… Et… Elle n'était pas seule. Elle était avec quelqu'un… Je crois que je connais cette personne, mais je suis incapable de l'identifier. J'ai pensé à Owen, souffle-t-elle tout bas, car il ressortait de cette personne ce qui ressort de vous tous, les Gardiens. Pensez-vous que ce soit important ? Que cette vision soit importante ?

Olaf la fixe un moment. Il est impossible pour Kaïra de déceler ses pensées, ses émotions, tant le Gardien sait garder la maîtrise de lui-même, mais il est pourtant bien difficile pour Olaf de ne pas être ému. Enfin, il dit :

- Vous pourrez confier cette vision à Owen, mais je ne pense pas qu'elle soit importante pour ce qui est en jeu.

- Que signifie-t-elle ? Savez-vous ce qu'elle peut signifier ?

Olaf ne sait que répondre. Il voudrait ne pas mentir à Kaïra, mais le lieu, la cérémonie qui se termine, ne sont pas favorables à des confidences. Il finit par dire :

- Je pourrai vous l'expliquer plus tard. Mais il s'agit bien de votre mère, ajoute-t-il après un léger temps d'hésitation.

Kaïra le regarde intensément et Olaf se demandera parfois si elle est parvenue à lire en lui ou pas. Mais déjà la princesse Jébora, les princes Bramé et Jarbek, les prêtres et le Grand Maître reviennent de la crypte sacrée. Jébora les invite tous à se retrouver dans la grande salle de réception du palais et, en attendant, Kaïra regagne un moment sa chambre. Elle est escortée uniquement par Limur et y retrouve ses deux suivantes et Siwu, alors que tous les Gardiens se rassemblent de leur côté, le Grand Maître voulant leur parler.

C'est Siwu qui vient donner l'alarme, entrant en courant dans la salle des Gardiens. Mais, déjà, Owen, Olaf et le Grand Maître ont senti le danger, et Owen est le premier à se précipiter dans le couloir menant à la chambre de la reine. La porte en est ouverte et une aura étrange s'en dégage. Mais, quand il la franchit, il reste atterré par le spectacle qui s'offre à ses yeux.

Etendu sur le sol, un cadavre monstrueusement brûlé tient entre ses mains le disque sacré de Kaïra, alors que la reine, agenouillée au sol et entourée par ses deux suivantes, tremble de tout son corps, le regard horrifié.

- Que s'est-il passé ? demande Owen avec un soupçon d'affolement dans la voix en venant s'accroupir auprès de Kaïra et en lui prenant doucement les mains.

La jeune femme secoue la tête, incapable de répondre, encore tétanisée par le choc. Owen la serre dans ses bras. Nijma a repris ses esprits et commence à raconter, alors que le Grand Maître et Olaf entrent à leur tour dans la pièce.

- Nous prenions un moment de repos, Maître Owen, quand on a frappé à la porte. Un garde est entré, disant que vous aviez demandé à voir Limur en urgence. Il a hésité un moment, mais le garde a insisté. Ils étaient à peine partis que cet... homme, dit-elle en hésitant sur le mot, est entré sans se faire annoncer. Messire Siwu s'est mis en garde pour protéger la reine, mais il est parvenu à saisir Naïna et à la menacer d'un poignard. Il était très décidé. Il a ordonné à la reine de lui donner son disque et...

A cet instant, Kaïra redresse un peu son visage et d'une voix au début hachée, elle poursuit le récit :

- Il... Il a dit... Donnez-moi le disque ou je la tue ! Il avait... la lame du poignard sur sa gorge. J'ai obéi... J'ai sorti le disque de ma poche et je lui ai donné. Il a lâché Naïna et s'est emparé de la pochette. Là... Il... Il l'a ouverte, il a sorti le disque et... et le disque est devenu tout blanc et très brillant. Je ne l'avais jamais vu ainsi... Cela m'a rappelé... l'aura... dans la grotte... l'épée... Il ne parvenait plus à détacher son regard, ni ses mains du disque et il a été comme... brûlé.

Prononçant ce dernier mot dans un souffle, elle laisse retomber sa tête contre le torse d'Owen. Il resserre encore son étreinte autour d'elle, puis passe sa main sur sa longue chevelure un peu décoiffée par les événements. Nijma reprend :

- Messire Siwu est alors sorti très vite de la pièce pour aller vous chercher... Et nous, nous sommes restées là, sans bouger... Nous avons eu très peur, Maître Owen.

- Vous avez réagi au mieux, Nijma. Naïna, comment allez-vous ? demande-t-il en tournant légèrement son visage vers l'autre jeune fille que son amie réconforte au mieux.

- Ca... ça va, Maître Owen. Je... Je n'ai pas eu le temps de me défendre... Il...

- Ne parlez pas, vous n'êtes pas blessée ?

- Non, répond-elle simplement.

Owen reporte son regard vers le corps étendu dans la chambre. Le Grand Maître est resté debout, écoutant avec attention le récit de Kaïra et de Nijma. Olaf s'est agenouillé près du corps et l'observe avec attention.

- Qui est-ce ? demande Olaf.

- Messiar, dit Kaïra dans un souffle.

Elle perçoit le tremblement intérieur d'Owen. Les regards de ce dernier et d'Olaf se portent vers le Grand Maître. Il dit :

- Nous n'avons plus de temps à perdre ! Owen, Olaf, nous devons rejoindre les autres !

Les deux Gardiens se redressent, ils ont compris eux aussi l'urgence de la situation. Owen aide Kaïra à se relever. Puis il s'approche du corps de Messiar, lui retire le disque des mains. Il va pour le redonner à Kaïra, mais, mu par une intuition subite, il sort le sien de sa poche et dit :

- Prenez le mien, je garde le vôtre.

- Owen ! dit le Grand Maître. Tu ne peux pas faire cela !

- Si, c'est cela qu'il faut faire. Allons-y ! Kaïra, venez avec nous.

- Majesté !

Le cri de Nijma a fusé. La reine se retourne vers sa suivante, elle a retrouvé tous ses esprits et sent une force nouvelle l'habiter, comme si l'imminence du combat la portait en avant. Elle fait quelques pas vers Nijma et lui prend la main :

- Soyez sans crainte. Prenez soin de vous. Si le pire se produit, retournez avec Siwu à Rankir.

Nijma incline la tête en signe d'assentiment, mais Naïna se tord les mains.

- Soyez prudente !

Owen ne dit rien, mais il sait que la prudence n'est plus de mise. Avec autorité, il prend la main de Kaïra et sort de la pièce, suivi par Olaf et le Grand Maître. Dans le palais bruit déjà une sourde agitation.

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