Chapitre 4 (troisième partie)

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Une fois seule, ses deux suivantes ayant quitté la chambre après son coucher, Kaïra reste songeuse en regardant le ciel de son lit. Elle doit bien s'avouer que s'il est agréable de dormir dans un palais, elle préférerait se trouver encore dans un campement, en pleine nature. Le prince Bramé ne lui a guère plu, elle n'a pas aimé ses regards insistants, ni ses manières onctueuses. Elle n'a pas aimé non plus les éclats de colère qu'elle voyait parfois surgir dans ses yeux lorsqu'on ne suivait pas ses propositions ou que l'on n'accédait pas à ses désirs. Elle a eu pitié d'un pauvre page qui avait omis de présenter un plat, lors du dîner. "Cet autoritarisme n'est pas une qualité pour régner en juste ! J'ignore comment est son frère aîné, mais si, demain, Bramé devait prendre la suite de son père, je crains que nous n'ayons alors un voisin peu agréable..."

Elle a soupiré, a eu envie de se relever pour regarder les étoiles au-dessus de la ville, mais s'est retenue de le faire. Elle se dit qu'il lui faut raisonnablement bien profiter du repos octroyé par cette nuit pour pouvoir avancer comme argument dès le lendemain qu'elle ne se sent pas du tout lasse du voyage et qu'ils peuvent repartir rapidement. Passer deux nuits à Ménaru lui semble le grand maximum que l'on puisse exiger d'elle.

Elle s'endort finalement plus aisément qu'elle ne le pensait, mais une légère toux la réveille peu après. Elle ouvre les yeux, intriguée d'avoir entendu du bruit, senti une présence. Elle se tourne un peu et découvre le prince Bramé, assis dans un des grands fauteuils de sa chambre. Elle se redresse d'un bond dans son lit, ramène les couvertures vers elle et crie :

- Que faites-vous là ?

- Majesté, pardonnez-moi cette intrusion, mais je voulais vous parler de choses graves que seules vos oreilles peuvent entendre.

- Vous pouviez demander à me voir demain, Prince, répond-elle avec autorité. La nuit est faite pour dormir !

- Elle est parfois faite aussi pour autre chose, dit-il avec un sourire en coin qui la fait frissonner, tant il révèle de cupidité, d'envie et de sous-entendus salaces.

Il tend lentement la main vers une coupe contenant un peu de vin, la porte à ses lèvres, prend le temps de boire, puis de la reposer sur la table, avant de reprendre :

- Majesté, permettez-moi cependant de préférer cette heure pour vous entretenir de choses d'importance, plutôt que d'attendre demain. Vous avez connaissance de la situation de mon royaume. Mon père est malade, ce qui est fort dommage car il est un grand roi.

Kaïra devine qu'il ne pense pas un seul des mots qu'il vient de prononcer.

- Il me revient en ces heures difficiles d'assurer le maintien de l'ordre et la régence, alors que mon frère aîné nous a abandonnés pour se rendre à la réunion des Régnants. Je vais avoir besoin de vous, Majesté.

- De moi ?

- Oui, de vous. Pour rappeler à la réunion combien notre situation est délicate. Mon frère plaidera sa cause, il me dénigrera. Et pourtant... il ne songe qu'aux conquêtes et à la guerre ! Or la première de ses conquêtes sera la vôtre !

- La mienne ?

- Vous verrez, Majesté, qu'il cherchera à obtenir votre main pour agrandir notre royaume !

Kaïra sent un frisson glacé courir le long de son dos. Quelles sont ces intrigues qui se nouent autour d'elle ? N'est-elle donc que cela ? Que le symbole d'un royaume dont on veut s'emparer, non par la force, mais par le mariage ? Oublie-t-on qu'elle est une personne ?

Le prince Bramé se lève, fait quelques pas dans la chambre, la tête baissée, comme s'il voulait réfléchir. Mais il a depuis longtemps préparé ses mots et quand il s'arrête, il fixe Kaïra droit dans les yeux.

- Accordez autant de considération à ma demande qu'à celle de mon frère, votre Altesse !

- Que voulez-vous dire ? s'inquiète déjà Kaïra qui s'efforce de maîtriser sa voix le mieux possible.

- Que je demande moi aussi votre main, répond Bramé en s'avançant jusqu'au bord du lit et en s'y asseyant sans y avoir été invité.

C'est à cet instant qu'Owen s'approche de la fenêtre de la chambre de la reine et constate avec horreur que le prince se saisit de la main de Kaïra, pour l'attirer vers lui. Il pousse le battant, saute d'un bond souple dans la chambre et dit d'une voix forte :

- Arrière, Prince ! Vous ne la toucherez pas !

Surpris, Bramé se rejette en arrière, se remet debout avec agilité et sort un petit poignard de sa ceinture. Owen s'est avancé dans la pièce, l'épée en avant.

- Owen ! souffle Kaïra avec soulagement.

En réalisant l'identité de celui qui se trouve face à lui, le prince Bramé remet son poignard dans son étui avec un petit sourire obséquieux.

- Maître Owen, vous veillez tard...

- Le sommeil peut manquer aux Gardiens quand ils doivent protéger une reine. Que faisiez-vous ici ?

- J'avais à parler de choses d'importance avec la reine, répond-il avec autorité.

- Vous l'avez fait, intervient Kaïra qui a repris le contrôle d'elle-même et qui se sent en sécurité maintenant qu'Owen est là et qu'elle n'est plus seule face à Bramé. Je n'ai rien de plus à vous dire et maintenant, je souhaite dormir.

- Je le comprends parfaitement, dit Bramé, en s'inclinant. Veuillez garder à l'esprit, cependant, que tout ce que je vous ai dit est sérieux et grave, votre Altesse. Je vous souhaite une bonne nuit.

Et il se retire en s'inclinant une dernière fois. Owen reste debout au milieu de la pièce, il attend quelques instants, puis rouvre la porte sans bruit. Les pas du prince et de deux autres hommes déclinent au bout du couloir, plongé dans la pénombre. Mais devant la porte de la reine, les deux gardes placés par Bosserin dorment profondément, aussi profondément qu'Olaf. Il en est de même pour les autres gardes, devant leur chambre, comme devant celles des suivantes, d'Hilayna et de Van'dal.

Il referme alors la porte, les sourcils froncés.

- Que se passe-t-il, Owen ? demande Kaïra qui en oublie d'utiliser le titre de "Maître".

- Tous les gardes sont endormis, et profondément, je peux vous l'assurer.

- Comment ? Et pourquoi ? s'exclame-t-elle.

- Sans doute cela a-t-il été organisé par le prince pour pouvoir venir s'entretenir avec vous sans être dérangé. Mais Maître Olaf dort autant qu'eux et je crains qu'il n'en soit de même pour le conseiller Van'dal, Dame Hilayna et vos suivantes.

- Et vous ? Pourquoi ne dormiez-vous pas ?

Les sourcils toujours froncés, Owen réfléchit à cette question. Il se souvient avoir décliné la proposition d'une dernière boisson lors du repas, ce que Lorrek avait également fait. Mais le Premier Conseiller ne dort pas au palais, mais en-dehors, comme cela lui est nécessaire.

- Si vous le permettez, Majesté, je vais m'assurer du sommeil de vos dames. Il est possible que seuls les gardes aient été endormis.

- Je vais avec vous, dit-elle, en se levant prestement et en se saisissant d'une sorte de long manteau ourlé, pour recouvrir en partie sa robe de nuit.

Elle glisse ses pieds dans de fines sandales, puis regarde Owen qui est resté figé en la voyant ainsi sortir du lit en sa présence.

- Et bien, allons, Maître Owen. Je m'inquiète pour elles...

- Oui, allons, dit-il en se retournant et en chassant bien vite cette émotion qui l'a si étrangement étreint.

**

Ils gagnent d'abord la chambre d'Hilayna. Il est impossible de réveiller la dame de compagnie. Mais Owen remarque sur un guéridon une coupe et un broc. La coupe est encore à demi emplie d'un liquide clair. Sans y boire, il la porte à son nez, puis la repose. La couleur en est la même que celle de la boisson qui leur a été servie à la fin du repas. La voix de Kaïra le tire de ses réflexions.

- Impossible de la réveiller... Allons voir mes suivantes... peut-être qu'elles n'auront pas toutes été endormies...

- Je pense avoir trouvé la coupable de ce profond sommeil, dit Owen en désignant la boisson sur le guéridon.

- Vous en êtes sûr ? demande Kaïra en s'approchant.

- Elle ressemble beaucoup à celle qui nous a été proposée à la fin du repas, mais dont je n'ai pas voulu. Ce qui explique que j'ai été réveillé lorsqu'ils ont verrouillé notre chambre.

- Ils ont fermé votre chambre ?

- Comme ils l'ont fait avec celle-ci, répond-il. C'est pour cela que je suis sorti par la fenêtre. Je voulais m'assurer que vous alliez bien, avant d'aller voir ce qu'il en était chez le conseiller Van'dal.

- Il doit dormir de même, n'est-ce pas ?

- C'est fort possible, car il a bu cette préparation.

- Allons voir mes suivantes, maintenant, dit Kaïra avec autorité et pragmatisme.

Elle espère seulement que toutes ces personnes qui ont sombré dans un profond sommeil se réveilleront aisément demain matin. Owen la laisse entrer dans la chambre des quatre jeunes filles, demeurant près de la porte. Il remarque la même boisson que dans la chambre d'Hilayna et n'a alors plus aucun doute. Mais entendant du bruit, une des jeunes filles se réveille.

- Majesté, qu'est-ce que... ? Vous avez un souci ?

- Oui, Nemna, je suis soulagée que tu te réveilles.

- Que se passe-t-il ? Oh... Maître Owen, vous êtes là ?

Le jeune homme hoche la tête, prêt à s'effacer pour ne pas la gêner. Mais il demande :

- Nemna, c'est important, avez-vous bu cette boisson ?

- Non, Maître Owen. Les autres en ont pris un peu, mais moi, je n'avais pas soif...

- Bien. Si tant est que nous en avions besoin, voici donc la preuve que quelqu'un a bien voulu endormir tout votre entourage, Majesté, dit-il en regardant Kaïra.

- Que faisons-nous ?

- A cette heure, et alors que les autres dorment, pas grand chose. Nemna, vous allez dormir dans la chambre de la reine, c'est plus prudent, si cela vous convient, Majesté, bien entendu, ajoute-t-il. Je resterai à la porte pour veiller. Je peux aisément surveiller tout le couloir, de cette chambre jusqu'à celle du conseiller Van'dal.

- Vous pourrez vous passer de dormir ?

Il hausse légèrement les épaules :

- Oui. J'ai dormi un peu de toute façon, avant d'intervenir. Et si ça se trouve, les gardes sortiront du sommeil avant la fin de la nuit. Ils reprendront alors leur poste.

Kaïra approuve.

- Bien, faisons ainsi, cela me semble être le plus sage en effet. Prends tes affaires, Nemna, allons. J'aimerais dormir enfin.

Owen ressort de la pièce le temps que la jeune suivante se prépare, puis les laisse entrer dans la chambre de la reine. Il prend sa place à la porte, espérant ne croiser personne de la nuit.

Sur le petit matin, le premier à se réveiller est l'un des gardes postés à la porte de la chambre de Van'dal. Etonné, le jeune homme s'étire, se demande ce qui lui arrive et s'afflige aussitôt de s'être endormi et de voir ses camarades plongés eux aussi dans le sommeil. Il s'alarme, mais Owen est déjà près de lui et le rassure. Il lui explique brièvement ce qui est advenu. Le jeune homme lui affirme se sentir bien et prêt à assumer sa garde. Owen reste un moment encore avec lui, jusqu'à ce qu'un des gardes de la chambre de la reine se réveille à son tour. Seulement alors, il regagne la sienne et alors que le jour n'est pas loin de se lever, il peut goûter à quelques heures de repos bien méritées.

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