Chapitre 14 (deuxième partie)

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Le prince Bramé accepte finalement la proposition du Grand Maître : il lui offre une escorte que ce dernier décline. Il préfère arriver seul avec Alana en Sala. Bramé est satisfait que le Grand Maître se range à ses côtés pour obtenir l'accord de la reine et une future alliance. Les discussions qu'il a fait durer lui ont surtout permis d'organiser quelques sombres manigances et, notamment, de mener d'autres attaques en terre de Rankir, car sous couvert d'actes de brigands, ce sont en fait des hommes à lui, violents et prêts à tout, qui sont entrés sur les terres de la reine Kaïra.

Quand le Grand Maître quitte Ménaru pour rallier Sala avec Alana, ces attaques ont déjà fait plusieurs victimes parmi les villageois. Des jeunes filles ont été enlevées, certaines ont été violées et tuées sauvagement. La crainte grandit parmi les gens des plaines et un jeune villageois est envoyé jusqu'à la capitale pour rapporter à la reine les troubles qui sévissent dans la région.

Il arrive au palais royal par un début d'après-midi de printemps éclatant. Ne connaissant pas la ville, mais reconnaissant la livrée des soldats, il s'adresse à l'un d'entre eux en expliquant sa présence. Après quelques hésitations, l'homme le conduit auprès de Limur. Celui-ci l'écoute avec attention et inquiétude. Il avertit aussitôt le conseiller Lorrek.

- Messire Lorrek, je viens de m'entretenir avec un jeune homme envoyé par les villages proches de la frontière avec Salarin. La situation est grave. La peur s'empare de toute la région. Il faut faire quelque chose.

Soucieux, Lorrek s'interroge.

- Je vais prévenir la reine et convoquer un Conseil immédiatement. Viens avec ce jeune homme, il se peut que nous ayons besoin de l'entendre.

- Je vais le chercher.

Flonara et Van'dal sont rapidement informés de la tenue de ce Conseil imprévu. La reine les rejoint de même.

- Que se passe-t-il, Conseiller Lorrek ? demande Kaïra à peine assise.

- Nous venons de recevoir des nouvelles inquiétantes de nos frontières avec Salarin, Majesté, des nouvelles qui confirment les rumeurs entendues déjà ces derniers temps. Des troupes de brigands sévissent sur nos terres, venant de Salarin, et sèment la mort et la désolation.

- Qui a rapporté ces témoignages ?

- Un jeune paysan, délégué par les siens. Il est arrivé il y a une heure à peine au palais, s'est entretenu avec Limur qui m'a aussitôt fait prévenir.

- Vous avez réagi promptement. Il nous faut entendre ce jeune paysan, ordonne-t-elle.

- Il est prêt à répondre à nos questions, Limur va le faire venir.

Quelques instants plus tard, le jeune homme, auquel Kaïra donne à peine deux ans de plus qu'elle, entre, impressionné, dans la salle du Conseil. Limur l'accompagne et sur un petit signe de la reine, reste présent à ses côtés.

- Jeune homme, commence Kaïra avec douceur, comprenant son sentiment de se trouver en sa présence et en celle des trois représentants de leurs peuples, comment vous appelez-vous et de quel village venez-vous ?

- Je m'appelle Arius, Majesté. Je viens du village de Solmek.

- Vous avez voyagé à pied ?

- Oui, Majesté. Cela fait quelques jours que je suis parti. J'ai voyagé aussi vite que possible, ne faisant que de courtes étapes.

- Que s'est-il passé dans votre village ?

- Ils sont arrivés à la tombée du jour, les hommes étaient encore aux champs. Nous sommes en train de préparer les prochaines récoltes. L'alerte a été donnée par deux jeunes garçons qui se trouvaient près du village, ils sont venus nous chercher aussitôt. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu tourner les cavaliers. Ils tenaient de grandes épées qu'ils faisaient tournoyer au-dessus de leurs têtes. Ils poussaient de grands cris effrayants. Nous n'avons que nos outils pour nous défendre, mais nous y sommes allés courageusement. En nous voyant arriver, ils sont repartis sans nous attaquer, mais ils ont pris le temps de lancer quelques torches enflammées dans deux maisons et une grange. Le feu a pris rapidement. Une femme et ses deux enfants qui y étaient réfugiés ont été gravement brûlés. Quand je suis parti, ils étaient encore en vie, mais... mais aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus. Un vieil homme avait aussi été tué en tentant de protéger deux jeunes filles qui ont été enlevées. Nous ne les avons pas revues.

- Savez-vous d'où ils venaient ?

- D'après ce que m'ont rapporté ceux qui étaient au village pendant l'attaque, ils venaient de la forêt. Mais nous les avons vus repartir dans la plaine, vers le nord.

- Vers le nord..., murmure Van'dal.

Flonara et Lorrek hochent la tête, eux aussi pensent la même chose. Ces hommes viennent de Salarin. Mais qui sont-ils ?

Le jeune Arius se tait. Il ne sait pas ce qu'il peut dire d'autre et attend qu'on l'interroge. La reine poursuit :

- Avez-vous rencontré d'autres gens qui auraient vu ces cavaliers ?

- Oui, Majesté. Si on m'a demandé de venir jusqu'à vous, c'était aussi pour vous rapporter qu'un village voisin du mien a également été attaqué. Et en chemin, j'ai rencontré des paysans qui m'ont confirmé avoir vu des troupes bien armées, avec des chevaux solides et rapides.

- Bien, dit la reine. Arius, vous allez prendre un peu de repos. Limur va s'occuper de vous. Vous resterez ici encore un peu, nous aurons peut-être besoin de vous poser encore quelques questions.

- Vous allez envoyer des troupes, Majesté ? Les miens ont peur, désormais...

- Nous allons faire quelque chose. Vous ne repartirez pas seul à votre village.

- Merci, Majesté. Longue vie à vous ! dit le jeune homme pour prendre congé en la saluant bien bas.

Kaïra sourit intérieurement, mais la situation la préoccupe. Ce témoignage, direct, est le premier qu'ils reçoivent, mais il confirme des rumeurs qui leur sont déjà parvenus. Elle attend que la porte se soit refermée derrière Limur et Arius pour interroger ses conseillers.

- Que pensez-vous de tout cela ?

- Je crois que l'heure est grave, Majesté, commence Van'dal.

- Je le crois aussi, intervient Flonara. Ces incursions de brigands deviennent trop fréquentes. Je crains que nos voisins, préoccupés par d'autres affaires, ne soient en mesure d'assurer la sécurité à leurs frontières. Ces hommes en profitent.

- Je me demande, pour ma part, s'il s'agit vraiment de brigands, dit Lorrek. Je crains que ce ne soient des hommes du prince Galiané ou du prince Bramé, et que ces attaques ne servent qu'à se déstabiliser un peu plus l'un l'autre.

- Leur guerre de succession n'a aucune raison de se dérouler à l'intérieur de nos frontières ! s'exclame Kaïra. Que penseriez-vous d'envoyer des troupes pour assurer la sécurité de nos gens, de nos villages ? Et garder ainsi notre territoire ?

- Je pense que nous allons devoir le faire. Sinon, la peur va se développer. Vous devez veiller à la sécurité de tous. Je vais faire préparer une troupe. Des archers et des cavaliers.

- Très bien, Messire Lorrek, dit Kaïra. Qu'ils soient bien armés, avec de bons chevaux. Je veux montrer que nous ne nous laisserons pas impressionner. Ces hommes iront pour défendre les nôtres. Ils auront aussi le droit de vie et de mort sur ces brigands.

- Puis-je confier à Limur le commandement de cette troupe, Majesté ? demande encore Lorrek.

La reine hésite. Limur lui est précieux.

- Non, répond-elle finalement. Trouvez quelqu'un d'autre. Je préfère que Limur reste ici. S'il me fallait envoyer un message en urgence, je sais que je pourrais le lui confier. Le jeune Arius rentrera chez lui avec cette troupe.

- Bien, Majesté. Il sera fait ainsi.

**

Le soir même, le repas de la reine se déroule en présence de Flonara et de Dame Hilayna. Les préoccupations de l'après-midi sont encore au cœur des conversations. Toutes trois espèrent que la délégation de Gardiens envoyée par le Grand Maître pourra remplir sa mission et la réussir. A cette heure, elles ignorent encore que le Grand Maître lui-même s'est mis en chemin et qu'il se trouve déjà à Ménaru.

Ces discussions inquiètent la reine et ses deux convives. Flonara possède moins de connaissances diplomatiques que les autres conseillers, mais elle sait percevoir les soucis de sa reine et amie. Et sa préoccupation, depuis qu'elle est revenue de Petimont, ne lui a pas échappé. Aujourd'hui, elle est simplement plus marquée.

Quant à Dame Hilayna, elle n'a pas oublié la traîtrise de Bramé, les propos de Messiar concernant les Gardiens des Origines, sans compter la ruse de Norik. Pour elle aussi, ces troubles aux frontières ne sont pas un hasard, mais elle ne peut imaginer ce qu'ils cachent.

A la nuit venue, elle accompagne la reine jusqu'à sa chambre, veille comme à son habitude à ses préparatifs. Ses traits tirés, son regard sombre lui font craindre une mauvaise nuit. Elle envoie Nuka chercher Maître Gafori et lui demander quelques feuilles de l'Arbre des Nécessiteux afin de les brûler dans la chambre et que leur parfum apaise la reine.

Kaïra la remercie de cette attention :

- Merci, Dame Hilayna. Je crois que ce parfum calmera mes craintes.

- Les Gardiens envoyés par le Grand Maître vont certainement pouvoir agir, Majesté. Nous devons leur accorder notre confiance.

- Je ne doute pas d'eux, et je ne doute pas non plus que le Grand Maître ait agi avec sagesse et discernement. Mais je crains les conséquences de ces incursions sur nos terres, la peur pour nos gens, les meurtres, les destructions.

- Nos troupes sauront les affronter et le calme reviendra bientôt.

- Puissiez-vous avoir raison, Dame Hilayna. Puissiez-vous avoir raison, soupire la jeune reine.

Nuka revient à ce moment avec les feuilles. Dame Hilayna les prépare, puis, bientôt, la jeune souveraine se retrouve seule, allongée dans son lit. Comme chaque soir, ses préoccupations tournent encore en son esprit, puis vient le moment où elle les chasse, pose sa main sur son cœur et songe à Owen. Mais cette fois, ses pensées sont plus fortes, plus prenantes. Son cœur appelle le jeune Gardien. Elle ressent encore plus durement son absence et le souvenir de leurs étreintes lui revient plus violemment. Ne trouvant pas le sommeil, elle se lève et mue par un puissant sentiment d'urgence, elle se dirige vers le bureau qui abrite soigneusement son disque. Elle ouvre le tiroir, y prend la pochette de tissu et l'en sort.

Les mots d'Owen, avant qu'il ne la quitte, à Altassaïr, lui reviennent en mémoire.

Si vous êtes en danger, s'il faut que je revienne vers vous car vous estimeriez que moi seul peux faire quelque chose pour vous, prenez votre disque, et portez-le en direction de cette étoile. Pensez très fort à moi. Alors, je reviendrai. Même si je suis à l'autre bout des Hautes Terres. Même si je suis parti pour le pays des Grands Froids. Le voyage sera long, mais je viendrai.

Ses mains tremblent un peu, mais c'est avec détermination qu'elle se dirige vers sa fenêtre. Le ciel de printemps est clair, seul un fin croissant de lune l'éclaire. Elle trouve sans peine l'étoile d'Owen, elle sait désormais bien où la chercher, à quelque heure de la nuit. Comme il le lui a indiqué, elle lève le disque en direction de l'étoile et pense très fort à lui.

"Owen, revenez vers moi. J'ai besoin de vous. Un danger rôde. J'ignore encore sa nature, mais je le pressens. Mon aimé, revenez."

**

Owen quitte Lessar deux jours après son entrevue avec la reine Eléanor. Heureux de repartir sur Ingir pour un long voyage. Si l'hiver marque toujours de son sceau les Hautes Terres, le printemps, lui, est bien installé près des Terres Océanes. Plus Owen s'éloigne des montagnes, suivant une route qui le mène vers le Ponant, et plus les températures se réchauffent, plus le vent devient doux et moins la neige est présente. Il lui faut cependant faire des détours, pour éviter des rivières en crue, et il doit parfois rester sur une même rive et s'éloigner alors de sa route directe pour trouver un gué et traverser.

Il ne revient pas en direction de Petimont, mais voyage plus au nord du royaume ayant accueilli la réunion des Régnants l'été précédent. Il parcourt durant de longues journées une grande plaine, véritable steppe quasi désertique, où la terre est pauvre, les villages rares. Mais c'est le chemin le plus court pour rejoindre son Ordre.

Un soir qu'il s'est assis près d'un petit feu, Ingir paissant tranquillement à la recherche d'herbe verte et de jeunes pousses tendres, il sent une chaleur vive mais brève contre sa hanche. Elle irradie de son disque qu'il sort prestement. Le disque d'habitude terne et de couleur indéfinissable est devenu très clair et lumineux, au point que les yeux ne peuvent y demeurer posés sans être éblouis. Il lève son regard vers la voûte étoilée, trouve aisément son étoile et porte le disque devant elle. Le visage de Kaïra apparaît alors dans le cercle lumineux.

Son sang se glace. Si la reine a choisi de l'appeler ainsi, c'est qu'elle est en grand danger. Il range soigneusement son disque qui perd petit à petit de sa luminosité et, avec un long bâton, remue le feu qui brûle tranquillement devant lui. Ses pensées s'entrechoquent, son cœur bat fort. En quittant Lessar, il se devait de rentrer au Conseil des Gardiens, de voir au plus tôt le Grand Maître afin de lui faire part de son combat contre le dragon. De même qu'il a affronté un sinuire, il s'est à nouveau, et en très peu de temps, retrouvé face à une créature venue des Temps Anciens. Sans doute faudra-t-il retourner consulter les Esprits, sans doute le Grand Maître aura-t-il besoin de lui, de ses souvenirs, de ses impressions, comme il en a eu besoin concernant le sinuire. Se rendre en Rankir signifierait ne pas donner l'alerte.

Mais l'alerte ne vient-elle pas aussi de Rankir ?

Il s'allonge en s'enveloppant dans les grands pans de son manteau, comptant sur la nuit pour l'aider à prendre une décision.

Au petit matin, il voit son étoile se coucher vers le sud alors que le premier rayon du soleil se répand sur la vaste plaine endormie et désolée.

Sa décision est prise : il ira en Rankir.

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